Un boom de l’école à la maison en Belgique ???
La DH et La Libre nous annonçaient en décembre passé un scoop sur l’école à la maison : « Le carton de l’école à la maison : +100% en huit ans ! »
Que penser de cette affirmation ? Pour commencer, le boom annoncé dans l’article n’a rien de nouveau. La DH annonçait déjà à grand bruit une augmentation de l’école à la maison l’année dernière, dans des termes très similaires, et s’appuyant sur les mêmes chiffres. Ce sont bien les mêmes données qu’on nous présentait alors, en utilisant la magie des statistiques de manière un peu différente, mais tout aussi efficace.
Observons donc ce fameux boom d’un peu plus près.
Nous sommes passés cette année de 909 à 934 enfants instruits en famille en Belgique francophone, soit une magistrale augmentation de … 25 enfants ! 25 représente 2.75% de 909. Cette année, l’école à la maison dans notre région a donc fait un boom de moins de 3%. Pas de quoi en faire un plat, comme on dit chez nous …
Surtout quand on sait que l’enseignement maternel compte à ce jour 189 588 enfants, le primaire, 331 319, et le secondaire, 368 164 (source : La Fédération Wallonie-Bruxelles en chiffres – 2016), ce qui fait, au total, 889 071 élèves. Les 934 élèves instruits en famille constituent donc 0.102% de la population scolaire dans notre région. Et les 25 élèves qui sont venus grossir les rangs de l’école à la maison représentent au final le record de … 0.003% des effectifs de la Fédération Wallonie-Bruxelles !!!
Une question se pose dès lors :
Que cherchent les gouvernants, et avec eux les médias, en attirant ainsi de façon récurrente les regards des citoyens sur un phénomène aussi marginal ? Serait-ce pour les détourner d’autres chiffres bien plus questionnants, et à une échelle ô combien plus inquiétante, comme le taux de redoublement, le nombre d’élèves qui quittent l’école à 18 ans sans le moindre diplôme, ou encore le nombre de jeune placés en IPPJ ?
Par exemple, en cinquième primaire, un élève sur cinq est en retard. Cette proportion augmente avec les années : 36% d’élèves en retard en deuxième secondaire ; 52% en troisième secondaire. Et bizarrement, les chiffres s’améliorent légèrement en rhéto … pourquoi, à votre avis ? Très simple : parce que beaucoup de ces jeunes dits « en retard » (ce qui signifie qu’ils ont doublé au moins une fois) ne sont plus là. Ils ont quitté l’école, et suivent éventuellement une formation en alternance, ou pas … Toutefois, 17% des jeunes de 20 ans sont encore scolarisés dans l’enseignement secondaire.
Tout aussi interpelant, le nombre de jeunes victimes de harcèlement à l’école. Voici ce que rapporte la CODE (coordination des ONG pour les droits de l’enfant) à ce sujet : « Un récent rapport d’enquête en FWB réalisé par le GIRSEF (UCL) sur un échantillon d’élèves allant de la 6ème primaire à la 3ème secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) indique que 16% d’élèves se déclarent régulièrement victimes de harcèlement, 14% régulièrement auteurs de harcèlement et 5% régulièrement à la fois auteurs et victimes de harcèlement. »
Le boom du retard scolaire et celui du harcèlement à l’école me semblent bien plus préoccupants que les 25 enfants qui cette année ont « gonflé » les rangs de l’école à la maison.
Mais poursuivons la lecture de l’article, et en particulier, de l’encart intitulé « UN CAPRICE DE LA PART DES PARENTS – L’école la maison serait, selon certains experts, très néfaste pour les jeunes. » J’imaginais trouver sous ce titre quelques spécialistes de l’éducation m’exposant leurs arguments contre l’école à la maison, preuves à l’appui. Quelle surprise : le « certains experts » semblent se réduire à une seule et unique personne, « Madame Françoise Persoons, ancienne directrice d’école et présidente de l’ASBL L’école à l’hôpital ».
J’aimerais, pour commencer, qu’on m’explique en quoi cette personne est une experte de l’école à la maison. Le poste de directrice d’école, certes sûrement très intéressant et plein de défis, ne permet pas de se faire la moindre idée de la manière dont des enfants peuvent grandir sans école. Et le fait d’accompagner des enfants à l’hôpital est une activité louable et très constructive, mais qui n’a aucun lien avec le choix pédagogique d’apprendre en famille. Les enfants sont hospitalisés contraints et forcés, pour d’évidentes raisons médicales, et aspirent bien évidemment à sortir de l’hôpital ! Qui s’en étonnerait ?
Madame Persoons considère comme une erreur de la part des parents le fait de garder son enfant à la maison plutôt que de l’envoyer à l’école … Mais Madame, où avez-vous été trouver cette information ? Comment pouvez-vous affirmer que ces parents « gardent leur enfant à la maison » ? Les enfants qui grandissent hors des grilles et murs de l’école ne sont pas séquestrés par leurs parents ! Ils vivent, ils bougent, visitent, voyagent, découvrent le vrai monde et la vraie vie qui bouge autour d’eux !
Vous nous dites ensuite que beaucoup de parents affirment retirer leur enfant de l’école pour des raisons de « phobie scolaire », phobie dans laquelle vous voyez un phénomène de mode. Est-il si surprenant, vu le taux de harcèlement en milieu scolaire, que des enfants en soient traumatisés et que des parents trouvent des solutions pour aider leur enfant en souffrance ? L’école à la maison en est une, oui, et c’est un choix responsable fait par des parents attentifs à leurs enfants, et certainement pas un caprice, ni du parent, ni d’un soi-disant « enfant-roi ».
L’instruction est obligatoire en Belgique, et l’inspection scolaire se charge de vérifier que nos enfants sont instruits. Par ailleurs, l’enseignement à domicile et la liberté pédagogique des parents sont un droit constitutionnel. En assumant l’instruction de nos enfants, nous faisons un choix certes minoritaire, mais totalement légal. Vous serait-il dès lors possible de cesser de nous juger et de vous battre pour faire disparaître nos droits ? Nous ne faisons de mal à personne. Nous vivons dans une société complexe, multiculturelle, dans laquelle les uns et les autres posent les choix qui leur sont propres. Je pense que cette diversité est précieuse, et doit être préservée.
Je voudrais pour ma part vous partager l’avis d’un expert en qui j’ai toute confiance, le professeur Jean-Yves Hayez, psychiatre infanto-juvénile et docteur en psychologie. Voici ce qu’il écrit :
« Vous me demandez mon avis sur l’enseignement à domicile. Mon avis est très favorable, issu tant de mes expériences, que de discussions entre collègues et de lectures. Les enfants et adolescents qui en bénéficient suivent un chemin quelque peu différent des autres, mais tout aussi susceptible d’être épanouissant, tant pour leur intelligence que pour leur créativité. Je parle bien sûr ici en général et malheureusement, comme dans tout phénomène humain, il existe une minorité plus défavorable (repli sur soi de certains parents, surtout d’ordre philosophique ou religieux) : on pourrait tenter de faire évoluer cette minorité, certes, mais par le dialogue et pas par des mesures autoritaires qui ne changeront rien. En outre, l’existence de cette minorité problématique ne justifie pas que l’on s’attaque à la liberté de choix et de conscience des autres parents, en leur interdisant des pratiques où ils trouvent à raison l’épanouissement de leurs enfants et de leur famille et qui, de surcroît, sont aujourd’hui raisonnablement contrôlées par l’État. Un tel autoritarisme aurait des relents de collectivisme stalinien ! »
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