Le texte qui suit revient sur un certain nombre de problèmes politiques de fond, internes au milieu militant parisien, et ayant entraîné des menaces, tentatives d’intimidations et d’agressions. Pour ne pas enfermer ces problèmes dans leur point d’explosion, mais pour en exposer la lame de fond afin d’éviter de se limiter à une guérilla stérile, j’entends les exposer ici point par points, comme autant de point à débattre aussi largement que possible dans nos milieux.
La confusion qui va
1 -La question de l’antisionisme et de l’antisémitisme.
2-La question de l’antifascisme.
3-La question des postures militantes.
4-De la dérive stalinienne à la dérive droitière.
5-Racisme colonial en milieu militant : le retour de bâton.
Téléchargez le texte format brochure ici :
http://pdf.lu/4vXk
1 -La question de l’antisionisme et de l’antisémitisme.
Cette question concerne un malentendu courant, à savoir qualifier de « sionisme » la politique de l’Etat d’Israël. Le sionisme fut un mouvement politique assez large et complexe, comportant plusieurs tendances, mais dont certains s’accordent à dater la fin en tant que tel en 1948, date à laquelle l’état d‘Israël est créé. Le « sionisme » désignera alors plus simplement l’idéologie nationaliste religieuse utilisée par cet état pour justifier sa politique colonialiste et raciste. Toutefois, cela ne signifie pas que les conceptions dissidentes du sionisme ont disparu, et celles-ci ne s’opposent pas moins frontalement et directement à la propagande officielle de l’état d’Israël qu’un simple « antisionisme ». Si le « sionisme » est néanmoins le nom que l’on donne couramment à l’idéologie dont cet état se drape, ce terme ne convient cependant pas pour définir sa politique.
On peut avoir une lecture matérialiste des régimes politiques, c’est à dire du système institutionnel au sens formel (empire, monarchie, république, totalitarisme etc.). Le régime politique est à différencier du mode de gouvernement, qui correspond quand à lui, au mode d’intervention du pouvoir sur un objet politique qu’on appelle la « population », objet politique spécifique au capitalisme et qui est avant tout compris comme l’ensemble de la force de travail. Par exemple, le « fascisme » est un mode de gouvernement de la population, qui correspond, entre autre, en une mobilisation populaire détournée de la revendication sociale vers une revendication nationaliste, et menée de façon disciplinaire par un leader, avec un encadrement de la jeunesse etc. Le fascisme peut exister avec ou sans régime totalitaire associé (il démarre même comme mouvement d’opposition). Le « colonialisme » est un autre mode de gouvernement d’une partie de la population dont on a annexé le territoire pour y étendre la souveraineté d’un état, et qui va jouir d’un statut et/ou d’un traitement particulier par rapport au reste de la population. Il peut être déployé par différents types de régimes politiques (Empires, Monarchies, Républiques etc.). Bref, régime politique et mode de gouvernement ne sont pas à confondre. On peut également citer des formes politiques qui font directement corps avec un stade déterminé du capitalisme, comme « l’impérialisme » dont la qualification est à la fois politique et à la fois économique.
Les différents régimes et modes de gouvernement peuvent se prévaloir de différentes idéologies, il n’en demeure pas moins qu’il ne faut pas confondre une idéologie politique avec un régime politique ou un mode de gouvernement. Amalgamer l’idéologie sioniste à la politique de l’état d’Israël reviendrait à amalgamer l’idéologie marxiste à la politique de l’URSS stalinienne. Le désaccord sur la question de « l’antisionisme » ne réside donc absolument pas dans une quelconque défense de l’Etat d’Israël, mais dans un recadrage de la définition du « sionisme » : comme idéologie, et non pas comme régime ou mode de gouvernement. A partir de là « l’antisionisme » a un sens pour de nombreux camarades juives et juifs voulant affirmer leur dissociation de cette idéologie : très bien. Mais que ce terme soit brandi par les anticolonialiste de gauche, au lieu de se déclarer plus simplement « anticoloniaux », prête à une confusion sémantique qui a l’effet pervers d’essentialiser le débat en empêchant une lecture matérialiste de celui-ci, et entraînant des effets racistes très concrets et immédiats.
