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LNML : Dans Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande, vous écrivez que « préférer le mal d’aujourd’hui à ce qui demain sera pire nous empêche de nous lever. » Pourtant les gilets jaunes se sont levés, et justement pour préserver leur place dans cette civilisation du consumérisme, et de la voiture reine, que vous condamnez.
LNML : Les gilets jaunes sont-ils le nouveau nom de cette classe soumise à « une harassante corvée dont la rétribution salariale sert principalement à investir dans l’achat de marchandise » ?
LNML : A l’idée qu’ « abrutis par un luxe de pacotille, les futurs naufragés s‘ébattent sur le pont tandis que le bateau coule » ils rétorquent « vous vous préoccupez de la fin du monde, nous nous inquiétons de la fin du mois. » Que leur répondre ?
LNML : Les gilets jaunes sont-ils un exemple de ce prolétariat qui « a régressé à son ancien statut de plèbe » ? Victime d’un capitalisme financier qui a dégradé « sa conscience humaine et sa conscience de classe » elle ne fait plus la révolution elle se révolte.
LNML : Peut-on encore, lorsqu’on appartient aux classes moyennes inférieures excentrées (travail peu rémunérateur, obligation d’utiliser sa voiture pour tous ses déplacements, pavillons à rembourser ou loyer à payer…), reconquérir « l’autogestion du quotidien. »
LNML : Vous évoquez un État « réduit à sa simple fonction répressive ». Est-ce celui dont on voit le visage en France aujourd’hui ?
LNML : La lutte des gilets jaunes et celles des forces que vous saluez dans votre livre (Zadistes, féministes, militants écologistes… ) peuvent-elle converger ? Ou s’opposent-elles par essence.
https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2018/11/contribution-lemergence-de-territoires.html
Fort du constat que « jamais la terre et la vie n’ont été dévastées, avec un tel cynisme, pour un motif aussi absurde que cette course au profit », Raoul Vaneigem se prête au jeu du « Que faire ? ».
Il tente d’échapper aux vaines injonctions au « devoir de lucidité » en livrant ses proposions : réunir « la conquête du pain et la conquête de la vie authentique » par l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande.
* Raoul Vaneigem commence par un traditionnel état des lieux, dézingue à tout va :
la dictature du profit et le culte de l’argent,
le totalitarisme démocratique qui a « si bien gangrené les mentalités que personne ne refuse de payer à l’État des impôts qui, loin d’améliorer le sort des citoyens, servent désormais à renflouer les malversations bancaires »,
la désertification de la terre et de la vie quotidienne,
la colonisation consumériste,
le capitalisme spéculatif et financier et la résignation qui entérine le tout.
Le capitalisme moderne a réduit la valeur d’usage à zéro tandis que la valeur marchande tend vers l’infini : « la valeur spectaculaire est une valeur marchande ».
Une « fausse abondance » a mis à mal la conscience de classe du prolétariat (et sa conscience humaine) qui n’a pas résisté à « l’offensive de la colonisation consumériste ». « Diminuer salaires, allocations, retraites et exorciser la grisaille de l’ennui par la frénésie de consommer, c’est double bénéfice pour les manoeuvriers de la finance. » « L’emprise tentaculaire de l’économie est une machine prédatrice » qui vide les consciences, « vidange l’existence » et assèche ce qui subsiste de substance humaine. « Les restes du socialisme trempent dans la soupe néolibérale, le conservatisme se prend les pieds dans le tapis troué du néo-fascisme, les rétrobolchéviques en sont encore à célébrer l’ouvriérisme alors qu’il s’est, pour une bonne part, égaré dans les égouts de la xénophobie et du racisme. » La mondialisation est une « criminalité banalisée » reposant sur un clientélisme fait de subordination et de chantage, « couverture politique aux procédés mafieux mis en oeuvre par les instances multinationales et financières ». « La plèbe est une proie pour le populisme. C’est le fumier où les hommes et les femmes politiques nourrissent et réchauffent leurs froides ambitions. »
La civilisation est donc arrivée à une impasse que Raoul Vaneigem propose d’envisager plutôt comme carrefour. Il invite à l’exploration de la vie et de l’immensité des possibles, plutôt que la poursuivre de « l’expérience labyrinthique d’une survie où nous n’avons plus rien à apprendre ». Il prône un « retour à la base », quête et redécouverte de « la racine des choses et des êtres », un « dépassement de la survie » vers « l’autogestion de la vie quotidienne » où la créativité se substituerait à l’activité laborieuse. La création de biens de qualité en abondance et gratuits rendent « obsolète, rétrograde, ridicule la frénésie consumériste ». Il préconise un apprentissage pour tous et à tout âge, abolissant l’école, lui substituant le projet d’être enseigné et d’enseigner son savoir, tel que l’a mis en oeuvre l’Université de la Terre, à San Cristobal de Las Casas. Il appelle la violence insurrectionnelle à « s’affiner, non à s’assouvir en débordements sans lendemain » : « La construction d’un monde nouveau et la résolution de ne jamais y renoncer démantèleront plus sûrement le vieux monde que l’affrontement rituel des lacrymogènes et du pavé. »
Cependant « ni l’autoritarisme étatique ni la cupidité des mafias internationales ne tolérerons en aucune façon l’émergence de territoires où la liberté de vivre abolit la seule liberté qu’ils reconnaissent et pratiquent : celle d’exploiter, de gruger, de terroriser, de tuer. Les libertés du commerce. Le droit de vivre est pour nos ennemis héréditaires une zone de non-droit. » « Consolider un réseau de résistance, mettre en place un plan d’autodéfense, voire tenter une offensive exigent des mesures dont seules les circonstances particulières de l’affrontement peuvent décréter le bien-fondé. » Toutefois il précise que la lutte armée, bien souvent inefficace face à un ennemi rompu à l’art de la guerre, a amplement démontré ses dangers, avec des conséquences bien pires en cas de victoire. De la Révolution espagnole, il tire la leçon que la révolution doit être gagnée sur le plan social et non sur le terrain militaire. Résolument, il affirme la légitimité du sabotage des machines « que les hordes du profit dressent en batterie pour araser un paysage, bâtir une monstruosité, dévaster le sol et le sous-sol, polluer un lieu de vie humaine, animale, végétale ». Il déconseille tout dialogue avec l’État et préconise de conforter « les bases d’un lieu de vie authentique », « propagande de notre société expérimentale », pour se prémunir de l’urgence à laquelle nous accule la tactique de l’ennemi : « Une communauté attachée à la pratique sociale du sens humain est plus invincible, moins facilement attaquable, qu’un groupe armé dont la violence faussement libératrice se borne à concurrencer la violence répressive du capitalisme – lequel se connaît en matière de concurrence. » C’est pourquoi il conseille de ne pas « s’aventurer sur le terrain de l’ennemi » mais de rester sur le terrain de bataille de la vie, de donner sens au slogan « Vous détruisez, nous construisons. »
D’aucun-e-s trouverons qu’il n’y a là rien de très inédit mais loin d’être des lieux communs, ces idées ne méritent-elles pas justement d’être répétées, débattues ? Qui plus est lorsqu’elles sont exprimées, comme ici, avec autant de clarté que de poésie.
Raoul Vaneigem offre en annexe les paroles d’une chanson qu’il a écrites et qui résument plutôt bien son propos. Il donne égaIement ce lien pour l’écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=lUJoPmKkqc4
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