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Selon que vous serez Darmanin ou Ramadan.... justice à deux vitesses

posté le 06/03/18 par CAROLINE DE HAAS Mots-clés  antifa  féminisme 

Pour moi, ça a commencé par un coup de téléphone sur mon portable, avant l’été 2017. « Bonjour, je m’appelle Pierre Spatz et je voudrais vous voir. C’est important ». J’allais entendre parler de l’affaire Darmanin pour la première fois.

J’étais à l’époque, à côté de mon boulot, en campagne électorale. Ma première réaction, ça été de me demander comment ce monsieur avait eu mon portable perso. Je lui ai proposé de passer le soir à une réunion publique de campagne et qu’on discute à ce moment-là. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un problème de logement ou de place en crèche. On en reçoit beaucoup dans les campagnes. J’ai pensé, un peu fatiguée : « Oh la la, encore quelqu’un pour qui on va avoir du mal à trouver des solutions »

A la sortie de la réunion, un monsieur s’avance vers moi et se présente. Au bout de quelques secondes, je comprends qu’il ne va pas me parler de logement ou de place en crèche. Mais d’une histoire de violence.

En plus de 10 ans d’engagement sur le sujet, j’ai appris à reconnaitre les voix basses, cassées, un peu hésitantes, qui me demandent « Je pourrais vous voir après la réunion ? » ou « Je peux vous parler d’un truc personnel ? » ou « Je peux vous parler un moment ? ».

En 10 ans, à chaque fois, ce serrement de cœur, cette boule dans le ventre. Cette tristesse immense qui me saisit. En face de moi, une femme ou un homme dont la vie a basculé, un jour, parce que quelqu’un lui a fait du mal. A chaque fois, c’est vrai, il y a cette envie fugace, quelques secondes, de partir en courant loin. Très loin.

Quand Pierre m’a raconté l’histoire de Sophie Spatz, j’ai réagi comme avec chaque histoire. J’écoute la victime présumée et je réagis pour elle. D’abord je qualifie les faits pour contrer la tentative permanente de banalisation : « Ce que vous me racontez pourrait être qualifié de viol par un tribunal. C’est grave ». Ensuite, je réassure la personne qui est souvent inquiète : « Vous avez bien fait de venir me voir. Votre histoire est dure. Mais ça va aller ». Enfin, je propose des solutions : un accompagnement pour la victime (appelez le 0800 05 95 95), un contact avec une avocate spécialisée sur la question des violences et une rencontre avec des journalistes pour qu’une enquête soit menée.

C’est ce que j’ai fait pour Sophie. Je lui ai donné les coordonnées d’une avocate, avec laquelle elle a ensuite décidé de redéposer une plainte. J’ai adressé le dossier que m’avait remis Pierre à des journalistes enquêtant sur les cas de violences sexuelles, pour qu’ils et elles fassent leur travail d’investigation.

Je ne sais pas comment chacune et chacun pense son rôle de citoyenne et citoyen. En ce qui me concerne, lorsqu’une personne vient me voir, m’écrit ou m’appelle pour me parler de violences, je réagis toujours de la même manière. Je nomme, je rassure, j’oriente.

Est-ce que j’aurais du partir en courant ce jour là ? Dire à Pierre : « Ecoutez, votre dossier, je ne vais même pas le lire. S’en prendre à un ministre, vous rigolez ? ». Est-ce que j’aurais du me dire que tout cela ne me regardait pas ? Qu’au final, cette violence, si elle était avérée, n’était pas mon problème ?

J’ai reçu depuis des mois des informations et des témoignages qui concernent des responsables politiques. De tous bords. A de très hauts niveaux de responsabilités. Des ministres, des responsables de partis de gauche comme de droite, des hauts fonctionnaires. Contrairement à ce que la société semble penser, les femmes victimes parlent. Le problème, c’est que souvent personne ne les entend.

Je ne suis ni journaliste, ni juge. Je ne peux enquêter ou juger. Je suis militante féministe. Je peux accueillir la parole des femmes victimes et les orienter. C’est ce que j’essaye de faire. C’est ce que je ferai à nouveau si d’autres femmes victimes de ministres viennent me voir.

