Quand les squatteurEUSEs font le travail de la police…
Alors qu’il y a quelques années, se développaient déjà toutes sortes de dynamiques néfastes dans le milieu squat, la situation semblait changer depuis qu’un peu partout en France apparaissaient des initiatives nouvelles, des centres sociaux autogérés, visant la solidarité et l’entraide, et sortant du microcosme habituel.
A Montpellier, il faut bien se l’avouer, l’envie de révolte et d’émancipation des squatteurEUSEs a malheureusement abouti sur des positionnements ambigus, et a fini par susciter des questionnements à propos des motivations d’une « avant garde » autoproclamée.
En effet, la hiérarchie informelle qui était déjà bien ancrée dans les squats dits autogérés, s’est développée, structurée en réseaux, pour au final aboutir à des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale « squattés » qui aurait pu fonctionner comme n’importe quelle institution hiérarchisée - finissant de balayer les restes des aspirations d’autonomie et d’autogestion qui animaient habituellement la vie des squats militants. Les dérives ne se sont pas fait attendre : maisons de maître pour les « militants », logements pourris pour les autres, caméras de surveillance, gestion de la vie des gens, etc. Le tout sous les auspices de la LDH et du PCF. Malheureusement, il y eut des maltraitances dans ces lieux que ces « travailleurs » sociaux autoproclamés ne pourraient infliger dans un cadre légal.
Alors qu’il y a quelques années, les petits chefs bénéficiaient d’une impunité telle qu’ils pouvaient expulser de « leurs » squats qui bon leur semblait avec plus de facilité que la police elle-même. Aujourd’hui, ces pratiques existent toujours : on dégage des squats dits « sociaux » le zonard qui est rentré trop défoncé se coucher, le petit jeune sans revenus qui a volé, la nana qui ne couche plus avec le mâle alpha du collectif, l’autre nana qui a froissé l’ego du mâle alpha en le remettant à sa place, etc. Il s’agit de manière générale des personnes isolées, en situation de précarité, fragilisées. L’humiliation systématique que représente ces expulsions en dit long sur notre manière d’aborder la lutte.
On ne va pas citer les autres formes de putschs et d’exclusions plus subtiles mais tout aussi violentes, récurrentes de ce milieu squat, qui peuvent se manifester à travers une multitude d’actes et de propos malveillants et qui, à terme, peuvent parfois se rapprocher du harcèlement.
Généralement, les femmes sont les premières à subir ces schémas d’oppressions, ce qui contredit l’anti-sexisme affiché de ces militants. Si l’on y ajoute le manque de sensibilisation de la part de certaines copines, qui les amènent souvent à se désolidariser de leurs camarades oppressées, ou carrément à reproduire cette violence masculine, on se rend vite compte que le féminisme, tout comme l’autogestion, est quasi-inexistant dans ce milieu - rendant plus que jamais incohérentes les belles paroles qu’on arbore avec fierté sur les façades des lieux qu’on réquisitionne.
Lorsq’unE camarde est victime de ce genre de comportements (propagations de rumeurs, menaces, intimidation, violences physiques,...), il/elle l’est souvent pour avoir remis en cause les pratiques d’autres militantEs en position dominante. Ces attaques qui ont tendance à se répandre ces derniers temps, témoignent à elles seules de l’ampleur qu’a pris la situation.
De manière générale, la norme institutionnelle de l’autoritarisme, celle de l’inféodation à de pathétiques réseaux de micro pouvoir, se portent globalement bien dans le milieu squat Montpelliérain, de quoi rendre jaloux le plus beauf des baqueux ou l’assistante sociale de la préfecture la plus zélée.
Bien qu’on ait su construire un spectacle d’apparences, aujourd’hui comme hier, les simulacres d’A.G n’arrivent que très mal à cacher nos dérives gestionnaires. Les vrais décisions sont prises en privé entre gens de bonne compagnie (avec parfois l’appui de « partenaires institutionnels »).