Les analyses idéalistes, qui se focalisent sur les discours et les idéologies au lieu d’analyser les formes politiques et leurs rapports avec la structure du capitalisme, prêtent à l’essentialisation du débat : faute de trouver une explication matérialiste, économique et sociales, à une situation, on se rabat alors sur une lecture typiquement réactionnaire, à savoir une lecture culturaliste qui tend à opposer des « peuples », des « nations » ou encore des « cultures ». C’est exactement le même type de lecture que ceux qui ont un « anti- islamisme » obsessionnel mais qui n’analysent pas la structure et les pratiques des organisations politiques réactionnaire se réclamant de l’Islam, pour se focaliser uniquement sur leur spécificité religieuse comme si tout le reste en dérivait nécessairement. Or, le mode de gouvernement par la terreur peut être analysé politiquement comme une forme de proto- fascisme, qui n’a d’ailleurs rien à voir avec l’Islam, et qu’on pourrait même qualifier de produit typiquement moderne et occidental (un des premières formes contemporaines de ce que l’on appelle le « terrorisme » fut le gouvernement de la « Terreur » pendant la Révolution française). Malgré la barbarie de DAECH, il serait particulièrement suspect que des organisations de gauche majoritairement composées de blancs se mettent à porter l’étendard d’un « anti-islamisme » obsessionnel et virulent : ce qui importe avant tout ce sont la structuration et les pratiques politiques, et pas le paravent idéologique utilisé. Faute de quoi, non content de ne rien analyser de concret, on se prête dangereusement au discours raciste et impérialiste du « choc des civilisations ». Or, ce que cette théorie réactionnaire dissimule, c’est que le pseudo-choc des idéologies masque une simple concurrence d’intérêts dominants de la classe capitaliste selon des zones d’accumulation différentes du capital, c’est-à-dire que derrière des idéologies apparemment antagonistes se dissimule un même intérêt de classe.
De même, « l’antisionisme », en se focalisant sur la spécificité idéologique du colonialisme israélien tend à en occulter la lecture matérialiste, donc à essentialiser la question. Il faut rappeler que « l’antisionisme » est un vieux cheval de bataille antisémite que l’on retrouve y compris dans certains pays d’URSS. L’opportunisme politique de l’URSS de la Guerre Froide et sa nécessité de se trouver des alliances à conduit à une porosité de certains tiers-mondistes staliniens et maoïstes vis-à-vis des discours nationalistes, et ceci a encore des répercussions dans la droitisation de certaines franges de l’anti- impérialisme à l’heure actuelle. En outre, on peut rappeler que le lien avec l’antisémitisme existe en raison de l’histoire de l’URSS : on peut citer les purges antisémites du « complot des blouses blanches » en Russie ou encore le « procès de Prague » en Tchécoslovaquie, dont la teneur antisémite était dissimulée notamment derrière l’argument de « l’antisionisme ». L’anti-impérialisme et l’antisémitisme constituent deux passerelles classiques de l’extrême- gauche vers l’extrême- droite en France, dont les cas récents de Soral et Dieudonné sont assez emblématiques. C’en sont d’ailleurs des exemples tellement énormes qu’il y a de quoi s’interroger sur l’absence de réflexion plus poussée au sujet de la droitisation tendancieuse de l’anti- impérialisme, sur fond de complaisance stalinienne avec certains « nationalismes », ainsi que d’un « antisémitisme » larvé dans un discours « antisioniste » confus et très affectif. Toutes les pseudo-critiques ayant été adressées à la mouvance Dieudonné – Soral ont toujours soigneusement évité de virer à l’auto- critique de ceux qui criaient à la « récupération » sans jamais interroger ce que la facilité de cette « récupération » pouvait impliquer de remise en question politique. Il n’y a pas « un » anti- impérialisme mais des dizaines de tendances différentes, il y a donc un ménage intellectuel à mener en permanence sur cette question comme sur n’importe quelle autre, notamment sur la lecture qui en est faite par les franges staliniennes et maoïstes françaises. Sauf que ce n’est visiblement pas la bonne volonté qui étouffe nos « camarades staliniens », qui préfèrent la menace et l’agression. On leur rappellera donc très à propos cette phrase tout à fait pertinente de Q.L : « La disqualification, à défaut de la clarification, peut amener certains chasseurs à ressembler de plus en plus à leurs proies ».
