Il est bienvenue qu’un débat sur l’éternelle question de la « violence » / « non-violence » soit proposé en dehors de moments « chauds ».
Alors qu’il s’agit d’une question qui traverse sans cesse nos luttes, et chaque personne, généralement on en parle uniquement après un cas particulier qui nous a divisé, tou-te-s pollué-e-s que nous sommes alors par nos ressentis. Nos ressentis et les cas particuliers sont très importants, mais il ne suffisent pas. Ces divisions sont idéologiques, stratégiques, tactiques et sont donc bien plus utiles lorsqu’on les travaille au corps.
De ce point de vue, l’initiative prise par Agir pour la Paix et Quinoa [1] m’a semblé intéressante. Que le vocabulaire utilisé dans la préface ait l’air tout droit tiré d’un lexique de bailleurs de fond, et que ces associations retirent ou non des heures d’éducation permanente des soirées organisées sur base du livre, cela n’y change pas grand-chose.
D’autres aspects m’ont attiré. L’auteur « non-violent » - je mets entre guillemets car cela ne veut strictement rien dire pour moi - George Lakey, prétend vouloir éviter toute posture morale et toute caricature dans ce débat. De plus, il souligne à raison que nous allons beaucoup plus loin lorsque nous appliquons l’autocritique et l’affirmation de soi plutôt qu’uniquement la critique des autres manières de faire. Enfin, il prône l’action directe et déclare trouver plus pertinente la distinction êtes-vous pour la désobéissance ou non ? que la distinction êtes-vous pour la « violence » ou non ?. Pour faire simple : il est plus important de savoir si nous sommes prêt-e-s à occuper, bloquer, gréver, saboter ou non que de savoir si nous sommes prêt-e-s à insulter, frapper, briser, brûler ou non.
Mais… là où ce petit livre déçoit particulièrement, c’est que s’il prétend vouloir en faire une question stratégique, dans les faits :
Il affirme que les tactiques « violentes » n’ont jamais fonctionné, mais il n’explique pas pourquoi (mise à part son interprétation de mai 1968).
Il ne définit jamais ce qu’il entend par « violence ». Comme si ce que l’on entend par « violence » coulait de source, or rien n’est moins faux. Il l’utilise, sans surprise, comme une catégorie fourre-tout et à connotation négative. Pourtant, le terme provient étymologiquement de « force », qui n’est en soi ni négatif ni positif. On sait aussi que faire irruption sur un plateau télé, empêcher quelqu’un de parler, arracher une banderole, recouvrir de pisse un-e fasciste, séquestrer un-e dirigeant-e d’entreprise, bloquer une route, casser la caméra d’un-e journaliste, briser une vitre, utiliser des images choquantes, et une centaine d’autres cas de figure sont, tour à tour, des choses violentes pour certaines personnes et pas pour d’autres. Cette catégorisation binaire tient du piège [2] dans lequel les activistes qui se définissent « pro-violence » ou « anti-violence » aiment à s’enfoncer. Le but n’est pas d’invoquer une tolérance hypocrite à la diversité des tactiques, mais de s’opposer sur des choses concrètes qui nous divisent réellement, pour de bonnes raisons, plutôt que sur des concepts flous au possible, des dogmes.
Il fait le choix de ne retenir que des exemples qui confirment, selon lui, sa posture de « non-violence ». De ce fait, il décide de mépriser, d’ignorer, toute une partie de l’histoire populaire. Quid du rôle de l’usage de la force concernant, pèle-mêle, les ZADs, les Goodyear, les anarchistes contre Franco, les comités d’autodéfense en Egypte en 2011, les intifadas en Palestine, les barricades lors de la bataille de l’eau en Bolivie, etc. ? De plus, il n’explique jamais en quoi ce serait l’aspect « non-violent » des luttes qu’il cite qui aurait été déterminante pour la victoire et il fait l’impasse sur le fait qu’une lutte (a fortiori d’indépendance, exemple de lutte qu’il utilise beaucoup dans le livre) n’est jamais exclusivement « violente » ou « non-violente » [3]. Ce n’est pas le fait d’utiliser ou non la force qui fait d’une lutte son caractère révolutionnaire non plus. Enfin, il prend pour acquis le fait que l’adhésion des « masses populaires » (qu’il ne définit pas) disparait forcément à chaque fois qu’on utilise la « violence », sans expliquer pourquoi.
Non la « non-violence » n’a pas fonctionné en tout temps, en tout lieu et en tout contexte. Et, non, la « violence » non plus. Tout simplement parce que cette distinction conceptuelle bornée ne s’encre pas dans la réalité, parce que ce n’est pas à ce niveau que se situent les variables fondamentales d’une lutte victorieuse ou défaite. Si on veut réellement penser stratégie contre le capitalisme, il faut être capables de voir plus loin et de se libérer de ces catégories qui nous désarment, nous enferment dans des identités inutiles.
[1] http://agirpourlapaix.be/publication-10-mythes-sur-la-lutte-non-violente/
http://www.quinoa.be/blog/10-mythes-sur-la-lutte-non-violente/
[2] Je suis d’ailleurs intéressé d’apprendre d’où nous viennent historiquement et anthropologiquement ces catégories, si vous en savez plus …
[3] Le meilleur texte que j’aie lu jusqu’à présent sur la question parle en partie de cela : « L’idéologie de la non-violence en question », Milo, Tumult n°6, septembre 2012. https://nantes.indymedia.org/system/file_upload/2016/04/11/13487/timult-06-201209-ideologie-non-violence.pdf
Les justifications de Lakey se trouvent peut-être dans les œuvres qu’il référence, mais rien dans ce petit livre en tout cas.
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