Ces cercles informels de pouvoir, principalement constitués d’hommes blancs hétéronormés, ont au final à eux seuls une emprise sur les deux trois squats « militants » de la ville. Les rares femmes qui en font partie le sont seulement parce qu’elles ont des relations intimes avec les hommes en question et/ou parce qu’elles cautionnent la domination masculine qu’ils exercent, acceptent de la subir de temps à autre et se retrouvent bien souvent à adopter les mêmes codes qu’eux. Celles-ci n’ont, au final, aucun pouvoir réel.
Le plus étonnant chez ces personnes « en charge », pour ne pas dire chefs (les appeler par ce qu’ils/elles sont rendrait caduque la posture autogestionnaire qu’ils/elles ont appris à singer), qui font ouvrir, gèrent et vident les squats de manière plus ou moins insidieuse, c’est leur facilité à légitimer la position de pouvoir qu’ils/elles exercent au sein d’un collectif. Par exemple, en prétextant une ancienneté ou un background militant, parfois bien relatif, des connaissances et/ou savoir-faire plus développés, qui peuvent aussi être compris comme une incapacité à partager ses connaissances ou comme de la banale rétention d’informations (dans le but justement de maintenir cette position de pouvoir), ou encore en pointant du doigt le manque d’implications et d’initiatives de la part des autres membres du collectifs, dont ils/elles sont souvent les premiers responsables, par leur autoritarisme et leurs pratiques excluantes. Si chercher à analyser les relations de pouvoir s’inscrit dans une démarche logique dès lors qu’on dit un tant soit peu vouloir fonctionner de manière horizontale, leur légitimation, ici, semble beaucoup moins cohérente.
La réalité est généralement bien plus simple que ces sous-justifications subjectives. En effet, il ne s’agit bien souvent dans les faits, que d’un petit groupe affinitaire plus ou moins homogène, souvent peu politisé, ayant réussi à établir un rapport de force sur le reste d’un collectif dont les membres sont triés sur la base de leur soumission aux normes de pouvoir.
Le plus grave c’est que l’ensemble des « prestations sociales », le logement et la bouffe, est conditionné par une règle simple : rendre les courtoisies nécessaires aux bienfaiteurs. Pour les rebelles, le marché est le suivant : la bouffe et le lit en échange du silence, ou la porte. Plus on est docile, plus on monte en hiérarchie.
Il est normal que dans une telle situation, le seul liant du groupe dominant soit devenu un spiritualisme de supermarché propre au groupe caritatif.
L’absence de structures et de conscientisation dans le milieu autogéré des squats montpelliérains a, entre autres, permis l’émergence et le développement de réseaux de pouvoir informels qui se nourrissent des forces vives du milieu libertaire jusqu’à produire l’accaparement d’un tel pouvoir qui peut s’officialiser. Ces mécanismes qu’on avait déjà laissé s’installer dans certains lieux, il y a quelques années, et contre lesquels il aurait alors été plus facile de s’organiser, nous ont mené vers des dérives ultra-gestionnaires qui ont pris désormais une dimension telle qu’on ne sait comment les endiguer. Les petits chefs ont maintenant leur structures officielles comme label de leur engagement politique (ma foi bien relatif) leur servant de marque distinctive pour asseoir toujours plus leur autorité - structures qui se renouvelleront sous un autre sigle, une fois leurs véritables objectifs démasqués. Beaucoup espèrent que le "milieu squat" saura se défaire au plus vite de cette immondice.
Rompre le rang ou fermer sa gueule !
Cette dynamique est nettement entretenue par les plus anciens du milieu, dont l’influence est perçue comme légitime par les plus jeunes, et qui - en exerçant ces pratiques ou en les cautionnant par leur silence - perpétuent ces schémas tellement récurrents qu’ils en deviennent la norme et poussent, à la longue, certainEs à s’éloigner de ce sous-milieu.
Les bonnes âmes se mettront alors à crier contre celles et ceux qui se désolidarisent, ou brisent une unité, qu’ils/elles sont les seulEs à percevoir.
