Depuis 1989, on n’est pas seulement passé du catholicisme à l’islam, soit d’une religion majoritaire, historiquement liée à l’État, à une religion minoritaire, qui bénéficie très peu des financements de l’État : sur les 17% d’élèves scolarisés dans des écoles privées sous contrat, 2 millions sont inscrits dans les 8000 écoles catholiques, contre 2000 pour les trois écoles musulmanes…
Dans le discours sur la laicité, on a aussi basculé de l’État à la société. C’est un renversement, de la laicité comme liberté des individus face à l’État à la sécularisation comme injonction de l’État aux individus. Le glissement de sens du mot « public » en est le signe : hier encore, il renvoyait à l’État – en particulier s’agissant de l’école publique. Aujourd’hui, il s’étend à l’espace public, qu’il s’agit de neutraliser, soit une manière de cantonner l’expression religieuse à la sphère privée.
Bref, la « nouvelle laicité » préconisée par François Baroin en 2003, loin de prolonger une histoire républicaine, est radicalement nouvelle ; les juristes Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin l’ont démontré à propos de l’affaire de la crèche Baby-Loup, elle n’a pas grand-chose à voir avec la loi de 1905. Comme le dit sans ambages l’historien de la laicité Jean Baubérot, c’est une « laicité falsifiée ». En fait, la « nouvelle laicité » n’est pas laïque, bien au contraire. C’est une forme de religion qui prétend imposer sa croyance à toute la société.
C’est pourquoi il me paraît important de ne plus accepter les distinctions médiatiques entre « deux conceptions de la laicité », l’une exigeante ou stricte, l’autre laxiste ou tolérante. Aujourd’hui, ceux qui n’ont que ce mot à la bouche, mais qui n’ont que l’islam en tête, ne doivent plus être qualifiés de « laïcards » ; en réalité, ce sont de faux dévots de la laicité. Ne faisons pas le cadeau à ces Tartuffe de les prendre pour des laïcs, et moins encore de leur abandonner la laicité : c’est en son nom qu’il faut les combattre.