Si une victime me demande s’il faut porter plainte, je réponds toujours la même chose : « Je ne sais pas, c’est à votre avocat.e et aux associations de vous accompagner ». Je n’ai pas porté plainte pour le viol que j’ai subi. Je serai bien à mal de conseiller quelqu’une là-dessus.

Depuis que Le Monde a rendu publique l’affaire, je suis sidérée.

Je suis sidérée par la façon dont Sophie Spatz, la plaignante, est présentée. Son ancien métier de call-girl est rappelé systématiquement. Sophie aurait été dentelière ou enseignante, personne n’en saurait rien. Comme si son ancien métier pouvait justifier une violence sexuelle ou qu’il constituait une information sur la crédibilité de ses accusations. Son passé judiciaire rappelé en boucle. Logique. Si t’as été condamnée par la justice dans le passé, t’es immunisée contre le viol (au secours).

Je suis sidérée par la méconnaissance généralisée sur les violences sexuelles. Le fait que l’affaire ressorte des années après serait le signe qu’elle serait fausse. Dans ce cas, la quasi-totalité des affaires de violences sexuelles portant sur des personnalités publiques sont fausses. Car elles sont toutes ressorties des années après. Pourquoi ? Demandez aux femmes victimes de Weinstein, Baupin, Franco ou Cosby pourquoi. Parce que la peur, l’isolement et la honte, ressentis par quasiment toutes les victimes de violences, sont exacerbés par le fait que la personne visée est connue.

Je suis sidérée par la réaction du Premier ministre qui, sans attendre que la justice soit rendue, a décidé qui avait raison ou tort dans cette affaire. « Il a toute ma confiance » a-t-il dit de l’accusé. Sans même ajouter « si les faits sont avérés, c’est grave ». Sans un mot pour la plaignante. Le Premier ministre a donc déjà tranché. Il ne présume pas Gérald Darmanin innocent. Il affirme qu’il l’est. Avant la justice.

Je suis sidérée par la réaction du gouvernement et des député.e.s en Marche qui se mobilisent pour défendre (et applaudir !) le ministre accusé de viol. Faisant mine que tout est normal alors que tous le savent parfaitement : un ministre accusé de viol, cela fragilise l’action du gouvernement, en particulier sur la lutte contre les violences. Cela s’appelle la politique. Et faire mine que tout va bien, qu’il n’y a aucun problème, c’est prendre les gens pour des imbéciles.

Je suis sidérée que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet ait commenté une enquête préliminaire pour viol alors même qu’elle vise un membre de son gouvernement. Elle est la supérieure hiérarchique du parquet, chargé d’appliquer la loi. Comment la patronne du parquet peut s’exprimer sur une enquête préliminaire sans que personne ne réagisse ? On peut ajouter à cela que la ministre de la justice demande au parquet (selon ses propres dires) des remontées sur les affaires sensibles alors qu’elle siège toutes les semaines à côté du présumé innocent qui lui, n’est pas censé avoir accès à ces informations. Tout est clean.

Je suis enfin sidérée par la façon dont certains médias et éditorialistes qualifient mon intervention. J’ai accompagné une femme victime venue demander de l’aide. Je l’ai fait des dizaines et dizaines de fois ces derniers mois. J’aurais dû dire « merde » à Sophie parce qu’elle accusait un responsable politique ? La traiter différemment sous prétexte que cela pourrait m’apporter des ennuis ? C’est justement une des choses que je hais viscéralement dans la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Le fait de ne plus agir en fonction de ses convictions mais en fonction de ses intérêts.

Je dois reconnaître que depuis quelques jours, je me dis parfois « Mais pourquoi je n’ai pas fermé ma gu…. ? ». En réalité, je sais pourquoi. Parce que je ne peux plus. Je ne sais plus faire ça. Je ne sais plus me taire ou tourner le dos lorsqu’on me parle de violences. Parce que je pense qu’en détournant le regard, vous, moi, nous sommes en réalité une partie du problème.


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