En réalité, il est impossible de répondre à cette question de manière précise. Tout d’abord, il y a la pression toujours présente de l’idéologie bourgeoise à laquelle se heurte toute tentative de décrire la société future et de la poser comme perspective objective. Cette pression cherche ainsi à faire croire à l’immortalité des rapports capitalistes, elle déforme, elle dénature, elle mutile les définitions du communisme et de la révolution prolétarienne. En effet, combien d’ouvriers n’identifient-ils pas le communisme aux "paradis" du travail militarisé et du capitalisme d’État que sont l’U.R.S.S., la Chine, Cuba et autres pays prétendus "socialistes" ? Ensuite, il y a la nature même du communisme qui rend toute description, toute image parfaite et détaillée impossibles.
En effet, le communisme "n’est pas un état qu’il faut créer, ni un idéal vers lequel la réalité doit s’orienter" mais "le mouvement réel qui abolit l’ordre établi". (Marx. L’Idéologie allemande. 1847)
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie tout simplement que la société communiste n’est pas un but abstrait né de l’imagination de quelques "illuminés", et que, de ce fait, on ne peut pas s’en faire une idée abstraite et parfaite. Contrairement à ce que croyait Hegel (philosophe allemand du début du 19ème siècle auquel Marx reprit sa méthode dialectique, l’histoire n’est pas la matérialisation, la concrétisation de plus en plus parfaite d’une Idée (l’Idée de l’Homme, l’Idée du Communisme...). Le communisme n’a rien à voir avec une projection de l’esprit, un fantasme vers lequel l’humanité doit se hisser. La société communiste est une étape historique, humaine, réelle, objective. Elle jaillit des contradictions mêmes de la vieille société, elle en est le fruit nécessaire.
Pourtant le communisme n’est pas non plus le produit de la fatalité. Même si elle repose sur des conditions réelles et objectives, sur le pourrissement de contradictions économiques et sociales, la société communiste est avant tout l’œuvre pratique, collective et consciente des hommes. Pour la première fois dans l’histoire, une classe sociale pourra prendre en main son propre destin. Mais elle ne pourra le faire qu’en étant organisée et consciente. C’est pourquoi, le communisme n’est ni un "projet" intellectuel et artificiel, ni une fatalité mécanique et aveugle, La communauté humaine future verra sa mise en place par une transformation volontaire et progressive du vieux monde, par une destruction violente et préalable des anciens rapports sociaux.
De ce fait, les conditions subjectives et objectives de ce mouvement réel qui conduit au communisme, résultent de facteurs existants dans le présent. Dès l’instant où la révolution communiste est à l’ordre du jour, elle est déterminée par une préparation subjective préalable, par le développement d’une prise de conscience présente. Car, comme le communisme, la révolution doit, elle aussi, constituer une action politique volontaire et consciente dont le succès dépendra du degré d’organisation et de conscience que le prolétariat aura collectivement atteint. C’est à cette condition que la communauté humaine peut devenir une réalité et cesser d’être une simple possibilité objective.
Voilà pourquoi, tout en étant bien conscients de l’impossibilité de peindre un tableau précis de la société communiste, il nous paraissait absolument nécessaire de définir, dans ses grandes lignes, la révolution communiste et les buts finaux qu’elle se pose. Car ce sont la nature de la révolution communiste et ses nécessités, les caractéristiques des nouveaux rapports sociaux à construire qui vont déterminer le développement de la conscience de classe et le type d’organisation du prolétariat. Deux questions fondamentales que nous abordons dans les chapitres suivants.
LES CARACTÉRISTIQUES DU COMMUNISME
Dans la mesure où il n’est pas une utopie, un idéal abstrait, le communisme trouve racine dans la vieille société. Ses possibilités et ses conditions objectives naissent à la fois des contradictions internes du capitalisme et de la capacité politique de la classe révolutionnaire à bouleverser la société. C’est à la fois dans le degré atteint par les forces productives et dans la nature des rapports sociaux portés par le prolétariat que la société future puise la nourriture, la substance nécessaire à sa croissance. Ce n’était qu’après un certain développement des forces productives et l’épuisement de toutes les possibilités de l’ancienne société, au moment où les rapports sociaux capitalistes entrent en contradiction avec le progrès de ces forces, que le communisme et la révolution prolétarienne pouvaient constituer des nécessités objectives.
