La libération de Mossoul n’aura pas lieu !

La reconquête de la ville de Mossoul, ou de ce qui en restera, ne signifiera pas sa libération. Ce sera par contre la cinquième fois que Mossoul changera de mains depuis le début du conflit, si on prend pour repère 2003, année de l’invasion américaine de l’Irak. Mossoul va passer après des combats longs et meurtriers des mains de l’E.I (l’État Islamique) à celles du gouvernement irakien actuel. L’armée irakienne officielle est « accompagnée » par les peshmergas kurdes d’Irak et par les milices chiites. La Turquie se tient en embuscade. Les appétits et rivalités des forces en présence promettent de nouvelles saignées dans cette ville majeure du Moyen-Orient.

Pour faire bonne figure, le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, a annoncé le début de la bataille de Mossoul le 17 octobre 2016. Barack Obama, toujours président américain, a affirmé lui aussi qu’il s’agissait d’une opération irakienne. Tous les grands médias de la Communauté Internationale des Etats Impérialistes se sont alors enthousiasmé pour cette offensive, un peu partout elle a été présentée comme le nouveau Débarquement de Normandie, elle est devenue « la mère des Batailles » pour se débarrasser de l’État Islamique.

La réalité de cette opération c’est que 100000 soldats irakiens y participent mais qu’elle est dirigée par 12 généraux américains et encadrée par 6000 soldats américains au sol. Selon des chiffres qui datent de septembre 2016, les USA ont réalisé 15803 attaques aériennes sur l’État Islamique depuis septembre 2014 (1). La France, quant à elle, a réalisé plus de 900 frappes en Irak et Syrie depuis septembre 2014 dans le cadre de l’ « opération Chammal » (2) en « neutralisant » 1415 cibles. Cela a permis de reprendre à l’État Islamique des villes comme Tikrit, Falloujah ou Ramadi, une ville de 350000 habitants rasée à 80% (3) sans que cela ne soulève le cœur d’aucun droits-de-l’hommiste. Dans le cas de Mossoul, les plus d’un million de résidents ne sont pas montrés comme étant aussi les victimes des frappes américaines et de l’offensive terrestre irakienne, bien qu’il est certain qu’un grand nombre d’habitants de Mossoul mourront. Au contraire, les civils sont décrits comme des captifs attendant avec impatience d’être libérés des terroristes de l’État islamique et de leurs coupeurs de têtes.

Toutes ces batailles et ces bombardements sont aussi des carnages. Les Russes n’ont pas le monopole des massacres contrairement à ce que tente de faire croire la couverture médiatique sur Alep. Mais selon « notre » propagande de guerre, « nos » bombardements sont propres. Ils ne tuent que d’affreux égorgeurs. Les populations civiles ne sont pas touchées.De toute façon, qui peut le vérifier ? Quand une bombe de la « coalition » touche une école à Mossoul et tue 28 écoliers, on présente l’argument imparable que « Daesh » se sert de « boucliers humains » et donc que la responsabilité de toutes les morts incombe à l’État Islamique.

Depuis l’été 2014 et la prise sans coups férir de Mossoul, l’État Islamique est devenu l ‘ennemi public numéro 1 de la Communauté Internationale des États impérialistes. L’État Islamique est subitement devenu une sorte de monstre tout-puissant qui menace de dominer le monde. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. C’est uniquement depuis le jour précis où le Kurdistan irakien et les vastes ressources du Nord de l’Irak ont été sous sa menace qu’il est devenu « notre » principal ennemi. Pas avant. D’un seul coup, le monde de la « démocratie capitaliste », unanime, laissant de côté tous ses désaccords internes, s’est dressé pour désigner son nouveau diable.

On passe ainsi d’un diable à un autre. Auparavant, il s’agissait, au moins pour l’Europe et les États-Unis, de Bachar Al Assad, et un peu avant encore il s’agissait de Muammar Khadafi. Les motifs d’intervention et les figures du « Mal absolu » ne manquent jamais dans cette région de « l’Orient complexe ». Mais Daesh ou État Islamique est la figure négative la plus consensuelle. Daesh a en effet pour vertu de faire disparaître sous de nobles apparences de « lutte pour la civilisation » tous les intérêts et les coups tordus en jeu, des luttes d’intérêts qui ont ravagé successivement l’Afghanistan, la Somalie, la Libye, l’Irak et la Syrie. Intérêts qui activent des dizaines de pays et d’organisations para-étatiques, prêts à en découdre dans le contexte de la seconde crise générale du capitalisme. La cible Daesh cache au moins partiellement que les guerres en cours sont avant tout des guerres inter-impérialistes, c’est-à-dire des guerres entre plusieurs centres impérialistes.

