Il y a des années, lorsqu’une féministe m’a dit sur internet que j’étais « privilégiée » :
« Put*** de quoi ??! », j’ai répondu.
Je viens du genre de communauté pauvre dont on refuse de croire qu’il en existe encore dans ce pays. Avez-vous déjà passé un hiver glacial dans le nord de l’Illinois, sans chauffage ni eau courante ? Moi, si. A 12 ans, prépariez-vous des nouilles chinoises dans un percolateur à café, avec de l’eau ramenée d’un bain public ? Je l’ai fait. Avec vous déjà vécu à l’année dans une aire de caravanes, et utilisé l’adresse postale d’une connaissance pour recevoir votre courrier ? Nous, si. Avez-vous fréquenté tellement d’écoles élémentaires, que vous ne pouvez vous souvenir que du quart du nom d’entre elles ? Bienvenue dans mon enfance.
Alors quand cette féministe m’a dit que je bénéficiais du « privilège blanc », je lui ai répondu que ma peau blanche n’avait fait que dalle pour m’éviter de vivre la pauvreté. Et puis, comme toute féministe instruite l’aurait fait, elle m’a renvoyée vers le désormais célèbre article de Peggy McIntosh paru en 1988, « Privilège blanc, déballer le havresac invisible ».
Après une lecture du puissant texte de McIntosh, il est impossible de dénier qu’être née blanche aux Etats-Unis permet certains privilèges immérités dans la vie, privilèges dont les personnes racisées [of color] ne bénéficient tout simplement pas. Par exemple :
« Je peux allumer la TV ou regarder la première page du journal et voir les gens de ma race largement représentés. »
« Quand on me parle de notre héritage national ou de « civilisation », on me montre que ce sont les gens de ma couleur qui en ont fait ce qu’il est. »
« Si un flic de la circulation m’ordonne de me ranger ou que l’inspection des impôts examine ma déclaration, je suis sûre que je n’ai pas été sélectionnée à cause de ma race. »
« Je peux, si je le désire, m’arranger pour être en compagnie de gens de ma race la plupart du temps. »
Si vous lisez le reste de la liste, vous verrez comment les Blancs et les personnes racisées font l’expérience du monde de manière très différente. Mais écoutez : tout cela n’est pas dit pour que les personnes blanches se sentent coupables de leur privilège. Ce n’est pas votre faute si vous êtes né-e avec la peau blanche et que vous vivez ces privilèges. Mais que vous le vouliez ou non, vous en bénéficiez, et c’est votre faute si vous ne faites pas l’effort d’en être conscient-e.
Je peux comprendre que le texte de McIntosh irrite certaines personnes dans le mauvais sens. Il y a plusieurs points de la liste qui parlent plus du statut de l’auteure en tant que personne de classe moyenne, que de son statut en tant personne blanche. Par exemple :
« Si je dois déménager, je peux être pratiquement sûre de louer ou d’acheter un logement dans un quartier que je peux me permettre et où j’ai envie de vivre. »
« Je peux être à peu près certaine que mes voisins dans ce lieu seront soit neutres soit aimables avec moi. »
« Je peux aller faire mes courses seule, la plupart du temps, en étant assez sûre de ne pas être suivie ou harcelée. »
« Si je le veux, je suis presque sûre de trouver un éditeur pour cet article sur le privilège blanc. »
Et il y a tellement de points dans ce texte où le mot « classe » pourrait se substituer à celui de « race », ce qui au final brosserait un tableau très différent. C’est pourquoi j’ai eu du mal et mis beaucoup de temps à m’identifier à ce qui est écrit dans ce texte. Il y a quelques années, quand j’ai écrit pour la première fois sur le privilège blanc, je me suis demandée pourquoi cette femme blanche pensait que mes expériences étaient les mêmes que les siennes, alors que, non, ma famille n’aurait certainement pas pu louer une maison « dans un quartier que nous aurions pu nous permettre et dans lequel nous voulions vivre », et non, je n’aurais pas pu faire du shopping sans craindre mes voisins d’infortune.
L’idée que n’importe quelle personne blanche puisse trouver un éditeur pour un texte est certainement un symptôme de privilège de classe. Étant issue d’une famille où personne n’a obtenu le bac ou ne connait d’intellectuel-les ou de personnes ayant fait des études supérieures, il ne me serait jamais venue à l’esprit que je puisse être publiée. C’est une anomalie absolue que je sois diplômée, sachant qu’aucune personne des deux côtés de ma famille n’a le moindre diplôme universitaire. Et j’ai attendu d’avoir 30 ans pour croire que quelqu’un de mon extraction puisse atteindre un tel niveau. La pauvreté colore chaque perspective d’opportunité d’avancement dans la vie. Les classes moyennes, les gens éduqués, supposent que n’importe qui peut atteindre ses objectifs s’il travaille assez pour ça. Les gens qui baignent dans la pauvreté ne font pas de vieux os à travailler à la station-service qui paie leur location de caravane, leur automédication à base de cigarettes et de drogues prescrites, jusqu’à ce qu’ils meurent d’un arrêt cardiaque (je viens de décrire une partie significative de ma famille et la vie que je pensais vivre avant d’avoir la chance d’en sortir).
