Le 23 juin 2016, la municipalité de Bondy adopte la décision suivante : « Le Conseil Municipal de Bondy se prononce pour l’application du droit international, aussi bien dans son esprit que dans sa lettre, qui déclare les colonies israéliennes en Palestine illégales et décide de ne fournir à sa population que des marchandises et des services conformes à ce droit ».
Le 20 octobre 2016, la municipalité d’Ivry adopte un vœu similaire, s’appuyant également sur l’application du droit international, rappelle « les violations constantes du droit international par l’État d’Israël, l’appel palestinien au BDS pour faire respecter ce droit » et conclut au « droit de ne pas acquérir ni distribuer des produits non conformes au droit international, comme ceux provenant des colonies israéliennes illégales et le droit de ne pas passer contrat avec des entreprises qui bafouent le droit international en ce qui concerne leurs activités dans les colonies israéliennes ».
Dans les deux cas ce sont de fortes majorités des conseils municipaux qui se sont prononcées, selon la règle démocratique et républicaine.
Pourquoi ce vote ? Parce que, de fait et n’en déplaise à certains, ce que l’on appelle la société civile refuse le rapport de domination établi en Israël-Palestine contre le peuple palestinien, refuse l’impunité de l’oppression, et choisit de répondre librement par la campagne citoyenne et non violente du BDS. Il suffit de discuter avec un vendeur de fruits et légumes sur un marché pour s’en rendre compte, les produits israéliens quand ils sont visibles ne se vendent plus.
Ivry comme Bondy prennent acte de ce mouvement pacifique qui revendique l’application du droit, comme chemin vers l’égalité.
C’est là qu’interviennent les remugles. Une certaine presse idéologique au service d’une vision du monde qui veut achever d’écraser l’opprimé, d’évacuer le réfugié, de stigmatiser le Rrom, le musulman, … la liste est longue, cette presse-là se réveille et attaque. La même presse qui dort pendant les bombardements de civils à Gaza, les emprisonnements politiques, les assassinats ciblés, la colonisation et l’occupation illégales des territoires palestiniens, les démolitions de maisons, l’accaparement de l’eau... là aussi la liste est longue.
L’« article » de Martine Gozlan du très laïque et très républicain Marianne, (qui se qualifie d’ « enquête » (!)) commence très fort : sur proposition d’un élu qui avait justifié les attentats du 13 novembre, [1] suit la photo de l’élu qui a le tort visible d’être basané.
Traduire : arabe donc terroriste... Exit les élus PCF, Verts, et de l’association Convergence Citoyenne Ivryenne. Ce vœu est le fruit d’un basané au nom arabe Atef Roumha qui soutient le terrorisme, point barre.
Ici, images, mots, virgules, ont tous un poids soigneusement étudié. Ainsi en est-il de la description de la salle du conseil municipal qui suit l’image : Mais ce lieu, voilé, tel un théâtre, de tentures pourpres...
Nous laisserons le lecteur apprécier l’image théâtrale de ce voile soigneusement glissé là.
« Le « vœu » est de toute façon illégal (comme celui pris par la mairie de Bondy en juin), en vertu d’un arrêt de la Cour de cassation, qui interdit le boycott d’Israël. » (c’est l’auteur qui souligne) énonce ensuite tranquillement la journaliste. Pour en finir avec cet abus d’interprétation il suffit de consulter un simple dictionnaire du droit au mot « jurisprudence », c’est nous qui soulignons les passages cités :
« Il est de principe que les tribunaux ne peuvent rendre "des arrêts de règlement", c’est à dire qu’ils ne peuvent se substituer ni au pouvoir législatif ni à celui de l’autorité administrative disposant du pouvoir réglementaire pour définir une règle obligatoire...