• "La prise de possession de l’ensemble des moyens de production par la société "ne pouvait devenir possible, devenir une nécessité historique qu’une fois données les conditions matérielles de sa réalisation. Comme tout autre progrès social, elle devient praticable non par la compréhension acquise du fait que l’existence des classes contredit à la justice, à l’égalité etc., non par la simple volonté d’abolir les classes, mais par certaines conditions économiques nouvelles". (Engels. AntiDuring. 1894)
Ces conditions objectives nouvelles démontrent clairement que les seuls rapports sociaux capables de réellement faire progresser les forces productives et de répondre aux besoins actuels de l’humanité sont ceux qui aboliront l’antagonisme entre capital et travail, qui supprimeront le capital et le salariat, la production marchande, la nation, les divisions en classes (...).
De ce fait se précisent les points suivants :
• Le communisme doit être une société sans classes, sans exploitation de l’homme par l’homme et sans aucun type de propriété, individuelle ou collective.
• Seule l’appropriation sociale, par l’ensemble de la société, des moyens de production peut répondre à la socialisation de la production développée par le capitalisme. Seule l’abolition des privilèges de classes et de l’appropriation privée peut supprimer l’incompatibilité actuelle qui existe entre la production sociale et les rapports capitalistes.
Cette appropriation sociale de la totalité des forces productives et des moyens de production ne peut être faite que par le prolétariat : une classe sociale exploitée, dénuée de toute propriété économique, associée dans la production.
La société communiste suppose donc le dépassement de la pénurie, la production selon les besoins humains. L’abondance de la production permettra la satisfaction effective des besoins divers de l’humanité. Le degré atteint dans le développement des forces productives, des sciences, des connaissances et des techniques humaines permettra également de libérer l’homme de l’emprise et de la domination de forces économiques aveugles. Pour la première fois dans l’histoire, l’homme, en maîtrisant consciemment ses conditions de vie et de reproduction, passera du règne" de la nécessité à celui de la liberté".
Cette production selon les besoins humains, cette libération de l’humanité ne peuvent évidemment se réaliser qu’à une échelle mondiale et en bouleversant tous les aspects de la vie économique et sociale. Ainsi le communisme abolit la loi de la valeur. Sa production socialisée et universellement planifiée par l’ensemble des hommes, ne connaît que des valeurs d’usage dont la distribution directe et socialisée exclut échange, marché, vente, argent...
D’une société d’exploitation de l’homme par l’homme où la concurrence et l’anarchie économique déterminent l’opposition et la concurrence entre les individus et entre les classes, l’humanité passe, avec le communisme, à une société où prédomine la communauté humaine.
Une communauté sera formée où toute forme de pouvoir politique, gouvernement, État, police etc., qui maintiennent la domination d’une classe sur une autre disparaîtront en même temps que l’exploitation et la division en classes. L’existence de gouvernements, de modes d’asservissement de l’homme, de sa personnalité et de sa créativité, laisse place à une simple administration des choses, à "une association de producteurs libres".
Ces caractéristiques de la société communiste constituent vraiment le "minimum" de ce que nous pouvions cerner. Faute de place (et compte tenu de ce que nous avions précisé plus haut), nous nous sommes bornés à des affirmations très générales. De plus, aucune des conséquences directes de ce nouveau mode de vie sur les relations humaines n’ont été abordées dans cette description sommaire. Nous n’avons pas développé ce qu’impliquerait la suppression de toute forme de division, de contrainte, d’aliénation, de ségrégation etc.
Pourtant cette esquisse grossière laisse déjà deviner le véritable gouffre qui sépare la société capitaliste et toutes les sociétés antérieures, du monde de demain. Une société sans exploitation de l’homme par l’homme ! Où chacun vit selon ses besoins et ses désirs ; qui ne connaît pas de séparation entre travail intellectuel et manuel ! où la liberté signifie autre chose que la liberté de vendre sa force de travail ! (...) Inconcevable !
