[Brève] Avec des « amis » pareils, pas besoin d’ennemis – A propos du « blessé de Tolbiac »

Nous ressentons de la colère. Beaucoup de colère. Froide. Quel est le plus lamentable ? L’incapacité de la dénommée Leila, étudiante-de-Tolbiac-ayant-participé-à-l’occupation et proche de la France Insoumise (FI), de reconnaître son mensonge (car c’en est un) ? La défense à tout prix de l’inconséquence politique de la militante par ses « supporters », sans autre objectif, semble-t-il, que de lui sauver la face à titre individuel ? Le refus généralisé dans le milieu militant (1) d’admettre la bêtise et la dangerosité d’une telle absence de responsabilité politique chez ces différents acteurs ? Pendant ce temps, on ne se préoccupe même plus de l’existence réelle ou fantasmée d’un blessé grave… Il est temps de mettre fin à la lamentable « Affaire du blessé de Tolbiac » !

Reprenons les choses :

– évacuation policière de Tolbiac ;

– rumeur d’un blessé grave « entre la vie et la mort » mettant directement en cause la BAC, relayée par Reporterre se basant notamment – nous le saurons plus tard – sur le témoignage de Leila, celle-ci ayant également été interviewée par Le Media (FI). Dans cette vidéo, elle raconte de façon très détaillée et sans approximation ce qui relève d’un témoignage oculaire direct : « tête explosée », « flaque de sang », « CRS qui nous repoussent » (pour empêcher d’accéder au blessé), « camions de pompiers »… (récit assorti de termes propres au diagnostic médical : « hémorragie interne », « coma profond ») ;

– tous les réseaux se mettent en branle ; tension politique qui monte : les premières manifs s’organisent – car, il est logique qu’on fasse spontanément plus confiance en la parole militante que policière ;

– après plusieurs jours pendant lesquels différentes autorités nient toute éventualité d’une personne dans le coma, se posent de sérieuses questions sur les implications d’un tel mensonge d’Etat s’il était avéré. Chacun enquête et s’interroge : l’article de Marseille Infos Autonomes (2) et celui autocritique de Paris Luttes Info (3) remettent rigoureusement les points sur les i et exposent toutes les hypothèses et finalités d’une telle situation ;

– au final : Leila reconnaît n’avoir rien vu, donc avoir menti (soyons clair), se réfugiant derrière deux « vrais » témoins fantômes – ceux-là qui ont également été interrogés par Reporterre mais ne se sont plus manifestés depuis. Au lieu de s’excuser de s’être un peu emballée, elle se débat dans l’argumentaire vaseux du « oui mais non » ;

– comme si cela ne suffisait pas, de nombreux groupes et réseaux soutiennent la position indéfendable de la-dite "Leila".

Parce que la mort d’homme sous le coup de la répression policière dans un mouvement social est évidemment quelque chose de particulièrement grave, cristallisant logiquement toutes les tensions politiques, parler de mensonge d’Etat peut sembler à propos, d’autant que la situation décrite est vraisemblable : que ce soit dans les zad ou dans les quartiers, dans les facs ou devant les lycées, la police tue et mutile.

Dès lors, à qui s’adresse Leila lorsqu’elle invente son histoire ? Au mouvement social ? A son propre individualisme dénué de toute responsabilité et malmené par la répression ? Au spectacle médiatique ? Aux mélenchonistes et à leur « radicalité » en carton ? Dans tous les cas, où sont la rigueur et la responsabilité ? Il s’agit de poser les bonnes questions : quel est l’enjeu de tout cela, les conséquences ? Comment en arrive-t-on à de telles situations au mieux grotesques, au pire effarantes ? Car cette situation est politiquement désastreuse, et on pouvait s’en passer.

L’inconséquence politique de Leila rejaillit sur tout le mouvement, à commencer par les auto-médias (Paris Lutte Infos et autres indymedias) ; mais aussi et surtout, il s’agit là d’une véritable insulte à toutes celles et tous ceux qui prennent vraiment cher du fait de la police. Sans se placer dans le cadre de la recherche de la légitimité, une telle idiotie revient à donner le bâton à ceux qui font déjà leur possible pour camoufler la réalité de la brutalité policière et décrédibiliser les mouvements sociaux ainsi que leurs outils de lutte (manifestations, occupations, blocages, etc.) en leur permettant de tirer le constat que les « fake news » ne sont plus seulement réservés aux fafs, mais désormais également à la « gauche [dite] radicale ».

Pour résumer : dans ces moments-là, tout discours individuel porte de fait une responsabilité collective. Nier cette évidence ne peut que précipiter le désastre.

Il semble que cette polémique soit le point d’apothéose autant que le reflet de la pauvreté politique du « mouvement étudiant » du printemps 2018.

  • Entre l’autoritarisme identitaire des particularistes qui dominent les débats, les dépolitisant et les décontextualisant au maximum parce que pris au piège de la valorisation capitaliste ciblant les « catégories sociales » ;
  • et la suffisance des jeunes néo-appellistes qui se perdent dans le-blocage-pour-le-blocage sans aucune perspective ;
  • entre l’hyper-formalisme ineffectif « anti-sexiste/anti-raciste/anti-spéciste/anti-validiste/… » ; et
  • l’esthétique black bloc censée à elle-seule garantir la radicalité du conflit ;

nous voilà au pied du mur, coincés par l’absence même de toute intelligence stratégique de lutte au profit, encore et toujours, de la forme vide de contenu. Le « radicalisme » se fait alors marchandise et la spectacularisation de la militance qui en découle va de pair avec l’hyperbolisation de toute conflictualité (on casse une vitre, c’est l’émeute ; on casse dix vitres c’est l’insurrection) et la désagrégation finale de ce qui pouvait persister de politique.

Ces tendances hélas majoritaires ne peuvent dès lors être ce qu’elles prétendent : des alternatives sérieuses et réelles aux pratiques sclérosantes des léninistes arqueboutés sur leur(s) idéologie(s) ruineuse(s).

Il est temps de changer de cap.


publié le 27 avril 2018