L’ouvrage de Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo, se propose de revenir sur le phénomène fasciste moderne, avec une grille d’analyse matérialiste. Il circonscrit davantage ce phénomène que ne le fait Arendt (évoquant un principe « totalitaire » peut-être trop large), et s’inscrit dans la tradition marxiste d’un Daniel Guérin, qui aura su rattacher le fascisme à une totalité socio-économique et politique déterminée.
Le premier chapitre propose un historique du fascisme. Une spécificité du fascisme apparaît : les premières formes politiques fascistes, qui apparaissent en France à la fin du XIXe siècle, prônent une modernisation, à l’inverse de la droite traditionnelle, conservatrice. Gustave Le Bon, Barrès, Maurras, mais aussi Boulanger, constituent les figures centrales de ce pré-fascisme français.
De façon précise, est ensuite décrit le développement progressif du fascisme italien, et du nazisme allemand, après la première guerre mondiale, dans le contexte de difficultés socio-politiques nationales, et surtout au fil de la constitution de milices anti-ouvrières. On constate alors que ces fascismes ne se développent pas contre le capital, mais au contraire qu’ils peuvent d’abord servir ses intérêts intimes. L’horreur des camps de concentration et d’extermination, dans le contexte de la « solution finale », ainsi que la spécificité de l’antisémitisme moderne, sont bien sûr envisagées, ainsi que la fonction à la fois tactique et cathartique de la violence fasciste (qui finit par s’insérer dans la violence d’État).
Le développement du fascisme et du nazisme, en Italie et en Allemagne, dans les années 1920-30, est indissociable d’un contexte de crise : ces idéologies proposent une politique de relance keynésienne, et prônent une alliance interclassiste. Elles s’adressent dans un premier temps aux couches populaires. Pourtant, le fascisme au pouvoir finit par mener des politiques sociales favorables à la bourgeoisie, développe un anti-communisme primaire, et ne propose finalement qu’un altercapitalisme ultra-nationaliste, fixé autour d’un leader charismatique et autoritaire.
Les auteurs insistent sur le fait que, par définition, ce fascisme ne peut être anticapitaliste, car l’anticapitalisme strict finirait par remettre en cause son principe d’unité nationale interclassiste (en effet, tout anticapitalisme cohérent finit par développer les luttes sociales contre la bourgeoisie, et demeure en outre internationaliste).
C’est aussi l’échec des partis bourgeois traditionnels face à la crise qui aura permis l’accession au pouvoir des fascistes.
Le deuxième chapitre revient sur « le nouveau visage du fascisme ». Il propose un panorama contemporain. La crise de 2008 contribue à barbariser l’exploitation, et à favoriser des politiques austéritaires dures. La « Troisième voie » que constitue l’extrême droite altercapitaliste retrouve un certain regain d’énergie.
Le racisme anti-musulmans (FN), ainsi qu’un antisémitisme radical (Egalité et réconciliation), définissent la manière dont ces extrêmes droites déterminent leur principe d’unité nationale et d’alliance interclassiste. L’ouvrage distingue les grands partis xénophobes d’extrême droite (FN) des groupuscules de rue (Ayoub). Les seconds revendiquent davantage l’héritage fasciste. Mais ces deux mouvances peuvent entretenir aussi des relations intimes. C’est dans cette mesure que l’ouvrage considère que le fascisme reste un phénomène d’actualité.
L’ouvrage revient sur les nouveautés de ces extrêmes droites contemporaines : une islamophobie devenue structurelle. Mais aussi la pseudo-défense des droits des femmes et des personnes homosexuelles, instrumentalisée pour développer le rejet des musulmans jugés « homophobes » et « masculinistes ». En réalité, l’idéologie d’extrême droite demeure fondamentalement pétainiste, patriarcale et homophobe, mais ce pinkwashing superficiel n’est qu’un moyen de diffuser une islamophobie virulente. Le conspirationnisme, et le développement d’Internet, sont également des données qui redessinent les contours de ces extrêmes droites.
L’ouvrage s’achève finalement sur un panorama des territoires de l’extrême droite : les localités françaises d’extrême droite sont analysées, ainsi que l’idéologie régionaliste que portent ces courants. Puis la question internationale et géopolitique qui est posée par ces extrêmes droites est brièvement développée. En guise de contrepoint nécessaire, un état des lieux sur les luttes antifascistes est finalement exposé.
Il s’agit d’un ouvrage agréable à lire, didactique, sans vocabulaire technique, qui s’adresse à toute personne soucieuse de comprendre les grands enjeux des fascismes modernes, et de l’extrême droite contemporaine. Il cible les points essentiels à retenir, et peut même constituer un outil précieux pour tout militant soucieux de s’inscrire dans la lutte antifasciste.