Inclure l’antisémitisme dans le « package » des oppressions structurelles, y compris au milieu militant, suscite une levée de boucliers qui a de quoi interroger : dans son article sur les « chasseurs de confusionnistes imaginaires » le blog Q.L se permet de nier purement et simplement l’antisémitisme de gauche. Ce blog se singularise généralement par un art assez bien maîtrisé du noyage de poisson dans de la rhétorique de mauvaise foi. On peut citer, parmi d’autres, deux de leurs articles à propos d’antisionisme et de confusionnisme, tout à fait éloquents : on y évite toujours d’argumenter positivement ses positions politiques et de les expliciter de façon pédagogique, à la place on procède à la disqualification a priori de la contradiction potentielle, en l’incarnant et la réduisant a un ennemi fantasmé que l’on brocarde à coup de délit par association, de prose indignée et de posture. Quartiers Libre n’aborde d’ailleurs généralement la question de l’antisémitisme que comme s’il s’agissait seulement d’un discours dont l’unique effet néfaste serait de discréditer/récupérer la lutte pro-palestinienne, mais jamais ils ne s’attaquent au problème de l’antisémitisme en lui-même, pour ce qu’il est. On retrouve un déni de la question du même type que chez certains marxistes orthodoxes qui n’analysent le racisme que comme un simple « faux discours » dont le seul effet néfaste concret serait de « diviser le prolétariat » (ce qui revient à nier le racisme en tant que rapport de domination en soi). Le Parti des indigènes de la république, dans un article d’Houria Bouteldja, essaie également de marginaliser politiquement la question de l’antisémitisme par le biais d’un bricolage philosophique avec la notion de « philosémitisme d’état ». Dans tous les cas, parler d’antisémitisme dans le milieu militant n’est souvent pas considéré comme une critique politique mais comme une insulte. Or, nier la dimension politique de ce terme est déjà révélateur d’un déni suspect sur la question. Comment considérerait- on un blanc qui, accusé de racisme, répondrait « Si tu me traites encore de raciste je te pète la gueule » ? Comme un raciste, bien sûr !
Bref, l’obsession « antisioniste », souvent très affective et virulente, me semble relever de l’antisémitisme larvé, et nous sommes de plus en plus nombreux à être dérangés par l’usage de ce terme, d’autant plus que celui-ci est totalement mal employé et confus. Ca n’empêche pas d’être « anticolonial », voir même de se déclarer « pro-palestinien », ça n’empêche pas de critiquer l’Etat colonialiste et raciste d‘Israël, ça implique juste de réfléchir aux termes employés pour traduire l’analyse, et aussi d’analyser pourquoi ce conflit particulier cristallise autant d’affects dans la gauche française dont il est devenue une revendication emblématique. Il ne suffira pas, pour esquiver la question, de taxer d’être des « sionistes » ceux qui essaient de soulever la question. Pour le reste, je ne considère pas que le terme de « sioniste » soit une insulte, mais une critique politique que les « antisionistes » sont tout à fait en droit de faire à une partie du milieu militant, de façon argumentée si possible. En totale absence d’arguments et de débat, je suis malheureusement davantage incité à analyser l’usage de ce terme comme un fourre-tout ou un repoussoir politique dissimulant une insuffisance théorique. Mais je reste ouvert au débat.
2-La question de l’antifascisme.
Il existe un antifascisme qui lutte contre le fascisme sur le terrain de la propagation de ses idées par la déconstruction de ses théories, la surveillance de ses organisations politiques et la révélation de leurs dessous de table, leurs fonctionnements, leurs dérapages, leurs scandales, etc. Ce travail d’enquête, d’information minutieuse, est très bien mené par un ensemble d’organisations spécialisées de longue date sur la question, comme « REFLEXeS » « Fafwatch » ou plus récemment « Le Naufrageur » et les « Morbacks Véners » pour ne citer qu’eux. Ainsi, certains ont beau jeu de critiquer les « babtous fragiles » et les « militants du clavier », mais en terme d’antifascisme politique on ne peut que reconnaître que ces
« petits blancs cachés derrière leurs PC » font un excellent travail pour mettre l’extrême-droite en difficulté réelle.
Pour ce qui est de l’antifascisme « de rue », si la défense physique face à l’extrême- droite est un moment inévitable des luttes, et qui doit être organisée collectivement il faut cependant noter deux choses.
Premièrement : il est contestable de vouloir faire de « l’antifascisme » une lutte politique spécifique, uniquement axée, en plus de ça, sur le terrain de la violence physique.
Sur la question de la violence, de l’aveu même de camarades ayant une certaine expérience du sujet, elle relève d’un mauvais choix stratégique : sur le terrain urbain l’extrême- droite a la gentrification de son côté, et sa force politique lui vient des médias bourgeois qui diffusent ses idées, en plus de la crise économique et du délitement des liens sociaux. L’extrême-droite gagne ainsi à déplacer le terrain de l’affrontement du terrain politique à la guerre de bandes : outre la dépolitisation progressive et la marginalisation groupusculaire que le choix de ce terrain entraîne, elle gagne au jeu de la surenchère de la violence parce que, en plus de sa position dominante du point de vue de classe, ses fractions violentes le sont toujours plus que les nôtres. On ne gagne pas au jeu de la barbarie contre des barbares, on y perd simplement son temps, son énergie, ses dents et ses procès.
