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Propagande islamophobe : une offensive médiatique mondiale des néocons et des fachos

posté le 27/09/18 Mots-clés  antifa 

Des Etats-Unis à l’Europe, un réseau de propagandistes islamophobes occupe le terrain médiatique avec maestria. Le tueur d’Oslo adhérait à leurs théories. Paul Moreira a enquêté sur ces idéologues dans un documentaire pour Canal+.

Dans cent ans, des historiens intrigués contempleront peut-être le moment que nous sommes en train de vivre. Au début du XXIe siècle, après trois décennies de destruction d’emplois par le transfert de l’industrie dans le tiers-monde et alors que les gouvernements et les banques flirtent avec la banqueroute, des experts autoproclamés, des imprécateurs d’Apocalypse et parfois même des animateurs de télévision, qui semblent afficher un léger dysfonctionnement psychique, s’enrichissent en martelant dans les médias que l’Islam et les étrangers basanés se trouvent sur le point de détruire la civilisation occidentale.
Un Français relativement modéré, Eric Zemmour, laisse juste entendre qu’une guerre de religion ravage les quartiers nord de Paris ou affirme que certaines familles arabes interdisent à leurs enfants de parler français. L’Américain Glenn Beck voit les choses en grand. Pendant deux ans, chaque soir, sur Fox News, à 17 heures, Glenn Beck a pu sonner l’alarme : une conspiration islamo-bolchevique (Beck avait découvert des communistes américains sous on ne sait quel caillou) s’apprête à renverser le capitalisme et à installer un califat en Amérique. Tout cela financé par le "milliardaire gauchiste" George Soros...
Un bon nombre d’Américains convaincus que le Hezbollah a infiltré la Maison Blanche
"Amérique, réveille-toi, hurle Beck tout près de la caméra. C’est le duel final ! Celui qui gagne la partie remporte la planète !" Musique et jeu de lumières dramatiques à la Qui veut gagner des millions ? - après la pub, Beck vous en dit plus sur le complot islamiste qui va bientôt vous confisquer vos cartes de crédit ! Au bout de deux ans, en 2011, la direction de Fox News, trouvant le message "un peu répétitif", a mis fin à l’émission.
Conséquence de ce matraquage, un nombre non négligeable d’Américains ont fini par se convaincre que les Frères musulmans et le Hezbollah avaient déjà infiltré la Maison Blanche ou que la France vivait sous la terrible loi islamique, la charia : mutilations, lapidation et interdiction du jambon dans le croquemonsieur. Les activistes islamophobes ont un talent particulier pour transformer de fausses informations en réalité. Robert Spencer et Pamela Geller appartiennent au réseau mondial Stop Islamization of America (SIOA), des militants anti-islam très actifs aux Etats-Unis et en Europe du Nord (SIOE). Ils ont réussi à laisser croire que des djihadistes s’apprêtent à construire une "méga-mosquée" sur les ruines du World Trade Center : "Ils veulent ainsi célébrer leur victoire sur l’Amérique !"
La mosquée n’en est pas une, il s’agit d’un centre culturel avec une salle de prières. Et elle ne se trouve pas à Ground Zero mais à trois cents mètres plus au nord dans une petite rue sombre et anonyme. Peu importe, 60 % des Américains sont désormais "contre la mégamosquée de Ground Zero", selon un sondage paru dans Time Magazine en août 2010.
Une efficacité déconcertante
Les idéologues islamophobes sont peu nombreux mais d’une efficacité déconcertante. Ils influencent les partis politiques et certains gouvernements. En France, on a vu Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur de Sarkozy, reprendre mot pour mot leurs arguments ou les membres du Tea Party républicain emprunter leurs idées pour combattre le président "soi-disant américain Barack ’Hussein’ Obama". En Europe et aux Etats-Unis, les chaînes de radio et de télé leur ont offert d’amples tribunes.
Il est peu probable que les programmateurs audiovisuels aient la vulgarité de partager leurs vues mais il faut le reconnaître : ces idéologues sont une bonne affaire. Une partie du public les regarde parce qu’elle les aime et l’autre parce qu’elle les déteste. La haine et l’outrance rassemblent, font monter les audiences. P. T. Barnum, des cirques Barnum, avait verbalisé dès le XIXe siècle l’axe basique du divertissement de masse : "On ne perd jamais d’oseille à sous-estimer son public."