Il est sûr qu’il serait plus que nécessaire d’être solidaires mais s’il y a une révolution possible, notre milieu nous montre déjà les prémisses de son futur échec et s’il y a une alternative aux institutions, elle ne se trouve présentement pas dans le milieu squat de Montpellier.
Bien sûr, il n’est pas question de remettre en cause les réelles luttes qui dans les moments d’espoir comme de doutes, ont fait naître quelques-unes de mes plus émancipatrices amitiés, et qui ne rendent en fin de compte ce constat que plus déchirant.
Mais après ces années de squat, il se trouve qu’aujourd’hui, je n’ai plus le goût de l’échec et ne saurais dire ce qui me dérange le plus : poser des mots durs sur la réalité crue de ce milieu ou y avoir pris part. Ce qui est pour le moins évident, c’est qu’il m’était impossible de me résoudre à gueuler ACAB tout en continuant de boire le café avec des gens qui adoptent des attitudes de flics.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que dans le milieu d’aujourd’hui se dissimulent grossièrement les social-traîtres de demain, dans le maintien d’un statu quo assez alarmant. Statu quo maintenu en interne par une absurde tendance à réduire les divergences d’idées et des pratiques politiques à de simples problèmes interpersonnels. De la même manière, lorsque quelqu’unE se fait attaquer sur des faiblesses (dépendances, fragilité psychologique, âge, sexe, etc.), les formules telles que « t’exagères » (qui ne sont qu’une façon de minimiser le problème), ou encore « t’en fais une affaire personnelle », deviennent les maîtres mots pour avorter un débat dont personne ne veut, et pour éviter ainsi d’avoir à remettre en cause certaines de nos pratiques. « Ses » problèmes personnels (attaques répétées dont il/elle est la cible) ne sont que des formes de discrimination et d’oppression contre lesquelles nous sommes censéEs être politiquement positionnéEs. Le ACAB qu’on aurait gueulé si un flic avait traité unE camarade de la sorte devient un « t’en fais une affaire personnelle ». Cette habitude à réduire au personnel ce qui est politique rend impossible tout débat de fond et toute éventuelle évolution de nos pratiques, nous condamnant à perpétuer les schémas sociaux que nous échouons à combattre.
Dans les squats Montpelliérains, les divergences sont seulement perçues par le prisme du privé et de l’affect, et non d’un point de vue politique, car là où l’ego règne, tout devient fatalement affaire personnelle, maintenant ainsi toujours plus bas le niveau du débat politique .
Dans la tentative désespérée de maintenir une illusoire unité, nous contribuons nous-mêmes à l’explosion de notre propre milieu au lieu d’assumer la diversité de ses idées et de ses pratiques. Nous avons confondu convergence des luttes et uniformisation de la lutte. FigéEs dans un milieu incapable de la moindre introspection, où la critique la plus anodine est perçue comme un acte de haute trahison, nous sommes les bâtisseurSEUSEs de notre propre prison, dans laquelle la plus accessible des échappatoires reste encore l’autodestruction qui imprègne, il faut bien le dire, nos lieux de vie. Et finalement, avant d’en appeler à l’unité d’un mouvement aléatoire, incapable du moindre positionnement clair, le/la militantE qui se voit déjà comme l’avant-garde de la révolution à venir ferait d’abord mieux de tuer le flic qui est dans sa tête avant de rêver de sédition.
P.-S.
L’ampleur des dérives ultra gestionnaire propre à notre milieu a désormais atteint un tel niveau qu’il devient extrêmement compliqué de fermer les yeux. Car il ne faut pas se leurrer, ces pratiques qui s’enracinent dans une bonne partie des squats Montpelliérains, finiront tôt ou tard par avoir des répercussions sur l’ensemble du milieu. Fermer les yeux ne suffit plus, le boycott des squats fonctionnant de la sorte ne fait que laisser le champ libre aux petits chefs et à leurs pratiques douteuses. Le clivage à l’œuvre autour de ces questions se doit d’être clarifié et travaillé de manière réfléchie. À plus forte raison dans la situation actuelle.