Nous étions nombreux à nous rencontrer, le 21 septembre dernier, autour des récits de luttes de soutien aux migrants « sans-papiers ». Pour rappel, l’objectif était construire un espace de parole pour « faire retour » sur ces 15 dernières années de résistance à la politique migratoire belge et européenne. A la recherche de ce qui avait précédé les combats actuels – le collectif d’Afghans, Lampedousa – en terme de pratiques collectives, nous avons tenté de réunir les différents morceaux de récits de ces moments de luttes en vue de dessiner quelque chose comme une mémoire commune, une mémoire pratique. Pour trouver la force de continuer à nous opposer à une politique migratoire toujours plus drastique et criminelle, nous avons besoin de construire une histoire qui puisse se transmettre. Nous avons besoin de re-fabriquer cette mémoire car elle est ce qui traverse et lie, implicitement ou non, tous ces collectifs de résistance qui se sont succédés depuis l’assassinat de Semira Adamu (1998) – Collectif contre les expulsions, Assemblée des voisins, Ambassade universelle, VAK, CRACPE, UDEP, CRECF, RESF, CAS, Gettingthevoiceout, Sans-papiers Belgique, Marche avec et sans papiers ... Lorsque nous prenons le temps de penser ces luttes en dehors de l’urgence qui les constituent, nous constatons qu’il existe une continuité dans le temps entre celles-ci et les collectifs qui les ont menées. Un héritage commun qui nous renforce et se nourrit sans toujours le savoir des expériences précédentes.
Devant la ferveur des débats du 21 septembre dernier, il est apparu qu’un après-midi supplémentaire n’était pas de trop pour prendre le temps de rendre compte de ces multitudes de trames, d’anecdotes, de victoires et de déceptions. Le 9 novembre prochain, nous proposons donc de prolonger ce projet d’emblée collectif. Le pari est pouvoir laisser des traces de nos luttes dans toutes leurs hétéronomies et de rendre transmissible ces expériences au travers d’une « culture de résistance ». Il n’est pas nécessaire d’avoir participé à la séance précédente pour venir cette fois-ci. Tous les débats du 21 septembre ont été enregistrés et seront mis en partage très bientôt. Sont donc bienvenues tous ceux et toutes celles qui, au travers des trajectoires des militants de luttes des « sans-papiers », désirent se raconter, entendre et partager les expériences. A terme, nous devrons décider ensemble d’une méthodologie de récolte et de « traitement » de ces archives et une manière de les rendre transmissible plus largement.
Nous nous donnons rendez-vous le 9 novembre à 13h à l’UPJB
(61, rue de la victoire, 1060 Saint-Gilles)
L’adresse de contact : histoire_resistance_bxl@yahoo.be
Pour nous donner des idées, voici une première trame des "thèmes" de discussion à partir desquels nous voudrions tirer quelques questions à partager avec d’autres collectifs :
Liens politiques et communautés de résistance : nécessité d’un soutien, d’une solidarité politique avec les migrants « sans-papiers ». Comment s’articuler aux luttes des migrants « sans-papier » depuis une composante qui nous soit propre sans négliger la nécessaire solidarité ? Comment déconstruire la tentation « humanitaire », les rapports paternalistes ? Quelles sont les rapports aux lieux d’où naissent des liens consistants (occupations, squats, centres sociaux, ...). ? Il s’agira aussi de faire sentir comment les différents collectifs ont construit (ou pas) des lieux comme moyen spécifique de construire une force, des lieux de vie comme espace de liaison. Si nous prenons part aux luttes avec des migrants « sans-papiers » ce n’est pas seulement au nom de nos idées (égalité, réciprocité, autonomie, coopération, hospitalité) mais c’est aussi pour se faire une vie plus intense, avec d’avantage de communauté.
Exigences communes : nécessité d’une autonomie relative entre les collectifs de lutte des migrants « sans-papiers » et les collectifs d’actions et de soutiens à ces luttes. Quelles articulations stratégiques entre collectifs de « sans-papiers » et collectifs « avec-papiers » ? Quelles pourraient être les exigences politiques communes qui respectent la singularité de la condition de « sans-papiers » ? Comment articuler la définition de l’ennemi contre lequel on se bat et la puissance commune, la capacité commune au nom de laquelle on lutte ? Il y a du pouvoir et de la clarté à définir ce contre quoi nous sommes, mais il y a une autre sorte de pouvoir dans le fait de nommer ce pour quoi nous sommes, ce que nous voulons.
Re-tours de la frontière coloniale dans le milieu de la lutte avec les "sans-papiers", dans les occupations. C’est certainement le point le plus difficile mais il s’agit de se mettre en jeu à un point où la ligne de démarcation passe à l’intérieur des sujets en lutte. Derrière la bonne conscience et les beaux sentiments de solidarité, de fraternité et d’égalité, il y a des rapports de force qui nous façonnent et qui passent à l’intérieur de nos subjectivité. Lorsque l’on arrive dans une occupation, on arrive pas seul, on vient avec tous nos préjugés, avec notre inconscient collectif, avec nos habitudes incorporés, avec nos peurs et nos angoisses, nos refoulements, ... On arrive avec toute l’histoire de la (post)colonisation. Il ne s’agit pas de culpabiliser mais d’identifier ces forces qui nous font et nous défont pour apprendre à s’adresser à elles. Ce que nous cherchons se sont des solutions collectives et inventives, des façons de brouiller les partages trop rigides.