Même s’il nous est impossible d’imaginer dans ses détails, ce bond extraordinaire que l’humanité devra franchir, une certitude nous est cependant donnée : jamais l’humanité n’aura été, dans son histoire, placée devant la nécessité d’un tel saut qualitatif. Cette constatation, évidemment fort encourageante, est aussi une arme à double tranchant. Car pour la première fois, ce pas qualitatif ne pourra être accompli que par une classe sociale pleinement consciente de ses tâches historiques. Or la classe sociale capable d’une telle prise de conscience est précisément celle qui supporte un avilissement extrême, une exploitation féroce, le poids écrasant de l’idéologie bourgeoise.
Ainsi ce qui fait la qualité, la supériorité et le degré d’humanité du communisme est justement fonction de la faiblesse, du dénuement extrême, de l’inhumanité d’une classe sociale. Parce que "dans les conditions de vie du prolétariat sont concentrées, sous leur aspect inhumain, les conditions de vie de la société", le prolétariat "ne peut se libérer sans supprimer ses propres conditions de vie inhumaines, sans supprimer toutes les conditions de vie inhumaine de la société actuelle qui sont concentrées dans sa situation" (Marx, Engels. La sainte Famille. 1844).
Ainsi les raisons qui poussent le prolétariat à libérer l’humanité toute entière, à créer une société sans classe, sans exploitation, repose sur ses conditions d’exploitation au sein de la production.
Le prolétariat, démuni de tout pouvoir économique au sein de la société, classe exploitée au sein de la production, ne doit compter que sur lui-même pour se libérer, ne possède que sa solidarité et sa conscience à opposer au capitalisme : deux armes clés qui rejoignent précisément les caractéristiques de la société future.
Ces mêmes faits rendent l’opposition du prolétariat à la bourgeoisie extrêmement fragile et pénible. N’ayant aucun privilège économique à faire valoir à l’encontre du pouvoir de la bourgeoisie, le prolétariat constitue une proie facile des pressions de l’idéologie, des tentatives sans cesse renouvelées de le dévoyer de sa lutte finale.
• VOILA POURQUOI LA MARCHE VERS LE COMMUNISME N’EST PAS UNE FATALITÉ, MAIS UN ENFANTEMENT D’UNE DOULEUR ET D’UN EFFORT JAMAIS CONNUS. VOILA POURQUOI, malgré le potentiel révolutionnaire extraordinaire du prolétariat, qui ne possède que ses chaînes à perdre et un monde à gagner, IL N’EXISTE AUCUNE GARANTIE ABSOLUE à LA VICTOIRE DE LA RÉVOLUTION ; AUCUN DÉTERMINISME DANS SON DÉROULEMENT. à DÉFAUT DE CETTE NOUVELLE ÉTAPE DANS SON HISTOIRE, L’HUMANITÉ PEUT S’ENFONCER DAVANTAGE DANS UNE BARBARIE SANS NOM, Peut-être MÊME SE DÉTRUIRE à JAMAIS.
Le cheminement vers le communisme, la lutte du prolétariat apparaissent, de ce fait comme une suite heurtée de victoires et de défaites, comme une suite de reculs, de nouvelles poussées, comme une tension volontaire et consciente, constamment remise en question et critiquée.
LA RÉVOLUTION COMMUNISTE
• "Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIIIème siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l’enthousiasme extatique est l’état permanent de la société, mais elles sont de courtes durées. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s’empare de la société avant qu’elle ait appris à s’approprier de façon calme et posée les résultats se sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIXème siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau, devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que se soit créée enfin la situation qui rende tout retour en arrière impossible, et que les circonstances elles-mêmes crient : Voici Rhodes, c’est ici qu’il faut sauter ! " (Marx. Le 18 Brumaire de L. Bonaparte.1852)
Mouvement incessant, constamment critiqué et remis en question, la révolution prolétarienne doit son aspect heurté en "dents de scie" aux caractéristiques mêmes du communisme.
En effet :
La révolution communiste n’est pas l’aboutissement d’un processus économique, d’une érosion progressive des anciennes structures sociales, mais la condition préalable et politique à un bouleversement économique et social. Elle constitue le point de départ de tout un processus de transformation de la vieille société.