Deuxièmement : cette autodéfense doit être traitée le moment venu et collectivement. Les groupes d’autodéfense sont justifiables quand ils sont le fait d’une minorité non-mixte (groupes d’autodéfense féministes, Black- Panthers etc) devant constituer sa défense face à des agressions répétées. Ce qui n’est pas justifiable, et qui est très problématique, c’est la création de petits groupes mixtes et sectaires qui se spécialisent dans la violence physique et en accumulent et monopolisent les moyens, parce qu’ils sont alors libres de laisser planer des menaces vis-à-vis de tout le monde et de n’importe qui, à propos de n’importe quoi, et c’est précisément l’actuel problème que pose bon nombre d’antifascistes.
Troisièmement, sur la question de la spécificité de cette lutte : être spécifiquement « antifasciste » ne veut rien dire, de la même manière qu’être exclusivement « anti-répression » ne voudrait rien dire. Ce sont des moments des luttes, pas des identités politiques. L’antifascisme actuel crée le problème de diluer toutes les luttes spécifiques (notamment l’anti-sexisme, antiracisme, lutte contre l’antisémitisme, anti-homophobie, anti-trans-phobie) dans un espèce de grand fourre-tout qui dépossède les premiers concernés de leur autonomie sur ces questions, qui amalgame des problématiques qui doivent être pensées dans leurs spécificités respectives, qui aplanit leur analyse et qui les réduit finalement à des lectures moralistes et politiciennes.
Pour aller plus loin dans l’analyse de la montée en puissance de l’antifascisme dans le milieu radical parisien ces dernières années, on peut observer que l’antifascisme a progressivement trusté l’espace laissé vacant par le « milieu toto » pour incarner le « gauchisme ». Ici il faut faire un peu d’histoire récente : ce que l’on appelait le « milieu toto » correspondait à une brève période du nouveau cycle de lutte qui s’ouvre après la contre-révolution des années 80 à 90. Nouveau cycle de lutte donc, dont le « point de départ » fut le mouvement de 1995. Une brèche s’ouvrit à la gauche de la gauche, brèche où se développa un laboratoire d’expérimentations radicales, aussi bien théoriques que pratiques : ce fut ce que l’on a appelé approximativement la « mouvance anarcho- autonome ». Celle- ci aura connu une bonne douzaine d’années d’activité à Paris : approximativement de 1998 (avec le mouvement des précaires) jusqu’à 2010 (avec le mouvement des retraites), dont une période d’apogée se situant entre le mouvement contre le C.P.E en 2006 et le mouvement contre la LRU en 2008. Depuis le mouvement des retraites, soit depuis 2010, la « mouvance » a lentement agonisé avant de disparaître et de laisser sa place à la « mouvance antifa », exactement comme en 1980 où les « chasseurs de skins » apparurent dans le sillage de la décomposition du mouvement autonome de l’époque. L’antifascisme reprend le pire des tendances autoritaires, folkloriques et virilistes du milieu toto mais sans aucun discours théorique ni aucun espace d’élaboration intellectuelle : on peut ainsi l’analyse comme un stade de « décomposition » du gauchisme, dont l’autonomie constituait la phase « d’expérimentation ».
3-La question des postures militantes.
Le teppisme (mot dérivé de « teppista » c’est-à-dire « voyou » en italien) n’est pas une nouveauté du gauchisme, dont il constitue également un révélateur de décomposition : il consiste en un mode d’organisation qui est celui de la « bande » avec des pratiques qui lorgnent du côté de la délinquance fantasmée, c’est-à-dire, en réalité, des méthodes de « petites frappes ». Le teppisme va avec une posture viriliste, dont il prône les supposées « valeurs » viriles de combat, d’honneur, de courage etc. Evidemment, en réalité, comme toutes les pseudo-valeurs morales, il s’agit d’un discours fétichiste qui dissimule des rapports de domination fondés sur le monopole des moyens de violence. Violence physique, mais également violence symbolique, dans la mesure où il s’agit d’une posture qui se nourrit aussi bien de la fascination qu’elle provoque que de la menace physique qu’elle fait planer sur ses critiques éventuelles. Face à ce double type de violence, l’auto-défense politique peut se servir très justement de l’arme de l’humour et de la dérision, parce qu’elle se place également sur le terrain symbolique. C’est donc tout naturellement ce mode que j’ai choisi suites aux menaces et aux insultes de postures provoqués par mon premier texte.