Pratiques autonomes et inventions politiques. Chaque collectif à sa façon de se construire et de prendre consistance. Chacun à traversé les questions de la prise de décision, de la représentation, de l’horizontalité, du partage du pouvoir, des conflits et des différences de positionnement à l’intérieur d’une position. Nous intéresse de déployer les façons dont chacun à traverser ces questions et dont des inventions singulières ont pu être trouvées. Nous intéresse aussi la façon dont ces collectifs ont construit leurs rapports ou leurs non-rapports aux associations, aux partis politiques, aux syndicats, aux médias, aux autres collectifs, aux autres luttes.
Construire de la légitimité. Les collectifs contre les expulsions autant que les collectifs de lutte avec les migrants « sans-papiers » agissent sous la nécessité d’une résistance légitime qui ne se pense pas seulement depuis la frontière légalité-illégalité. Simplement cette nécessité ne peut pas être pensée comme nécessité moral mais doit être pensé comme nécessité pratique. Des blocages de fourgons, des blocages de Centre-fermés, des blocage de TGV, ... cette pratique appelle à « enrayer la machine à expulser ». Il importe de ne pas fétichiser les gestes de rupture comme gestes spectaculaires et exceptionnels. Ces gestes prennent sens dans une radicalité qui ne consiste pas à bloquer la machine en générale mais comme une façon d’intensifier les potentiels de lutte. La rupture est toujours locale, dès lors que la structure d’autorité ou d’exploitation est remise en cause. Cette rupture doit se construire à travers un processus qu’il importe d’essayer de rendre explicite. On devrait être en mesure de pouvoir revendiquer les actes que l’on commet. Il s’agit donc de trouver et construire un espace politique pour les diffuser. Etant donné que ces questions sont souvent difficiles à discuter en public nous voudrions les ouvrir à travers la façons dont chaque collectif à travaillé à l’admissibilité de certaines pratiques considérées comme « illégales » à travers la construction d’un espace de jeu entre légalité et légitimité. L’objectif doit être la prise de confiance la plus diffuse possible de nos capacités à défaire réellement les politiques scélérates en matière d’immigration. A partir de là, il importe d’analyser de manière pragmatique la façon dont le travail de médiatisation des actes de résistance peut être efficace. Un exemple peut être trouvé dans la façon dont l’évasion de 31 migrants « sans-papiers » du centre-fermé 127 bis en juillet 1998 a réussi à se politiser. De la déclaration médiatique d’un réseau (intellectuels, artistes, simples citoyens, ...) d’hébergement à la politisation du procès, en passant par le positionnement de nombreuses associations, le Collectifs Contre les Expulsions est parvenu (jusqu’à un certain point) à renverser l’accusation de bande organisé, de crime (aujourd’hui on dirait plus rapidement « terrorisme ») pour ouvrir le débat sur le droit d’asile et la légitimité des centre-fermés. Cette action ne doit pas être considérée comme exemplaire, car chaque acte politique doit tenir compte du rapport des forces dans lequel il s’inscrire mais peut servir d’exemple à une réflexion sur le « comment faire ? ».
Stratégie commune et diversité de tactiques. Les pratiques de « désobéissance civile » sont multiples. Souvent l’expression « diversité de tactiques » cache l’absence d’une stratégie commune, elle est aussi une excuse pour ne pas prendre en compte les autres avec qui l’on lutte. S’il est évident que la diversité des actes et leurs résonances est ce qui permet de construire un rapport de force, il s’agit de penser l’articulation entre tactique et stratégie. La stratégie commune doit être la dé-légitimation d’un système injuste en lui retirant consentement et participation. La diversité de tactiques ne peut prendre sens qu’à partir d’une stratégie commune. Les situations dans lesquelles nous agissons sont changeantes et les actes réels ne sont ni écrits d’avance ni prévisibles. Pour agencer entre elles des pratiques d’insoumission et de contre-conduties aussi diversifiées possible il importe de resserrer les relations qui limitent la violence. Ceci implique de ne pas considéré qu’il existe des actes radicaux en soi mais que ce qui existe se sont des relations, des constellations d’actes qui peuvent se renforcer entre eux ou non. Un acte n’a de valeur que s’il consiste, c’est-à-dire dans la mesure où il fait réseau avec d’autres actes
Répression et judiciarisation des résistances : les procès ont pour fonction de bloquer le jeu entre légalité et légitimité. L’enjeu est donc de criminaliser des illégalismes qui étaient considérés comme éléments du rapport de force en en faisant des actes fous, isolés, commis par des groupes de radiaux. Le procès est la scène par laquelle le pouvoir judiciaire empêche que les actes d’insoumissions face à la machine à expulser puisse faire réseau, relais en les refermant sur les auteurs qui sont incriminés. Agir politiquement se fait toujours au risque de l’acte fou. Chaque collectif a du passer par la scène judiciaire. Chacun a tenté de politiser ce moment difficile en essayant de renverser le rapport de criminalisation. Il importe d’analyser ces différents moments pour essayer d’en dégager les lignes de force et de faiblesse. Non pas pour en tirer des règles générales valables universellement mais pour ouvrir les possibilités de faire avec la justice. Il s’agit d’un point de discussion difficile car souvent les procédures judiciaires sont longues et fatigantes et sont l’occasion de grandes tensions entre les membres des collectifs. Tout se passe comme si le moment du procès devenait le moment qui décide de la légitimité d’une lutte. Ce sera l’occasion de revenir sur les procès en cours (celui du CAS, en novembre, celui des organisateurs du Festival des résistances à Steenokkerzeel, celui des pattatistes, l’affaire Bahar, ...) et de tirer des apprentissages pour aujourd’hui et pour demain.