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Un racisme, des racismes ?

gepost op 24/10/16 Trefwoorden  luttes sociales  répression / contrôle social  solidarité  antifa 

Voici le texte préparé par Sonia Fayman pour son intervention pour l’UJFP, au Forum « Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation », le 8 octobre 2016 à la Bourse du travail de Saint Denis. Tout n’a pas été dit, faute de temps laissé à chaque intervenant-e.

Le thème de la table ronde animée par Esther Benbassa (sénatrice EELV du Val-de-Marne / professeure d’histoire des religions, Sorbonne), était « Un racisme, des racismes ? Comment articuler les différents racismes, qu’il s’agisse de négrophobie, d’islamophobie, d’antitsiganisme, mais aussi d’antisémitisme et de racisme anti-asiatique ? Et à l’inverse comment distinguer ces logiques sans les opposer ? ». Y ont participé : Franco Lollia de la Brigade Anti Négrophobie (BAN), Sacha Lin-Jung de l’Association des Jeunes Chinois de France (AJCF) et Saimir Mile de La Voix des Rroms.

Première question : les Juifs sont-ils en France aujourd’hui, un groupe racisé ? Je voudrais montrer que non, au sens où les Noirs, les Arabes, les Rroms le sont , mais oui tout de même, notamment dans le racisme à l’envers qui apparaît dans le philosémitisme.

Pour l’UJFP, l’antisémitisme n’a pas à être mis à part : c’est une des formes prises par le racisme. Comment se manifeste-t-elle ?

L’antisémitisme et les autres racismes

Des origines de l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme moderne développé depuis le 19è siècle en Europe, les Juifs ont été des boucs émissaires dans les pays d’Europe centrale. Rappel des pogromes.

Dans l’histoire des pays arabes (Maghreb et Machrek), les Juifs n’ont pas connu les mêmes mauvais traitements jusqu’à une époque récente (20è siècle) où des mesures discriminatoires ont été prises, en réaction à la conquête de la Palestine par le mouvement sioniste.

La France s’est révélée champion de l’antisémitisme dans l’entre deux guerres mondiales, avec le fichier des Juifs, les radiations de la fonction publique et des écoles publiques, le rôle de la police française dans l’organisation des rafles et de la déportation, les collabos et les dénonciations… Mais, même si les Juifs étaient la cible principale de la stratégie nazie d’extermination, ils n’étaient pas seuls : les homosexuels, les communistes en ont fait les frais aussi, de même que les Tziganes. C’est pour ça que l’UJFP participe chaque année à la fête de l’insurrection gitane d’Auschwitz à St Denis.

Dans la période actuelle, dominée par l’islamophobie, on voit bien ce qui rapproche l’islamophobie de l’antisémitisme. Plusieurs observateurs ont noté des similitudes entre l’antisémitisme traditionnel (celui que l’on peut dissocier de l’occupation de la Palestine) et l’islamophobie en montrant comment sont construites des images repoussantes à partir de faits réels déformés et à partir d’interprétations arbitraires, voire résolument manipulatrices, de certains comportements ou traits physiques, qui sont les mécanismes classiques du racisme organisé et de la construction de boucs émissaires.

Des apports majeurs sont ceux d’Edward Saïd et d’Esther Benbassa. D’autres témoignent :

Gil Anidjar : « la question juive n’a jamais été autre chose que la question arabe » (Postface de l’ouvrage Juifs et Musulmans, une histoire partagée, un dialogue à construire publié par Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, Rencontres de mai 2004). Il serait trop long de développer ici les thèses de Gil Anidjar. Disons simplement que l’auteur voit, pour l’Occident, le juif et l’arabe comme « les deux faces d’un ennemi impensé et impensable » et qu’il ajoute : « un ennemi, deux faces, l’une invisible quand l’autre est perçue ». Formule qui s’applique parfaitement à la situation française actuelle où le gouvernement manie le philosémitisme en parallèle à l’islamophobie. (voir plus loin)

Depuis les premières attaques contre le port d’un foulard par des jeunes filles musulmanes, la société française a vu se répandre et s’imposer une série d’images stigmatisantes des Musulmans, surtout des Musulmanes.

Ne pas prendre ce type de processus à la légère. Voir l’inquiétude d’un facebookeur qui rappelle comment par petites touches, on a répandu la haine des Juifs en France lors de l’affaire Dreyfus et pendant l’entre-deux guerres ; il suggère que le processus est à l’œuvre ici et maintenant quand on entend des propos tels que : « si on laisse croire que si on accepte que les femmes aient le choix (de porter un voile), alors bientôt ce choix nous sera imposé », c’est à dire une dictature islamique sur la France.