Dans le passé, la puissance économique d’une classe et sa capacité à imposer un nouveau type de rapports sociaux étaient pratiquement synonymes. Les nouvelles structures sociales, qui devaient poursuivre la marche du progrès et s’imposer à tous par la force ou la persuasion, se justifiaient en définitive par les intérêts économiques particuliers de la classe révolutionnaire. Pour illustrer cela, il suffit de se rappeler de quelle manière la bourgeoisie ébranla la société féodale.
A partir du XVème et XVIème siècles, de grandes familles bourgeoises, particulièrement en Europe du Sud, règnent sur le commerce et l’argent en maîtres incontestés. Un flot incessant de métal, de tissus, d’épices emprunte les chemins de terre et de mer. Dans les villes, sur les routes nouvelles qui joignent des centres économiques nouveaux, se déploie une marrée d’or ; les arts, les sciences, les lettres, les idées y fleurissent. Les découvertes scientifiques et techniques se multiplient comme les cités industrielles, la pensée accomplit des bonds extraordinaires, le temps n’est pas loin où Copernic exposera sa théorie sur les Révolutions des sphères célestes. Partout on éprouve le besoin d’aller vite, d’être efficace et précis aussi bien en matière de finance et de commerce qu’en production industrielle. Une classe sociale est en train de bouleverser la société et de conquérir le monde. Elle possède pour cela un atout essentiel : la puissance financière, l’argent. Sans maîtriser pour autant la puissance politique qui reste encore aux mains de la féodalité, la bourgeoisie va imposer progressivement ses lois.
• "La lutte de la bourgeoisie contre la noblesse féodale est la lutte de la ville contre la campagne, de l’industrie contre l’économie naturelle et les armes décisives des bourgeois dans cette lutte furent leurs moyens de puissance économiques accrus sans arrêt par le développement de l’industrie, d’abord artisanale, puis progressivement jusqu’à la manufacture, et par l’extension du commerce. Pendant toute cette lutte la puissance politique était du côté de la noblesse" (souligne par nous). (Engels. Anti-Düring.)
Pour passer du capitalisme au communisme, pour abattre toute forme d’exploitation, le prolétariat ne dispose pas de ces mêmes atouts économiques. Aucune bourse d’argent sonnant, aucun acte de propriété, aucun pouvoir industriel ne viendra ni ne pourra l’aider dans sa lutte. Aucune puissance économique ne peut dissoudre progressivement les chaînes du capital et mener au communisme. Quelle puissance matérielle le prolétariat peut-il, en effet, retirer de la possession de son instrument de travail, des boulons de sa machine ou même de toute son usine dans le cadre du maintien international des rapports capitalistes ? La possession, même partielle, par le prolétariat des moyens ou des fruits de la production dans le cadre capitaliste est un leurre, une impossibilité objective, une mystification. Seule la révolution politique mondiale et violente peut jeter les bases de l’appropriation collective des moyens et des fruits de la production.
Dans la mesure où le prolétariat ne s’appuie sur aucun intérêt économique particulier, ni sur une propriété quelconque, il ne vise aucunement à établir une nouvelle société d’exploitation. C’est précisément parce qu’il est la dernière classe exploitée de la société, celle qui ne possède que ses chaînes à perdre, que le prolétariat pousse objectivement vers la construction d’une société sans classe et sans exploitation. Le prolétariat reste une classe exploitée même après la révolution, après la prise du pouvoir politique. Entre cette prise du pouvoir, l’instauration de la dictature du prolétariat et le communisme s’étale une période de transition au cours de laquelle le prolétariat est obligé de généraliser sa propre condition à l’ensemble de la société et d’intégrer les autres classes et couches dans le processus de production. Car sans cette transformation, sans cette élimination progressive des classes, le prolétariat reste une classe "exploitée" (sur la plus-value de laquelle continue à vivre en parasites une série de couches sociales) même après la révolution politique mondiale.