Pour en revenir aux valeurs prônées par le virilisme comme dissimulant des rapports de domination fondés sur la violence, si j’accuse les virilistes d’être des « lâches », ce n’est pas un qualificatif moral : leur lâcheté n’est pas un manquement à une valeur positive qui serait le « courage », elle est simplement le mode de manifestation normal, propre à leur structuration politique, dont elle constitue la réalité même. Pour le dire simplement : le « virilisme courageux » c’est comme le « capitalisme juste » ou la « république de l’égalité », les discours de valeur masquent une réalité tout à fait contraire. Un antifasciste avait un jour dit devant moi que « les trois seules choses déterminantes dans un combat de rue sont : être plus nombreux, avoir la meilleure arme, frapper par surprise ». Il avait oublié la suite, à savoir qu’après ça il ne reste qu’à réécrire l’histoire derrière son clavier avec une bonne grosse dose de mythomanie pour broder un récit de guerriers héroïques quand on gagné, ou se draper d’indignation quand on a perdu. Voila la réalité de la « vraie vie du monde réel » : les concours de bites sont des concours de lâcheté doublés ensuite de concours de mythomanie…rien de plus ! Bienvenue dans le monde magique de la virilité !
Le virilisme teppiste peut également recycler certaines formes de contre-cultures populaires, dont la plus récemment à la mode chez les antifasciste est la culture « ultra ». A la décomposition du mouvement social français et du milieu radical parisien est venu se rajouter, en plus, la décomposition du mouvement des tribunes de stade qui, en temps normal, peut lui servir de gouttière, mais qui connaît depuis plusieurs années une répression assez féroce de la part de l’état qui s’en sert de « cobaye » pour tester son arsenal sécuritaire. Le va-et-vient, dans les deux sens, entre les mouvements sociaux et les tribunes est un phénomène qui s’observe historiquement dans plusieurs pays, notamment en Italie post- mouvement autonome. Le stade constitue un vivier de sociabilités populaires, et c’est d’ailleurs à ce titre que le mouvement ultra est la cible de la répression de l‘état bourgeois. Or, à la lente agonie du milieu radical après le mouvement des retraites est venu s’ajouter celle du stade parisien : ainsi ceux qui seraient normalement allé défouler au stade leur envie d’adrénaline ont investit, par dépit, ce qui restait de milieu « radical » parisien, qui lui-même ne se portait pas très bien et cherchait désespérément tout ce qui pourrait combler son manque d’adrénaline et de virilisme. Il n’est pas nouveau que l’impuissance politique réelle du milieu militant se traduise par une surenchère dans le symbolique, le virilisme et le folklore : on est d’autant plus « violents » en parole qu’on est réellement frustrés et impuissants à s’organiser en pratique pour lutter contre l’exploitation. Résultat : l’antifascisme folklorique, qui lorgne vers une posture de « hooligan » fantasmée, a bénéficié d’une certaine bienveillance du milieu radical, dans la mesure où il répondait à sa demande de défoulement et satisfaisait ses petits fantasmes de virilité pour oublier son impuissance et sa frustration militante. Sauf qu’après avoir ébloui tout le monde avec leurs grosses couilles symboliques ceux- ci commencent de plus en plus à poser problème politiquement, à tous les niveaux, et chacun commence à se rendre compte que le milieu militant est impuissant à faire la garderie… outre le fait qu’il a mieux à faire. On peut citer, encore une fois, la très juste phrase de Q.L à propos du cas de l’ancien militant chasseur de skins « OG Kim » : « L’explication est simple : dans les années 80, l’idéologie dominante dans la rue était d’extrême gauche. Pour légitimer une action violente en passant pour un bon petit gars, il valait mieux être un soldat de la cause antiraciste et égalitaire. ». Merci, tout cela est très bien résumé.
Associée à cette posture viriliste, on retrouve fréquemment la posture d’être des « vrais militants », de « terrain », sur laquelle il convient de s’arrêter brièvement. Si cette appellation peut s’appliquer aux syndicalistes et membres de collectifs de lutte sur des questions concrètes (logement, précarité, éducation populaire etc.) il n’en va pas de même pour les questions politiciennes. Pour prendre l’exemple que nous avons sous la main, « l’anti- impérialisme » en France, concrètement, quel est son terrain en dehors : du blog, de la conférence universitaire, de la table de presse, de la manif du week- end et, éventuellement, du concert de soutien ? Ah, on oublie : aller se bagarrer avec la LDJ, ce qui a pour effet, on le sait, de libérer chaque jour un peu plus la bande de Gaza. Bref, en fait de « vrai terrain » il s’agit toujours de l’entre- soi gauchiste tout ce qu’il y a de plus banal, avec simplement une touche de virilisme ajoutée, ce qui fait fantasmer à ses membres d’être dans une « authenticité » quelconque et leur permet de s’imaginer être en-dehors, ou « au dessus » d’un entre-soi militant qu’ils ne méprisent que du point de vue de son manque de virilité symbolique. Evidemment, il est toujours plus valorisant d’être dans les « luttes » purement politiques que dans les luttes sociales, trop concrètes, symboliquement peu valorisantes et demandant trop de travail quotidien avec peu de résultats, si ce n’est sur du très long terme. On s’en tient donc principalement à du « gauchisme identitaire », propre à la forme partisane sous ses diverses déclinaisons informelles et/ou groupusculaires : ceci consiste en un perpétuel tourisme militant en « soutien » à telle ou telle cause, une espèce de mercenariat activiste bénévole permanent pour toutes les luttes qui traînent, histoire de s’amuser un peu, de faire sa petite carrière et d’éviter surtout d’avoir à penser politiquement sa propre situation économico- sociale. Comme nous le disions en substance à une copine de la F.A un jour, l’éternel problème est qu’il est plus valorisant sur le plan symbolique de faire dans la sociabilité politicienne et de lutter pour les autres plutôt que de s’occuper déjà de sa propre condition économico- sociale, de monter une section syndicale dans sa boîte ou un collectif sur des problématiques qui nous concernent directement. Sauf que pour être « concrète » une lutte doit avoir un ancrage social, elle doit proposer des perspectives d’agir sur nos conditions de vie matérielles directes, ce qui a peu de choses à voir avec le fait de constituer des clubs de lectures, d’organiser des événements politico-culturels ou de constituer des petits groupes rivaux.