Moi, peut-être plus que d’autres personnes, peux tout à fait comprendre pourquoi des blancs pauvres sont énervés quand le mot « privilège » est jeté dans la conversation. Enfant, j’étais constamment discriminée parce que pauvre, et cette blessure est encore très profonde. Mais heureusement, mon cursus à l’université a introduit en moi un concept plus nuancé du privilège : le terme intersectionnalité. Le concept de l’intersectionnalité reconnaît que les gens peuvent être privilégiés à certains égards, et certainement pas privilégiés à d’autres. Il y a beaucoup de types différents de privilèges – et pas seulement le privilège racial – qui ont un impact sur la façon dont les gens peuvent se déplacer à travers le monde ou sont confrontés à des discriminations. Ce sont toutes ces choses dans lesquelles vous êtes né-e, et non pas les choses que vous avez obtenues, qui vous offrent des possibilités que les autres ne peuvent pas avoir. Par exemple :
– Citoyenneté : en étant simplement né-e dans ce pays, vous avez certains privilèges auxquels les non-citoyens ne pourront jamais accéder.
– Classe : être né-e dans une famille financièrement stable peut aider à garantir votre santé, le bonheur, la sécurité, l’éducation, l’intelligence, et les possibilités futures.
– Orientation sexuelle : si vous êtes né-e hétéro, chaque Etat dans ce pays vous permet des privilèges que les non-hétéros doivent obtenir en allant devant la Cour suprême.
– Sexe : si vous êtes né mâle, vous pouvez envisager de marcher dans un parking sans risquer d’être violé et d’avoir à gérer un avocat de la défense rejetant la faute sur ce que vous portiez ce jour-là.
– Capacité : si vous êtes né-e valide, vous n’avez probablement pas besoin de planifier votre vie autour de l’accès aux handicapé-es, le braille, ou d’autres besoins spécifiques.
– L’identité de genre : si vous êtes né-e cisgenre (votre identité de genre correspond au sexe qui vous a été assigné à la naissance), vous n’aurez pas à vous soucier que l’utilisation des toilettes ou d’un vestiaire provoque une indignation publique.
Comme vous pouvez le voir, appartenir à une ou plusieurs catégories de privilèges, surtout être un homme, blanc, hétéro, valide, de la classe moyenne, peut être comme gagner à une loterie à laquelle vous ne saviez même pas que vous jouiez. Mais cela ne veut pas dire que toute forme de privilège soit exactement la même que l’autre, ou que les gens à qui il manque une zone de privilège puissent comprendre ce que c’est que de manquer d’autres zones. La discrimination raciale n’est pas égale à la discrimination sexuelle, et ainsi de suite.
Et écoutez : reconnaitre un privilège ne signifie pas s’accabler de culpabilité ou de honte dans la vie. Personne ne dit que les hommes blancs hétéros valides et de classe moyenne sont des tas de trous du c** qui n’ont rien fait pour obtenir ce qu’ils ont. Reconnaitre son privilège, c’est simplement être conscient-e que certaines personnes doivent travailler plus dur juste pour vivre les choses que vous tenez pour acquises (si toutefois ils les expérimentent un jour).
Je sais maintenant que je suis privilégiée à bien des égards. Je suis privilégiée en tant que citoyenne blanche Je suis privilégiée en tant que femme cisgenre. Je suis privilégiée en tant que valide. Je suis privilégiée parce que ma langue maternelle est aussi la langue nationale, et que je suis née avec l’intelligence et l’ambition qui m’ont sorties de la pauvreté à laquelle j’étais destinée. J’ai été privilégiée parce que j’ai pu me marier avec un homme privilégié, instruit et de classe moyenne, qui attendait pleinement de moi que j’obtienne mon diplôme universitaire.
Il y a un million de manières par lesquelles j’expérimente un privilège, et certaines que je ne vis pas. Mais heureusement, l’intersectionnalité nous permet d’examiner ces dimensions variables et ces degrés de discrimination tout en sensibilisant à la conscience des résultats produits par de multiples oppressions simultanées.
Dites-moi, êtes-vous une personne blanche qui s’est sentie mal à l’aise avec le terme de « privilège blanc » ? Est-ce qu’une approche plus nuancée vous a aidée à voir plus clairement votre propre privilège ?