Or bien souvent, les réflexions qui surgissent lorsqu’on parle de la révolution communiste sont les suivantes : "rien ne prouve que le prolétariat une fois au pouvoir ne va pas (pour se venger !) exploiter à son tour une autre classe : regardez ce qui s’est passé en Russie !" ou bien "le pouvoir corrompt les plus belles intentions", etc., etc. C’est dans la façon même dont ces questions sont posées que se trouve le vice de raisonnement. En effet, l’incompréhension de la nature à la fois révolutionnaire et exploitée du prolétariat, de l’absence de toute base matérielle pour permettre aux ouvriers de fonder un pouvoir matériel et donc une nouvelle oppression de classe, l’incompréhension de la nécessité et de la possibilité objective d’une société sans classe pour continuer le développement des forces productives, aboutissent tout simplement à l’apologie et à la justifications les plus plates du maintien des rapports capitalistes. Cette myopie caractéristique de l’idéologie bourgeoise empêche de voir que s’il s’avérait après la révolution qu’une partie des ouvriers en arrive à exploiter les autres (imaginer la totalité des ouvriers s’exploitant eux-mêmes est évidemment une absurdité !), cela ne signifierait rien d’autre qu’un recul de la révolution, qu’un pas à nouveau gagné pour le capitalisme. Les "ouvriers exploiteur deviendraient à ce moment-là les représentants objectifs et réels de la bourgeoisie (et non une nouvelle classe). La révolution prolétarienne et la destruction du capitalisme n’en seraient que remises à plus tard.
La révolution communiste et son aboutissement au niveau mondial ne constituent donc pas une victoire immuable, une garantie absolue à la victoire du communisme. Pendant la période de transition, un recul vers la société capitaliste reste possible. La solidarité et la conscience du prolétariat doivent tendre tous leurs efforts à combattre ce recul possible.
C’est pourquoi les armes utilisées par les ouvriers dans ce combat ne sont pas n’importe lesquelles. Tout d’abord il est clair que la révolution et la dictature prolétariennes ne peuvent pas s’accommoder des vestiges et des séquelles du pouvoir ancien. Ces vestiges doivent au contraire être progressivement balayés et détruits au cours de la période de transition. Dans le passé, ce nettoyage en règle ne fut pas nécessaire.
Même si la bourgeoisie procéda à un bouleversement fantastique des structures sociales, des mentalités et des comportements, ce qui constituait fondamentalement les charpentes de l’exploitation de l’homme par l’homme et ses outils de coercition ne fut pas bouleversé. A la hache du bourreau de l’Inquisition, succéda le couperet de la guillotine démocratique. Nos nouveaux maîtres, tout en "libérant" de leur ancienne servitude les futurs exploités, s’accommodèrent fort bien des vieilleries rendues inoffensives de l’ancien régime, de l’ancienne machine d’exploitation féodale. Ils les mirent tout simplement au goût du jour. Policiers, fonctionnaires, bourreaux... changèrent tout simplement d’habits. Professeurs, philosophes, penseurs... changèrent tout simplement de doctrine. Et dans certains cas (comme en Allemagne et en Russie au début du 20e siècle), une puissance économique capitaliste pouvait fleurir et croître au côté d’une basse-cour d’aristocrates, de junkers, d’officiers et de bureaucrates impériaux, de nobles, de princes et d’empereurs...
Parce qu’elle poursuivait justement une société de classes et d’exploitation, la bourgeoisie réutilisa à son profit de vieilles structures répressives du pouvoir féodal sans que cela ne la gêna aucunement aux entournures de sa puissance économique.
Rien de tel pour le prolétariat qui ne peut s’ériger en classe dominante que suite à la destruction de l’État bourgeois sous toutes ses formes. Ainsi que le démontra l’expérience de la Commune de Paris, le prolétariat ne peut pas s’emparer de la machine d’État capitaliste mais doit la détruire de fond en comble.
Il doit donc forger des outils de transformation sociale et de combat qui lui soient propres et correspondent à la nature de la société communiste. Le type d organisation du prolétariat en classe révolutionnaire doit correspondre au type de révolution sociale qu’il instaurera et au type de société nouvelle qu’il construira.