Il nous faut une lecture profane, matérialiste et anti-impérialiste des conflits. Pour cela nous avons besoin de replacer les guerres en cours dans leur contexte historique et de comprendre les intérêts tout à fait matériels qui les sous-tendent. La façon dont les acteurs prennent conscience de ces intérêts et entendent les mener au nom de la « civilisation », du « califat » ou de la « Grande Turquie » n’expliquent pas les faits historiques, pas plus que les idées héroïques qu’avait en tête Christophe Colomb en posant son pied en Haïti ne peuvent expliquer la domination européenne qui a suivi ses expéditions.

Les États-Unis sont intervenus en 2003 contre « l’oppresseur Saddam Hussein » et officiellement pour installer un régime démocratique et supprimer les facteurs qui développent le « terrorisme islamique ». Les États-Unis ont alors installé un régime sectaire à dominante chiite et d’autre part ils ont mis sur pieds un régime bourgeois client dans le Nord kurde de l’Irak, . L’occupation s’est soldée par une insurrection dès 2004 qui a fini par être battue vers 2007. Mais l’occupation de l’Irak et la guerre sectaire qui a suivi ont fait de 600000 à 1,4 million de morts et 4 millions de déplacés. Elle s’est soldée par un bond en avant sans précédent des forces fondamentalistes islamiques qu’elles soient chiites ou sunnites. Ce sont ces conditions et l’opportunité offerte par la guerre en Syrie depuis 2011 qui ont fait naître l’État Islamique par des forces issues d’Al-Qaïda mais avec un programme nouveau de contrôle de territoire. L’État islamique est donc un enfant de la guerre, il ne tombe pas du ciel ou du cerveau d’un stratège « djihadiste ». Son armature est celle de cadres militaires et civils, des dirigeants de l’ancien État irakien pour la plupart, qui sont partie prenante d’un conflit depuis des années. Une fraction de la bourgeoisie bureaucratique irakienne, humiliée, écrasée et reléguée, prend sa vengeance à travers le canal de Daesh.

Dans cette période, en l’absence évidente de force révolutionnaire soutenue par les masses, c’est l’État Islamique qui va recruter largement et qui va être applaudi face à un régime terriblement oppresseur dirigé par des irakiens chiites et totalement aligné sur les intérêts impérialistes. L’État islamique s’est présenté comme une alternative à tout ce qu’avait mis en place les impérialistes américains et les élites corrompues d’Irak. Il s’est présenté comme une source de nouvelle justice, comme un opposant aux frontières coloniales.

Patrick Cockburn, un journaliste du journal anglais The Independent, , estime aujourd’hui qu’environ 30% des habitants de Mossoul soutiennent l’État Islamique. Ce n’est pas par masochisme. Même si l’EI est détruit comme un État administrant un territoire, il reste un mouvement qui a de nombreux adeptes. Il ne peut évidemment pas être une voie d’émancipation par son sectarisme et ses lois oppressives. Mais aujourd’hui, le fondamentalisme religieux est l’expression la plus courante d’opposition au monde impérialiste tel qu’il est. Il est une forme de rupture et de recours dans un monde de désolation même si il ne peut pas être chose qu’une impasse réactionnaire. Le fondamentalisme islamique armé est un phénomène complexe. D’une part, il a été et il peut être un bras armé des régimes compradores du Golfe ou même directement un bras armé des impérialistes européens et américains. L’Afghanistan de 1979 à 1989, la Libye des « rebelles » djihadistes sponsorisés par l’OTAN en 2011 ou les « rebelles » syriens soutenus par les régimes du Golfe, la Turquie ou les États-Unis en sont des exemples transparents. Mais le fondamentalisme est aussi le drapeau de résistances nationales. Ce fut le cas dans les insurrections durant l’occupation de l’Afghanistan depuis 2001, de l’Irak depuis 2003, du Liban en 2006 face à l’invasion sioniste.

La situation actuelle au Moyen-Orient est celle d’un Irak et d’une Syrie qui sont le théâtre de conflits directs et indirects entre plusieurs groupes et puissances locales et mondiales. En Irak, les kurdes irakiens, le gouvernement, les milices chiites, la Turquie s’opposent et veulent chacun contrôler Mossoul. Les Saoudiens et Qataris et d’autre part l’Iran et la Russie s’opposent en Syrie. Les impérialistes européens et américains ont soutenu la dénommée « opposition modérée » et les kurdes syriens selon leur agenda propre, d’abord pour renverser Bachar Al-Assad, désormais pour reprendre Raqqa. Les lectures qui expliquent la situation comme étant une révolution démocratique face au tyran Bachar ou celles qui au contraire présente l’État syrien comme un fer de lance de la lutte anti-impérialiste sont aussi erronées l’une que l’autre.

