Depuis toujours, et principalement en période de « mouvements sociaux », des organisations politiques (partis, syndicats, etc.) cherchent à prendre le pouvoir sur les luttes. Les mêmes pratiques se répètent pour prendre le contrôle des révoltés, pour détourner la révolte, l’intégrer à leurs programmes politiques, la faire fructifier en bulletin de vote ou en rapport de force privatisé pour servir des intérêts spécifiques. Dans les assemblées, on noyaute, dans les cortèges, on prend la tête, dans la répression on se dissocie. C’est un métier, cela s’appelle la politique.
Le carré de tête syndical symbolise historiquement cette prise de pouvoir sur la révolte. C’est pour cela que durant des décennies, l’enjeu pour celles et ceux qui étaient en lutte (lycéens, sans-papiers, chômeurs, étudiants, etc.) a souvent été de prendre la tête de la manifestation pour contrer cette récupération syndicale, tandis que, pour les incontrôlables divers, il s’agissait souvent de s’exprimer en queue de cortège, ces deux pratiques non contradictoires construisant une forme d’autonomie contre les partis et les syndicats. Elles ont pu permettre des formes de débordement actif du maintien de l’ordre et des Services d’Ordre, que ce soit en queue ou en tête de cortège, par du désordre, de la casse, des bifurcations de manifs, des manifs sauvages, diverses formes d’occupations et la conflictualité avec les gestionnaires de manifs, autant de possibilités en mesure de transformer les classiques défilés dominicaux en pantoufles, dans lesquels la vitalité des uns ne sert qu’à appuyer des jeux de négociations ultérieures d’autres, en moments subversifs.
« Cortège de tête » is the new CGT ?
Depuis la Loi Travail une nouvelle forme de carré de tête prend le devant de la manifestation, reléguant comme le pâté de tête syndical ceux qui sont en lutte à l’arrière de la manifestation. Il est ordonné, ritualisé, spécialisé, professionnalisé, spectaculaire, maintient l’ordre à sa manière, parade et pose devant la caméra à l’instar des carrés de têtes syndicaux. Alors bien sûr il y a des différences : l’offre de l’uniforme Northface, du slogan Booba sur fond de fumigène correspond plus à la demande esthétique de l’époque que la bonne vieille tête d’Arlette Laguiller et la moustache de Philippe Martinez. Mais qu’on se le dise, le « cortège de tête » est bien le contraire du débordement et de l’émeute.
Préférer le « débordement qui manifeste à la manifestation qui déborde », c’est vouloir embrigader le débordement, c’est préférer l’ordre plus le pouvoir au désordre ingouvernable.
Emeutons-toi
Ingérée et ingérable, l’émeute n’a pas d’uniformes, pas de place définie dans un cortège, pas de photographes attitrés ; les identités s’y abolissent de fait et elle accueille des formes de révoltes imprévisibles, parfois inconnues, souvent hors de toutes normes. Elle ne se prévoit pas ; ni son moment, ni qui en fait partie, ni son devenir. L’émeute est accueillante pour ceux qui la comprennent, quelles que soient les raisons qui les poussent à y contribuer. Dans une émeute, il n’y a plus de travailleurs, de chômeurs, d’étudiants, de jeunes, de vieux, de casseurs, de pacifistes, de « K-Way noirs » ou de « chasubles rouges », il n’y a que des émeutiers.
L’auto-satisfait « cortège de tête » s’est désormais institué en norme d’une radicalité superficielle au détriment de l’inventivité, de l’effervescence et de la joie émeutière, lui enlevant par là-même toute portée subversive et s’opposant à la sauvagerie et à l’incontrôlabilité qui ne peuvent y trouver de place pour s’exprimer.
Ni le monde, ni rien, soyons sauvages !
D’Inappelables incontrôlés.