Quiconque à réellement milité dans le 11e et le 20e, du côté de Belleville, Couronnes, Ménilmontant connaît ce fossé qui existe entre les habitants de ces quartiers et les gauchistes qui y squattent à longueur de temps pour y organiser leur racolage politicien sans mouvement ni travail de fond. En réalité, et c’est un secret de polichinelle, dans les « quartiers populaires » ce sont encore les associations apolitiques, socedem’ et catho-humanistes, les MJC et les quelques syndicats qui font le meilleur travail concret et quotidien pour instaurer des espaces de sociabilités ouverts à un public plus large qu’un entre- soi militant sectaire, extrêmement normé et normatif, folklorique et socialement très homogène. Permanences, point information jeunesse, santé, logement, droits sociaux, ateliers divers et variés, sorties, voyages… évidemment tout cela ne débouche pas sur des luttes en raison de la dépolitisation des ces structures. Sauf qu’a contrario, le milieu militant, malgré sa politisation en discours, ne fait strictement rien d’intéressant, ou bien se contente de colporter sa bonne parole auto-satisfaite par voie de presse, d’autocollant ou de manif-concert pour attirer, sans succès, le consommateur de politique. Investir ces structures pour en faire des base d’appui des luttes est la stratégie de très long terme, proche du syndicalisme révolutionnaire, que je me suis fixé avec quelques camarades, j’ai donc fini par totalement déserter le milieu gauchiste identitaire. Ce travail de fourmi n’est, évidemment, soumis a aucune rétribution symbolique de la part de l’entre- soi gauchiste, on ne me connait donc dans ce milieu que sous l’étiquette tout à fait médiocre du « type qui écrit AQNI ».
4-De la dérive stalinienne à la dérive droitière.
Le blog « Q.L », en plus d’avoir une ligne idéologique stalinienne assez brouillonne et confuse, pose également le souci de faire avancer celle-ci masquée derrière une posture de virilisme populaire qui, si elle n’est pas neuve dans le gauchisme, surtout chez les staliniens, est toujours aussi problématique. Elle agite quasi-exclusivement la figure d’un prolétariat masculin, jeune et viril qui fait parfaitement écho aux fantasmes médiatiques et sécuritaires de la presse bourgeoise. Outre son aspect immédiatement ridicule, cette posture pose problème parce que son essentialisme folklorique est un barrage à une lecture de classe et à l’analyse sociologique. Pour donner un exemple très concret, une copine nous faisait récemment remarquer en riant que Q.L préféraient représenter le prolétariat sous les traits des héros masculins virils de série ou de film américains alors que : « Mettre en photo des mères célibataires en train de bosser ou d’élever les gosses seules ça aurait moins de gueule tout de suite, pourtant la réalité des quartiers populaires ressemble d’avantage à ça ». Tout est dit et très bien résumé !