Ce raisonnement pragmatique (ou cynique) pouvait tenir jusqu’à Oslo. En juillet 2011, un tueur fou islamophobe hache 76 personnes à la balle explosive. Pour légitimer son geste, il a posté sur internet un document de 1 500 pages où l’on découvre que l’homme aux balles dum-dum était sous l’influence des idéologues islamophobes : Robert Spencer, cité cinquante-huit fois en référence, l’universitaire Bernard Lewis, Walid Shoebat, prédicateur chrétien fondamentaliste qui appelle à la guerre sainte, et un unique Français : le philosophe néoconservateur Alain Finkielkraut. Celui-ci avait émis une équation - l’antiracisme (qui veut le bien) est aujourd’hui l’équivalent du communisme et son versant totalitaire, la dictature stalinienne - que le tueur avait lue à l’envers : être raciste, c’est défendre la liberté. La liberté n’a pas de prix... Où ai-je rangé mon dernier chargeur ? Un détail aurait dû nous faire tiquer : les "idéologues dum-dum" sont devenus des sortes de stars pour des mouvements peuplés de néonazis. Des porte-voix qui peuvent aussi relayer docilement leur propagande sans rien vérifier.
En France, grâce à eux, le Bloc identitaire a réussi une très belle opération médiatique. Ce groupuscule est issu du "nationalisme révolutionnaire" où l’on forme de jeunes recrues à protéger leur aryanité. Publiquement bien sûr, on assure avoir renoncé à la fascination pour le IIIe Reich et vouloir juste préserver l’identité de la France des terroirs. Derrière des portes closes, les maîtres penseurs déplorent les dégâts infligés à la race blanche par le procès de Nuremberg...
Guerre de religion à Barbès
Le Bloc identitaire est à l’origine de l’opération "Sylvie François". En juin 2010, une habitante, "Française de souche", de la Goutte-d’Or appelait à un apéro saucisson-pinard pour protester contre l’islamisation de son quartier. "Sylvie François" a pu s’exprimer sur I-télé, RMC, Europe 1 où elle racontait une vie quotidienne effroyable : les insultes des musulmans dans la rue parce qu’elle ne portait pas le voile, l’impossibilité d’acheter du jambon ou du vin dans un quartier sous domination islamique.
Sur I-Télé, le polémiste Eric Zemmour s’insurge, parle de provocations musulmanes et de guerre de religion à Barbès. Le chroniqueur du Figaro Ivan Rioufol exprime son "soutien à la résistante de la Goutte-d’Or" (sous-entendu : contre l’invasion mahométane). Elizabeth Lévy, du site causeur.fr (qui veut "éradiquer les différences à la schlague"), les rejoint.
Dans les médias, "Sylvie François" va répéter son message... Et pourquoi pas, si elle subit dans sa chair un tel cauchemar ? Sauf que... Après enquête, Le Nouvel Observateur révélera la mystification. "Sylvie François" est le pseudonyme d’une militante du Bloc identitaire qui habite en Alsace. C’est un bidonnage. Il n’y aura pas de démenti à la hauteur du buzz. Le Bloc identitaire a gagné la bataille de la perception. Dans une société française ébranlée par la crise, reste une seule trace : Barbès est aux mains d’une "armée d’occupation". Marine Le Pen utilise d’ailleurs le terme sur les ondes de France Info.
"Eric Zemmour, c’est quelqu’un qui dit la vérité"
Interrogé sur la légitimité du mensonge en politique, le leader du Bloc identitaire, Fabrice Robert (également "conseiller en communication") ricane, pas mécontent de son coup :
"Quand j’entends les mensonges dans les médias tous les jours, je n’ai aucun scrupule, non... On n’arrivait pas à faire passer notre message et avec l’opération ’Sylvie François’, on a lancé le débat."
Le Bloc identitaire a édité en interne un document confidentiel : "Polémique le système". Il y expose à ses membres une stratégie gramscienne* de la victoire par l’hégémonie culturelle. Pour cela, écrit-il, il faut "chercher des alliés et d’éventuels idiots utiles". Il y a un journaliste que le Bloc identitaire respecte par-dessus tout : Eric Zemmour. "Non, lui ce n’est pas un idiot utile, c’est quelqu’un qui dit la vérité", dit Fabrice Robert. Dans l’affaire "Sylvie François", Eric Zemmour n’a jamais émis de rectificatif public, ni reconnu avoir été le relais (involontaire ?) d’une opération de propagande. En général, les "idéologues dum-dum" ne se soucient pas de responsabilité morale.
Quelques semaines avant le massacre de Norvège, j’avais posé une question à Robert Spencer, le grand inspirateur du tueur : "Et si, demain, un esprit faible interprétait votre message de travers et se mettait à tirer sur des musulmans ?" "Eh bien, vous savez quoi ?, a répondu Spencer. Je ne serais absolument pas responsable. Mais alors pas du tout..."

Paul Moreira


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