• "L’appropriation par le prolétariat de l’ensemble des moyens de production dépend en outre de la manière dont elle sera effectuée. Elle ne peut être réalisée que par une association qui, en raison du caractère du prolétariat, ne peut être elle-même qu’universelle, par une révolution dans laquelle, d’une part, la puissance de l’ancien mode de production et de communication aussi bien que l’organisation sociale sera renversée et dans laquelle, d’autre part, le caractère universel du prolétariat et l’énergie qui lui est nécessaire pour réaliser l’appropriation se développeront. C’est dans cette révolution que le prolétariat se dépouillera en outre de tout ce qui lui est resté de son ancienne position sociale" (souligné Par nous). (Marx, Engels. L’Idéologie allemande 1847)
Le sol fertile de la révolution, de la prise du pouvoir et du communisme doit être constitué par l’organisation collective et solidaire des ouvriers, par leur prise de conscience révolutionnaire, par leur action énergique et lucide, par la participation créative de l’ensemble de la classe ouvrière à ce combat gigantesque.
En effet, la révolution mondiale du prolétariat, outre le fait qu’elle est un processus collectif et violent, se caractérise surtout par LA NÉCESSAIRE CONSCIENCE DE CLASSE QUI DOIT LA GUIDER.
Alors que dans le passé, la détermination jouée par les conditions objectives dépassait la part de volonté et de conscience qu’exigeait tout bouleversement social. Alors que la succession des différents modes de production se déroulaient en quelque sorte "par dessus la tête" des hommes et des classes. Alors que, assujettie au faible développement des forces productives, la classe révolutionnaire se soumettait à une réalité qu’elle croyait autonome, étrangère et immuable. Alors que les forces historiques semblaient agir à la manière des forces de la nature : aveugles, violentes, arbitraires et incontrôlables...
• "Le communisme se distingue, lui, de tous les mouvements qui l’ont précédé jusqu’ici en ce qu’il bouleverse la base de tous les rapports de production et d’échanges antérieurs et que, pour la première fois, il traite consciemment toutes les conditions naturelles préalables comme des créations des hommes qui nous ont précédés jusqu’ici, qu’il dépouille celles-ci de leur caractère naturel et les soumet à la puissance d’une classe unie" (souligné par nous). (Marx, Engels. L’Idéologie allemande.1847)
Or comme nous avons pu le constater précédemment, le communisme, la marche vers celui-ci, la révolution procèdent fondamentalement d’un même processus et posent les mêmes exigences. Chaque étape particulière de ce mouvement (étapes qui ne peuvent être isolées) porte déjà les caractéristiques du but final. En ce sens, si le communisme ouvre le règne le l’organisation consciente de la production selon les besoins humains, la transformation sociale et la révolution qui le précèdent ne peuvent être autres choses que des actes conscients. Le prolétariat se doit donc d’appréhender la réalité avec un minimum de préjugés, c’est la première classe qui puisse effectivement le faire.
Les classes révolutionnaires du passé luttaient pour un ordre social progressif par rapport au précédent mais qui n’en comportait pas moins une nouvelle exploitation. La conscience que ces classes pouvaient acquérir au cours de leur lutte ne pouvait être que mystifiée puisqu’elle devait pouvoir justifier et masquer cette exploitation. La lutte prolétarienne, au contraire, ne tend pas à instaurer une exploitation nouvelle mais à libérer de l’exploitation toute la société. En ce sens la conscience de classe du prolétariat est la première qui doive et puisse être libre de mystifications et de préjugés, la seule qui puisse appréhender la réalité sociale d’une façon véritablement "scientifique".
Certes le processus de prise de conscience n’est pas achevé une fois pour toute ou donné dans l’absolu dès l’apparition des premières luttes ouvrières. S’élaborant progressivement sous la poussée des circonstances matérielles et des expériences historiques de la classe, il ne peut aller qu’en se renforçant et en s’enrichissant sans cesse. Néanmoins :
S’il est vrai que la prise de conscience du prolétariat n’est jamais parfaite ou totalement achevée, cela ne signifie absolument pas que la révolution communiste puisse se passer de cette prise de conscience et se dérouler d’une manière un peu "accidentelle" ou volontariste.
La réussite du processus de la prise du pouvoir par le prolétariat exige donc que celui-ci soit pleinement conscient de ses tâches historiques. Impossible à quantifier cette conscience de classe doit néanmoins correspondre aux nécessités de la révolution et du communisme et constituer un processus collectif. La prise de conscience du prolétariat correspond à la conjonction de facteurs complexes qu’il nous convient d’analyser à présent et qui relèvent à la fois de conditions objectives et d’éléments subjectifs.
Courant Communiste International - http://fr.internationalism.org