Posture démagogique dans la mesure où Q.L reste un simple « blog », qui, en fait de « militantisme » ne fait que proposer, derrière un ordinateur, une ligne politicienne bien spécifique, à savoir grosso- modo le recyclage des vieilleries tiers-mondistes staliniennes ayant résisté à l’effondrement du Bloc Soviétique. Rien de neuf, l’offre politique classique de l’extrême- gauche pour les quartiers populaires se résumant à peu près toujours au triptyque : Palestine – Black-Panthers – Crimes policiers. Pourquoi pas ? Mais vouloir s’y cantonner exclusivement provoque un appauvrissement considérable : mutations de l’organisation du travail, y compris du travail domestique, syndicalisme, l’école comme outil de reproduction sociale, mal-logement, précarité, accès à la santé, invisibilité des minorités sexuelles et de genre en situation de précarité, discrimination raciale à l’embauche, lecture de classe du point de vue de la complexité et non du folklore… tout un pan de ce qui pourrait authentiquement être intéressant du point de vue des luttes du prolétariat actuel sur des questions concrètes est absent. A la place il s’agit de faire passer une ligne idéologique qui n’a absolument rien d’original dans le gauchisme français, mais avec cependant un marketing bien plus travaillé qui permet un entrisme politicien en douce un peu partout où la demande de posture existe, notamment dans les restes du milieu libertaire. Les termes de « quartier » ou de « peuple » y sont mis à toutes les sauces, le but étant de ne surtout pas parler de classes sociales ni de prolétariat, et surtout pas de prolétariat dans sa réalité, à savoir une réalité triviale, complexe et stratifiée, qui ne correspond pas franchement aux images d’Epinal issues des séries américaines de HBO ou de la culture hip-hop. Quartier Libres ne possède pas le monopole de cette dérive qui lorgne tendancieusement vers une certaine forme de populisme, ils en sont simplement les promoteurs actuellement les plus côtés sur le marché de la radicalité politique parisienne en raison d’un talent marketing qu’on ne leur reniera pas, et surtout d’un vide politique laissé par le milieu radical habituel.
Dans une autre sphère du gauchisme, assez voisine, le Parti des Indigènes de la République, sous couvert de représenter une « cause Indigène » et « anti- coloniale » uniforme et monolithique (dont ils auraient évidemment le monopole de la représentation légitime) tendent en réalité à afficher une ligne politique qui assume de plus en plus ouvertement de regarder du côté du nationalisme arabe. On assiste à une liquidation en douceur de la critique de l’économie politique, de l’analyse de classe ainsi que de l’histoire des mouvements ouvriers et marxistes arabes. Au texte « Pour une analyse matérialiste de la question raciale » le Parti des indigènes de la république s’est contenté de répondre, en substance, et en toute mauvaise foi « Nous n’empêchons personne de faire cette analyse », de la même manière qu’un journaliste ne choisissant systématiquement de ne parler que des certains sujets et jamais d’autres rétorquerait : « Mais je n’empêche personne de s’y intéresser ». Cependant, ils omettent de prendre en compte le fait qu’en tant que force politique détenant des moyens de production intellectuelle conséquents, le fait de faire l’impasse sur un certain nombre de lectures et d’analyses relève d’un choix politique de leur part, choix dont on peut, à juste titre, leur demander d’assumer la responsabilité, parce qu’elle participe d‘une liquidation en douce de ces problématiques. Liquidation en douceur au terme de laquelle le liquidateur, feignant la naïveté, parvient à imposer sa propre lecture idéologique en la justifiant au nom d’un « vide » qu’il a lui-même contribué à creuser.
On peut ainsi citer Yousseph Boussoumah :
« Nous devons renouveler le projet nationaliste arabe en tenant compte des dérives autoritaires des expériences passées, mais aussi en tenant compte des expériences nationalistes actuelles en Amérique latine par exemple. Résistance à l’impérialisme et Résistance à l’occupation des terres arabes par le colonialisme sioniste en Palestine, Liban, Syrie (Golan), Turquie (Iskandaroun), démocratie populaire avec rejet de l’autoritarisme, partout, développement économique autocentré, développement de la solidarité tiers-mondiste. Mais en aucun cas il ne faut délaisser le nassérisme, la seule expérience arabe qui historiquement a inquiété l’impérialisme et le sionisme avec Hezbollah au Liban. S’il existe quelque chose de mieux j’aimerais connaître. »
Quelle candeur ! Des années d’études, de formation politique et de prétention intellectuelle pour en arriver là, à l’argument négatif du « faute de mieux ». Un parti politique vieux de dix ans qui en vient ouvertement à une ligne idéologique justifiée au nom d’un « On a renoncé à continuer de se casser le cul à étudier le sujet, on prend le premier truc qui reste faute de mieux ! » ferait mieux d’en tirer les seules conclusions qui s’imposent en mettant la clef sous la porte. En tant que racisé si c’est là la seule conclusion politique que le Parti des indigènes de la république me propose on peut dire que la déception est de taille, j’en rigolerais presque de dépit : je dois donc aller prendre ma carte pour renouveler le « projet nationaliste arabe » ? Après tout, le principal objectif qui doit me préoccuper naturellement est de « réussir à inquiéter le sionisme ». Obsession sur la question dites- vous ? Et moi qui me prenait sottement la tête avec mes problèmes de logement, d’accès à la santé et d’insertion sur le marché du travail alors que la lutte contre les « formes de domination impériale, coloniale et sioniste qui fondent la suprématie blanche à l’échelle internationale » m’attendait.