...« Cependant aucune règle ne fait obstacle à ce qu’ un juge rende un jugement contraire à un principe formulé par la juridiction la plus élevée dans la hiérarchie judiciaire et rien ne permet à priori de penser que la résistance de ce juge ne sera pas finalement reconnue par la Cour de cassation. »
Si une cour de cassation a certes statué « contre le boycott d’Israël », cet arrêt ne constitue en aucun cas une loi, ou un interdit s’appliquant sur le territoire national et s’inscrit plutôt dans le cadre d’une bataille politique où l’on a pu mesurer les pressions exercées sur le pouvoir judiciaire, notamment par la circulaire Alliot-Marie, pour empêcher l’expression politique et citoyenne contre le régime israélien. (En effet, ce n’est pas Israël qui est boycotté, mais une politique systématique d’oppression et de discrimination, un régime. Pas plus que ce n’était l’Afrique du Sud qui était boycottée, mais le régime de l’Apartheid, ou les États du Sud des États-Unis, mais leur régime de Ségrégation.)
L’article reprend ensuite et en rajoute, faisant porter la responsabilité du vote sur un seul homme, le même basané du début : non seulement il aurait défendu les terroristes, mais il est aussi, ce qui est encore plus suspect, « proche des Indigènes de la République sur les réseaux sociaux, » (sic !) [2]
« et s’était également illustré, en mai 2015, à propos de la relaxe des policiers lors du verdict dans l’affaire Zyed et Bouna. « La police française est meurtrière ! » Enfin pour achever le profilage : il est l’élu de « Convergence citoyenne ivryenne. Une association fondée en 2001, très populaire dans les quartiers défavorisés, où elle surfe sur la vague identitariste. »
Identitariste, néologisme à rapprocher sans doute d’un autre plus connu « communautariste », les deux visant une catégorie bien spécifique et racisée de population des quartiers défavorisés.
Pour parachever son œuvre, et expliquer quand même le vote majoritaire, la journaliste fait un sort au maire communiste d’Ivry : « qui en a besoin pour bétonner une majorité municipale dans laquelle la faucille et le marteau ont perdu leur allant d’antan. Mais ni le tranchant ni la lourdeur, à en juger par la mansuétude de M. le Maire pour des paroles antirépublicaines chargées de semer de nouvelles graines de violence. »
Atef Rhouma (et son association), bien qu’élu municipal et français, est considéré par l’article comme un arabe, donc un musulman donc un soutien des terroristes, et comme son association, et par extension comme le maire communiste, le vote du conseil municipal est un vote identitaire. Le procédé est celui proposé par la Hasbara, service de la propagande israélienne : délégitimer le délégitimateur [3] ; ainsi on fait oublier le principal objet du vote : le soutien à la Palestine et au peuple palestinien opprimé, et faisant d’une pierre deux coups on contribue à cogner sur les arabes français cette fois, accusés de porter le flambeau de la cause palestinienne au cœur de la République, et à mots couverts d’importer le conflit, sans doute est-ce ainsi qu’il faut entendre la dernière phrase citée. On appréciera au passage l’adjectif de l’expression « nouvelles graines de violence » qui en rajoute une couche sur la violence de ces populations racisées.
Ce qui est anti-républicain c’est le remugle nauséabond du racisme qui plane sur ce texte dès ses premiers mots et ses premières images, c’est la volonté de délégitimer la solidarité citoyenne avec la Palestine, et c’est aussi la conception israélienne de la citoyenneté, déconnectée de la nationalité, que l’article semble vouloir appliquer ici en France. En Israël en effet on est de citoyenneté israélienne mais de nationalité juive ou arabe ou druze … Nous n’épiloguerons pas sur ce qui est « identitariste » dans cette conception associée à la défense inconditionnelle d’Israël quoi qu’il fasse, et à tout prix, même celui d’un torchon sale.
[1] Nous ne nous substituerons pas ici au droit de réponse légitime de l’élu visé sur les interprétations malveillantes de ses propos.
[2] voir le travail utile et précis de Eyal Sivan et Armelle Laborie dans « Un boycott légitime » publié à la Fabrique
[3] Les Indigènes de la République sont devenus un véritable marqueur de la haine du racisé. il est difficilement supportable en effet pour l’auteur et bien d’autres, de voir les racisés lever la tête et s’autonomiser du joug dominant.