Vers 13h, dans le centre, beaucoup de personne ce sont déjà fait arrêtées préventivement par les flics. On essaye de rejoindre le cortège. Entre Trône et Art-Loi, il y a, à vue d’œil entre 200 et 300 personnes. L’ambiance est étrange. Une grande quantité de personnes filment en direction de la rangée de flics qui leur bloquent le passage. Les gens sont sur la route ou en hauteur, ça donne une forte impression qu’ils et elles regardent un spectacle. Les personnes détenues à ciel ouvert semblent attirée toute l’attention. Sentiment d’une impuissance immobilisante.
Pourtant, ce n’est pas non plus l’apathie. Des personnes emmerdent la ligne de flics. D’autres embrouillent un journaliste qui filme et/ou prend des photos des manifestants. Ça fait plaisir de voir que les journalistes ne sont toujours pas les bienvenus. On a pu entendre : « vous raconter que de la merde et des mensonges », « vous mettez la tête des personnes non masquée, ça les met en danger.. ». Bref, il est plus qu’invité à dégager et à arrêter de prendre des images. Le journaliste finit d’ailleurs par partir, il n’avait plus trop le choix. Les journalistes ne sont pas les seuls à prendre des images, la foule est remplies de smartphone qui filment dans la manif, des téléphones comme un prolongements de la main. Certain.es vivent le moment derrière leur écran, oubliant qu’iels peuvent ainsi participer à la répression des personnes agissant. Manif 2.0, Il faut être connecté, il faut faire des commentaires directement, « faire des souvenirs » parce que nos cerveaux sont en perte de mémoire ? Parce que rien ne semble plus existé s’il n’est pas stocké dans une mémoire artificielle ou sur internet ? Prendre des images devient l’objectif primordiale avant de se soucier de ce qu’on peut faire dans l’instant présent, avec les personnes qui nous entoure.
Quelques slogans sont lancés comme le très homophobe « Michel on t’encule ». MERCI pour les gens qui aiment se faire enculer parce qu’ils/elles aiment baiser et pas parce qu’ils/elles veulent se faire violer, dominer ou humilier ! Ou encore le très décevant « Michel démission ». Un autre que Michel ferait tout autant de la merde. Comme tous les précédents. On ne veut pas d’un remplaçant, on veut plus du tout de gouvernement.
On tourne un peu en rond. On n’avait pas envie de rester là sans rien faire, ni à regarder, ni à attendre que les flics se déploient derrière nous pour élargir le nombre de personnes détenues. À un moment, l’idée a été lancée de pas rester là, « de bouger d’ici, parce qu’il y a encore toute la ville autour de nous ». De fait, c’est aussi de la solidarité envers les personnes nassées d’aller continuer à faire du bordel ailleurs et c’est aussi déstabilisant pour les flics de devoir subitement gérer un nouveau groupe de manifestants. Cette envie s’est très vite propagée et déjà ça se questionne sur où aller, et pourquoi, etc. Ce qui était évident pour ces personnes, c’est qu’il était hors de question de juste rentrer à la maison… D’un coup, la foule s’est ébranlée au cri de « manif sauvage ! ».
Cependant, à côté des joyeux vandals (des « méchants casseurs »), il y a aussi des groupes de citoyens-flics (les « gentils manifestants » ou les « vrais gilets jaunes » diront les politicien.nes et médias). Ces derniers veillent au grain à ce que la manif reste une simple marche, sans vague et cherchent à empêcher des dégradations. Les paciflics n’hésitent pas, pour arriver à leurs fins, à mettre les gens sous pression, les insulter ou arracher ce qui permet aux personnes de se masquer !
Ils et elles pensent probablement que si on fait les gentils manifestants bien sages, on recevra des bonbons à la fin de la manif ou quelques améliorations à ce système démocratico-capitaliste de merde. Mais il n’y a que des miettes, et des vies mises sous contrôle. Même quand tout est fait pour que la cage ait l’air confortable. On ne détruira pas le pouvoir en le caressant dans le sens du poil, ni en jouant avec ces propres règles.
Alors, prendre la rue, c’est se donner un peu d’air, se réapproprier un espace qui n’est pas pensé pour nous, mais pour le flux de la consommation et pour notre contrôle. Et quand on croise des feux et panneaux de signalisation défoncés, des pubs brisées, et que la circulation est bloquée, ca fait plaisir parce c’est une manière d’exprimer de la colère et de se réapproprier ce soi-disant « espace public ». Enrayer cette normalité quelques instants. On est chez nous », comme entendu scandés par beaucoup la semaine précédente. De plus, ces dégradations laissent des traces dans le sillage de la manif, encore visibles le lendemain malgré le travail effectué pour invisibiliser au maximum ce mouvement social.
Le cortège avance. À Madou, il emprunte une rue qui mène à la Colonne des Congrès (Soldat Inconnu). Pas très loin, on aperçoit quatre robocops. Ils sont disposés en ligne derrière des barbelés montés sur des barrières métalliques. Différents projectiles sont lancés sur eux. Ils ont l’air de se sentir bien seul à protéger le Parlement Flamand situé dans la rue derrière leur petite barricade. De fait, on avait appris plus tôt que des flics avaient été postés préventivement devant certains bâtiments « sensibles » pour les protéger.
La manif ne stagne pas, après avoir emmerdé un peu ces flics, une vitrine se fait cogner, des tags fleurissent sur le parcours. On peut lire, entre autre : « A bas l’état et ses policiers », « A bas le travail », « Révolte », ou encore « Ni patron, Ni patrie, Ni mari ». Des cris de joies sont entendus lors des tags et de la casse.
Du mobilier urbain est dégradé ou arraché (panneaux de pubs et de signalisation sont pris pour cibles), un chantier est aussi ouvert et quelques objets y sont pris pour être mis sur la route. Les façades d’institutions qui nous contrôlent sont prises pour cible : banques, tour des finances, institutions liées au travail, flics…
On passe le carrefour Botanique. On croise une voiture électrique qui a été renversée et dont les vitres sont explosées. On descend vers la Rue Neuve, on voit de loin qu’un combi est posté devant l’accès de l’Antre du Capitalisme. Le groupe est assez dispersé et tout le monde n’est pas encore en bas, quand, déjà, les premiers lacrymo sont balancés. Un nuage de fumé cache alors l’unique combi qui bloque la route et les gens courent en arrière. La tension monte vite. On n’aura pas réussi à faire masse pour dépasser le combi et s’amuser dans la Sacro-Sainte Rue Neuve. Trop dispersé.es. Très vite, la manif est rattrapée par une horde de fourgons hurlant qui traversent à toute vitesse le groupe pour se déployer aux entrées de la Rue Neuve et disperser les gens. On se retrouve alors sur l’esplanade pour se demander ce qu’on allait faire. Continuer vers la Basilique ? Aller vers Schaerbeek ? Les flics sont tendus. Ils se rapprochent, les décisions se prennent à la hâte et des groupes de gens partent dans des directions différentes. Une partie part vers la rue du Brabant. Quelques trucs sont encore mis sur la route pour ralentir l’arrivée des flics qui nous suivaient. Une voiture de flics, sans doute une simple patrouille, fait demi-tour à la vue du cortège. Ils ne semblaient pas trop à l’aise de s’approcher de nous.
Le groupe continue et s’effiloche au fur et à mesure du parcours… Les flics le suivent de près.
Ce texte n’est qu’une partie du récit de cette manif, et c’est un vécu parmi d’autres. Si vous avez envie de raconter d’autres trucs, la place est là.
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