La Révolution est en danger !
Le Prolétariat est abandonné !
La Bourse du Travail est menacée !
Les nombreux bars et cafés avoisinant ce monument se remplissent des rumeurs et du bruit des conversations animées des travailleurs syndiqués, conversations qui se prolongent encore plus tardivement quʼà lʼordinaire, à grand renfort de tournées.
Il paraît que lʼétang bourbeux des grenouilles ouvrières va être troublé par un nouvel épisode de la lutte commencée depuis longtemps déjà, dans les syndicats entre les réformistes et les révolutionnaires.
Comme, cette fois, les réformistes semblent avoir la victoire, cʼest lʼexplication de lʼaffolement de leurs adversaires voyant se produire une crise redoutable de laquelle ils sortiront bien affaiblis.
Le prétexte donné est lʼagitation des récentes réunions véhémentes organisées à lʼoccasion du voyage de M. Alphonse numéro treize, violences et excitations demeurées du reste dans le domaine platonique des coups de gueules (nʼen soyons pas étonnés).
Ces Messieurs du Conseil Municipal ont bien tort de prendre ombrage pour si peu de chose, quʼauraient-ils fait si les agitateurs avaient agi au lieu de se borner à conseiller de le faire.
Sʼils ont prononcé à la tribune des paroles incendiaires contre le petit roi, en revanche on ne les a pas vus sur le parcours où ils auraient pu appliquer leur thèse. (Mais, passons, nʼen parlons plus).
Quoiquʼil en soit, les socialistes vont en profiter pour refondre le règlement qui régit la Bourse du Travail.
La représentation des syndicats sera proportionnelle au nombre des adhérents et comme les syndicats les plus nombreux (Fédération du Livre, Travailleurs municipaux, Gaz, etc.) sont imbus dʼidées modérées, il est certain que les révolutionnaires et les libertaires vont se trouver chassés de la place.
Lʼoeuvre de lʼaction directe préconisée par ces derniers semble bien compromise.
Encore une illusion qui sʼenvole !
Les anarchistes en entrant dans les syndicats avaient manifesté lʼespoir que leur intrusion put les modifier, en en faisant des milieux dʼagitation et des centres dʼéducation.
Ils se sont leurrés, aucune évolution semblable ne sʼest produite, les mentalités sont restées les mêmes, la bibliothèque nʼest pas plus fréquentée, les syndiqués lui préfèrent toujours le comptoir.
Le rapprochement de lʼAnarchie et du Syndicat nʼa engendré que ce fœtus — la journée de huit heures — qui nʼarrivera même pas à son terme — le premier mai 1906.
Oui, cʼest pour des foutaises de ce genre (journée de huit heures, repos hebdomadaire, bureaux de placement, etc.) que des anarchistes plus ou moins énergiques se sont englués dans les syndicats.
Anarchistes, ai-je dit ?
Un doute me vient. — Sont-ce bien des camarades qui sont entrés dans ces organisations broyeuses dʼindividus ; sont-ce bien des anarchistes pour se plier ainsi aux exigences ridicules des règlements de ce parlement ouvrier ! Je préfère croire quʼils nʼont jamais compris dʼune façon intégrale la valeur et la force de la philosophie anarchiste basée toute entière sur lʼautonomie et le développement complet de lʼindividu.
Cet événement, en chassant les illusions que des camarades sincères pouvaient avoir encore, aura un heureux résultat.
Ce nouveau règlement, en détruisant la légende syndicaliste révolutionnaire « chère à M. G. Paul », ramène le syndicat à sa conception véritable (bureaux de placement, centre purement professionnel et corporatif, assurance contre le chômage et la maladie, en un mot société mutualiste).
Saluons donc cet événement qui va permettre aux camarades sincères moisissant dans ce milieu infect de revenir parmi nous se livrer à un travail utile, à une propagande efficace. Espérons quʼils ne seront pas tous atteints dʼune façon incurable.
Syndicalistes, puisque la besogne illusoire à laquelle vous vous adonniez, va vous être rendue impossible, venez nous aider à réaliser lʼharmonie individuelle par laquelle sera obtenue lʼharmonie sociale si désirée !
Cela vaudra mieux que de consolider la société actuelle par la contribution au rouage syndical qui est une adaptation à lʼorganisation capitaliste.
André LORULOT
P. S. — On mʼapprend (sous toutes réserves) que la commission administrative de la Bourse du Travail, a décidé de soumettre au Conseil municipal un projet de règlement amendant celui de M. Lajarrige.
Ce projet supprimerait tous les rouages inutiles dans la C. G. T (secrétaires de syndicats, prudʼhommes, délégués, élections, cotisations, paperasses, etc.) pour ne conserver que le strict indispensable au bon fonctionnement de la machine syndicale.
Je doute que ce projet prévale, mais, par la même occasion je conseille à nos amis de ne pas hésiter à rejeter du sein de la C.G.T. toutes les corporations inutiles (alcool, tabac, armes, bureaucratie, etc.).
A toi, L. A. Borieux
A. Lor.
lʼanarchie n°15, jeudi 20 juillet 1905