Extrême droite et fascisme institutionnel

La grande indignation après le vote pour le FN en France aux européennes recommence. Rien de nouveau sous le soleil pourtant, sinon l’abstention massive qui prouve bien que les gens ne sont pas totalement aveugles face à ce que sont devenues les institutions U.E : une grande machine à neutraliser les forces politiques. Mais, encore un fois, les partis sont en retard sur l’intelligence des peuples. En appelant les gens à ne pas voter, on pouvait encore faire de cette élection un nouveau non à la constitution et reconnaître cette abstention pour ce qu’elle est : le vrai premier parti européen.

Comme d’habitude, on se demande encore ce qui pousse toujours autant de monde à voter FN. Et on peut y répondre par tous les aspects du pourrissement de la société. Un point parmi d’autres : la pseudo-pensée des Finkielkraut, Zemmour et autres vers de terre intellectuels a réussi à devenir un préjugé courant à travers la bouche de Le Pen : l’antiracisme aurait été créé par le patronat européen pour mieux couvrir le trafic d’esclaves nécessaire aux activités non-délocalisables.

C’est un argument qui a d’autant plus de crédibilité dans le public français que le PS a très souvent instrumentalisé la cause d’un antiracisme chic à des fins électoralistes ou de simple défense de classe. Mais, évidemment, il n’y a pas plus de pensée antiraciste unifiée qu’il n’y a « d’étrangers ». On confond sous ces termes des réalités complétement différentes qui vont de l’assistance aux réfugiés de Calais à la revendication d’un respect de l’égalité pour des français-es- de troisième génération confessant la foi musulmane ou portant un patronyme maghrébin par une administration d’obédience coloniale ; en passant par la revendication de la fin de la militarisation des frontières européennes pour un simple principe humaniste et anti-autoritaire.

Convaincre que les noirs et les arabes étaient des sous-hommes dans les beaux quartiers n’a jamais été difficile. Flatter le petit commerçant qui n’aime pas avoir affaire à des étrangers non plus. Sans parler de la classe moyenne en déroute qui est l’électorat traditionnellement disponible des fascismes en temps de crise. Ce qui était plus compliqué et atteste encore une fois plutôt de l’intelligence publique, c’était de briser définitivement l’idée de solidarité internationale qui faisait partie des lieux communs d’un certain communisme. Indépendamment des atermoiements du défunt PCF sur ce point, la xénophobie et le nationalisme n’était pas spontanés à la population ouvrière française, quand bien même elle avait traversé, comme en Belgique, plusieurs politiques de migration par le travail à des fins plus ou moins antisyndicales.

Deux siècles de pensée libertaire et révolutionnaire en France avaient appris au prolétariat à penser la situation politique des immigrés au-delà de son expérience immédiate de mise en concurrence sur le marché de l’emploi. Il a donc fallu finalement faire passer le racisme pour anti-patronal pour renverser vraiment l’équilibre des forces et récupérer tous les déçus des autres partis. Le mépris qui a fait de cette classe ouvrière si violemment méprisée depuis trente ans la première responsable du vote xénophobe s’est d’ailleurs finalement auto-réalisée en ce sens.

En conclusion, avant de se joindre à la lamentation des élites pour verser des larmes de crocodile sur l’apocalypse anthropologique que nous serions en train de vivre, condamner la bête immonde qui pénètre l’enceinte pure de nos palais démocratiques, se mirer en grand résistant dans sa glace et vilipender la bêtise insondable « des gens », peut-être n’est-il pas inutile de se rappeler deux ou trois choses : la fonction des partis xénophobes a toujours été de servir de bouclier à la bourgeoise. Non seulement parce qu’ils détournent l’action politique qui pourrait viser cette bourgeoisie mais encore parce qu’ils génèrent un antifascisme de parade sous lequel le fascisme institutionnel a dès lors les coudées franches pour s’exercer. Cela a été mille fois observé et s’observe à nouveau de plus en plus aujourd’hui.

Quoi de mieux en effet que des gens détournant le regard de l’antifascisme pour absoudre la Troïka ? Quoi de mieux que des partis diluant au nom de la bêtise proclamée des peuples l’évidence de la criminalité des élites dans la haine de l’étranger lorsque ce qui se vendait comme union de pays s’est transformée en conclave mafieux ?
En tout et pour tout, ce n’est pas au parlement européen que le FN est le plus dangereux parce qu’il y vivra la même paralysie institutionnelle que tous les autres partis. S’ils leur venaient même à l’idée de se resservir d’allumettes, avec l’incendie de ce parlement-là, nous ne perdrions pas grand chose. Pourquoi défendre des institutions qui ont déjà depuis longtemps institué des politiques criminelles et que cette extrême droite rancie ne fait que relayer et blanchir ? Ce qui est à craindre de l’extrême droite ce n’est pas ses avancées dans le système pseudo-démocratique mais ses coups de force dans un espace public où il ne faut par contre jamais cessé de rester vigilant. En ce sens, l’antifascisme européen est en retard d’une guerre. Celle de la solidarité avec la Grèce où les milices ne sont que l’autre main des banquiers.


publié le 28 mai 2014