Antisémitisme et islamophobie dans l’histoire

Dimension religieuse importante dans les deux, issue de l’antijudaïsme chrétien et un même acharnement sur les deux religions : ex les Croisés chrétiens en Terre sainte massacraient aussi bien les Juifs que les Arabes.

Les Rois catholiques ont fini de reconquérir l’Espagne gouvernée par les Maures pendant plusieurs siècles et poussé les Juifs à la conversion au christianisme dès la fin du 14è siècle. Ensuite les juifs convertis (marranes) ont été pourchassés et victimes de l’Inquisition au 15è siècle, sur suspicion de conservation en secret des pratiques de la religion juive qui ne les débarrassait pas de leur sang impur. Exode des Juifs vers les Pays Bas mais aussi l’Italie et l’Empire ottoman. Un siècle plus tard c’est le tour des Musulmans convertis de force au catholicisme (Morisques) d’être chassés d’Espagne, toujours au nom de la pureté du sang.

Ironie de l’histoire, aujourd’hui l’État espagnol propose aux descendants des Juifs d’Espagne de réintégrer la nationalité espagnole, mais ne fait pas la même offre aux descendants des Maures.

Le philosémitisme de notre gouvernement

Dans le contexte actuel de déchaînement de l’islamophobie sur tout l’échiquier politique, on assiste à une stratégie philosémite de gouvernement manifestée avant tout par le premier ministre qui multiplie les assauts d’allégeance à la « communauté juive », plus exactement aux dignitaires du CRIF qui prétend représenter les Juifs de France et qui est en fait une officine relais de la politique israélienne. Cette politique d’injustice et d’apartheid vis-à-vis des Palestiniens ne manque pas d’entraîner des réactions antisémites. Celles-ci s’expliquent par une confusion entre les Juifs et Israël volontairement entretenue par l’État d’Israël et par tous ses alliés. Or, tous les Juifs ne soutiennent pas Israël et les Juifs antisionistes existent et s’expriment. L’UJFP est une association juive laïque qui soutient les droits des Palestiniens contre l’État d’Israël.

Le philosémitisme comme verso de l’antisémitisme : on en rajoute dans le brossage dans le sens du poil pour faire oublier quelques vilenies.

Le philosémitisme comme cheval de Troie de l’affiliation sioniste de la France à Israël.

Le philosémitisme comme politique de division des minorités. Voir le maniement manipulateur de la laïcité exercée ouvertement contre les Musulmans et non contre d’autres religions dans un détournement flagrant de la loi de 1905

D’où le lien intrinsèque entre la lutte contre le sionisme et la lutte contre l’islamophobie car ceux-là mêmes qui défendent la confiscation de la terre palestinienne, diffusent un racisme structurel qui cible les Musulmans, en particulier arabes.

Cf : Yvan Najiels à la lecture d’Enzo Traverso : « les peuples parias existent encore. Il s’agit au Proche-Orient du peuple palestinien et, en France, des musulmans et des musulmanes dont on traque épouvantablement foulards et robes trop longues.

Nous sommes dans une période chaotique d’un monde qui s’effondre et où les détenteurs du pouvoir agitent des menaces imaginaires dans des stratégies de division et de fragmentation de la société – la vieille manie de diviser pour régner. Face à cela, on ne peut que travailler à unifier les luttes contre les discriminations et les atteintes aux droits.

Des axes de lutte

Faire comprendre que l’antisionisme n’est pas antisémite (sauf de la part des antisémites qui entretiennent la confusion)
Montrer que la lutte contre le sionisme est inséparable de la lutte contre l’islamophobie
Articuler les luttes contre les racismes par la déconstruction de représentations fragmentées et de politiques de division telle l’instrumentation de la laïcité
Comme l’écrit Houria Bouteldja dans Les Blancs, les Juifs et Nous, « il y a conflit d’intérêt entre nous, certes (i.e les Juifs et les Arabes). Mais nous avons en commun de ne pas constituer les corps légitimes de la nation. Il y a un combat commun qui pourrait être la décomposition du pacte racial et républicain qui fonde la nation française ».

C’est effectivement sur un projet de déconstruction du pacte racial et républicain que peuvent se rejoindre des luttes pour la reconnaissance des droits de toutes les minorités, qu’elles soient arabes, juives, noires, asiatiques ou Rroms.

Sonia Fayman, 8 octobre 2016


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