Quelle doit être la position en France des militants révolutionnaires et internationalistes ?

D’abord, il faut marteler cette évidence léniniste qui semble t-il a été « oubliée » : nous devons nous opposer à notre « propre » impérialisme, l’impérialisme français, et démystifier sa propagande sur la « guerre contre le terrorisme ». Cela implique de dénoncer publiquement la guerre menée par la France en Syrie, en Irak et dans le Sahel. Cela implique de ne pas accompagner l’une ou l’autre des solutions impérialistes. Cela implique aussi de ne pas participer à la propagande négative sur la Russie mais cela ne signifie pas soutenir l’impérialisme russe comme un meilleur impérialisme que les autres.

Deuxième point. Nous ne devons pas accepter de tomber dans un soutien indirect à l’impérialisme américain et européen au nom de la défense de la « cause kurde » ou du soutien à la « révolution réprimée » de Syrie. Quelle que soit la sympathie politique que des courants de gauche peuvent avoir pour des « rebelles démocrates » ou pour le « confédéralisme démocratique » défendu par le PKK et sa branche YPG en Syrie. Il n’y a pas de pouvoir populaire là où le ciel, les ressources, les armes sont aux mains des puissances étrangères qui dominent toute la région et qui décident des mouvements de troupes.

Troisième point. La lutte contre la guerre est une lutte contre la guerre intérieure non déclarée en France. Dans le capitalisme actuel, des millions de vies ne comptent pour rien pour le capital. Cela concerne des millions de vies en France. Dans le climat de guerre impérialiste, cette (sur)population est désignée comme n’étant pas légitime et comme dangereuse culturellement étant donnée la composition multiculturelle de la classe ouvrière de France. Le racisme a donc aujourd’hui peu de rapport avec la peur de l’inconnu et de l’étranger. Il est aujourd’hui nourri en France par le discours sur l’identité menacée. Une division hiérarchique et racialisée de la population active mondiale et française est ainsi légitimée. Le racisme n’est donc pas un malentendu qui pourra s’effacer par plus de respect et de tolérance. Il est dans le contexte de l’ordre économique, politique et social actuel tout à fait rationnel et il existera aussi longtemps que cet ordre existera.

Voici selon le Comité Anti-impérialiste les trois axes qui permettent d’initier une lutte déterminée contre la guerre impérialiste. Mais nous avons fait l’expérience que dans les courants nominalement anti-impérialistes en France il n’existait pas à l’heure actuelle de force prête à se positionner clairement sur l’ensemble de ces trois axes. Il existe en effet des freins politiques majeurs, dont l’un d’entre eux concerne l’utilisation de la question kurde. Il importe donc de se positionner sur cette question ( Un prochain texte traitera de cette question).

1Les bilans des frappes sont régulièrement communiqués par les ministères de la Défense des pays de la « Coalition » puis ils sont repris par les médias de grande audience. Le nombre de frappes est en fait un outil de communication et de promotion de chaque armée impliquée.

2 L’argument essentiel de l’opération « Chammal » était de sauver les populations du Nord de l’Irak d’un génocide programmé. La France considère à ce sujet que la légitimité internationale est offerte par la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l’ONU du 15 août 2014. Depuis les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015 et les attentats du 13 novembre 2015 du Bataclan, des terrasses de Paris et du Stade de France, les Autorités françaises invoquent l’article 51 de la charte des Nations-Unies portant sur la « légitime défense ». Ce terme « Opération Chammal » désigne en fait la participation française à la coalition des principaux États impérialistes flanqués de leurs affiliés, leurs clients et leurs relais au sol, dans leur lutte contre L’EI .Officiellement « Chammal » est la réponse française à la demande d’aide du gouvernement irakien en termes de soutien aérien dans la lutte contre le « groupe terroriste Daesh ». Initialement la France s’interdisait de bombarder des cibles en Syrie faute de « légitimité internationale ». Allez savoir pourquoi, la question de cette légitimité est finalement passée aux oubliettes.

3Une délégation de l’ONU du PNUD (programme de développement) se rendant sur place le 6 mars 2016 s’est dite « stupéfaite ». Il n’existe plus d’infrastructures, de ponts, de conduites d’eau, d’écoles. Un rapport publié en février 2016 chiffre à 5 700 le nombre d’immeubles partiellement détruits et à 2 000 ceux entièrement détruits. Source : Le Monde, 7 septembre 2016, Hélène Sallon, « Ramadi, ville martyre puis abandonnée » .

Comité Anti Impérialiste

Janvier 2017

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publié le 6 janvier 2017