5-Racisme colonial en milieu militant : le retour de bâton.
Une fois cela posé, il faut bien reconnaître que le succès de ce genre de marchandise politique résulte aussi de la nullité de l’offre qui l’avait précédé, c’est-à-dire de l’impuissance du milieu radical parisien à se montrer à la hauteur des enjeux politiques qui l’attendaient, à savoir : réussir à dépasser la simple sublimation romantico- théorique de la petite classe-moyenne intellectuelle blanche qui constitue l’essentiel de sa composition sociale. Résultat : les postures virilistes populistes et les complaisances nationalistes paraissent toujours plus tangibles que le lyrisme appelliste, le moralisme anarcho- individualiste et le baratin philosophico-marxiste indigeste de « Théorie Communiste ». Ajoutons à cela le racisme colonial islamophobe de la gauche, y compris du milieu libertaire « mainstream » qui ont dégoûté toute une partie de leurs anciens membres, ou sympathisants, et l’on comprendra que beaucoup soient allés chercher ailleurs une analyse plus concrète que la métaphysique humaniste du gauchisme français. L’analyse sociologique y est à la traîne derrière la philosophie, la critique du scientisme y est inexistante, la critique de l’ethnocentrisme fait à peine semblant de se montrer, aussitôt reléguée à du « relativisme culturel ». Cette pseudo-radicalité très « franchouillarde » montre extrêmement vite ses limites et déçoit rapidement par son incapacité à penser les problématiques, dès lors qu’elles sont un tout petit peu plus spécifiques que « l’émancipation de l’Humanité » enrobée de lyrisme insurrectionnaliste. Les déceptions et les gueules de bois en cascade ont été sévères pour une bonne partie des militants qui pouvaient avoir une sensibilité libertaire, et la dernière en date, à savoir celle de janvier 2015, n’a pas été une des moindres. Or une des particularités des fractions maoïstes du milieu militant français (même si elles ne sont tout de même pas les seules) est leur prise en compte de la spécificité coloniale du prolétariat français, de la ségrégation urbaine et de sa gestion raciste et policière, discours toujours plus concret que les discours abstraits à propos d’un « prolétariat » monolithique. La réalité du prolétariat est une réalité stratifiée, l’unité de classe sur le plan de la critique de l’économie politique dissimule des réalités sociologiques extrêmement contrastées, à côté desquelles le marxisme et l’anarchisme orthodoxes passent souvent totalement à côté, principalement en raison de la composition sociale de leurs rangs et du racisme structurel du milieu militant. Il ne faut donc pas s’étonner de la désertion du milieu libertaire, et du ressentiment qu’il provoque, quand on analyse la façon dont il est totalement à la ramasse sur ces sujets, et la façon dont il a lui-même répondu aux critiques par une arrogance et un mépris qui dénotent purement et simplement du racisme.
De la même manière que l’on peut reprocher à certains antisionistes de n’analyser l’antisémitisme que du point de vue du fait qu’il constituerait un « mauvais discours », on peut reprocher aux gauchistes blancs de n’avoir également analysé le « racisme » que comme un « faux discours » dont le seul effet néfaste serait de diviser le prolétariat. Confort intellectuel qui va de pair avec une position dominante. Il faut le rappeler : non, ce ne sont pas les « discours » qui divisent le prolétariat, ce sont les différents rapports de domination objectifs qui lui sont transversaux, comme le sexisme, le racisme etc. Le prolétaire blanc raciste ne se « trompe » pas d’intérêt, au contraire, il défend une partie de ses intérêts égoïstes, de court terme, mais néanmoins ses intérêts réels, objectifs. C’est pour cette raison que la lute anti- raciste doit être menée, comme les autres, en non-mixité par les concernées, et qu’il est hors de question de la diluer dans un grand fourre- tout politicien qui serait « l’antifascisme ».
Une partie du succès politique de certaines organisations ne repose pas sur des arguments rationnels mais sur des éléments symboliques et affectifs, leur image et leur posture. Or, pour combattre une posture il ne faut pas seulement la démonter d’un point de vue argumentatif mais il faut la tourner en dérision du point de vue symbolique afin de la ridiculiser pour qu’elle ne soit plus « cotée » sur le marché politique, pour désamorcer la violence symbolique dont elle est porteuse.
Ceux qui sont intéressés par le débat en toute bonne foi peuvent me contacter à l’adresse mail ci-dessous.
A.Q.N.I
aqni@riseup.net