Une interview réalisée par Adri Nieuwhof à Hambourg (Allemagne) pour The Electronic Intifada donne la parole à cette femme de 94 ans, qui a quitté Israel en raison de sa politique criminelle.
Esther Bejarano fut déportée à Auschwitz, lorsque la Pologne était occupée par les Allemands, puis au camp de concentration de Ravensbrück situé dans le nord de l’Allemagne. En avril 1945, elle réussit à s’échapper d’une marche de la mort. ( Face à l’avancée de l’Armée Rouge, les SS prirent la fuite en forçant les derniers survivants des camps à marcher dans la neige. )
Après la guerre, elle émigra en Palestine, mais, révulsée par la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens, elle décida, finalement, de retourner en Allemagne.
Elle dit avoir été traitée d’antisémite pour avoir dénoncé le traitement inhumain réservé aux Palestiniens par Israël.
Mais Esther Bejarano ne connaît pas la peur et continue de faire entendre sa voix, qualifiant le gouvernement israélien de "fasciste" et affirmant qu’elle soutient le BDS - boycott, désinvestissement et sanctions - si cela permet de mettre à mal la politique de persécution des Palestiniens par Israël.
Même aujourd’hui, à l’âge de 94 ans, Bejarano joue encore régulièrement de la musique, notamment avec le groupe de hip-hop allemand Microphone Mafia.
C’est le 20 avril 1943, que Bejarano arriva à Auschwitz après avoir passé cinq jours épouvantables, entassée avec tant d’autres dans un wagon à bestiaux. Les SS la sélectionnèrent pour les travaux forcés, où beaucoup de déporté(e)s périrent.
Son talent pour la musique lui a permis d’intégrer le premier orchestre de femmes d’Auschwitz, en y jouant de l’accordéon. L’orchestre devait jouer des marches pour accompagner les femmes déportées lors de leurs travaux forcés, et à l’arrivée des trains, grossissant le nombre de nouvelles victimes des nazis dans le camp.
Tant que les commandants du camp étaient satisfaits, les membres de l’orchestre pouvaient éviter ainsi d’être désignés à la chambre à gaz.
Lorsque Bejarano était à Auschwitz, la Croix-Rouge internationale a recherché des déportés "mischling" ( terme allemand signifiant " mélangé"). Parce qu’elle avait une grand-mère paternelle chrétienne, les nazis considéraient Bejarano comme une "mischling"- une personne d’ascendance mixte juive et aryenne. Par conséquent, elle n’aurait pas dû être déportée dans un camp d’extermination, conformément à la loi nazie.
Toutefois, le statut de fille "mischling" n’offrait aucune protection pour ses parents, Rudolf et Margarethe Loewy. Ils ont tous deux été abattus par les nazis dans les bois de Kovno, en Lituanie, en novembre 1941. Il n’y a pas si longtemps, Bejarano a appris que sa sœur Ruth avait été assassinée à Auschwitz, le 1er décembre 1942.
Emigration en Palestine
Après la libération des camps nazis par les troupes américaines et soviétiques en 1945, Bejarano se rendit en Palestine où son autre soeur, Tosca - à la demande de leurs parents - s’était installée avant la guerre.
Bejarano faisait partie d’un groupe qui voyageait par bateau de Marseille en Palestine. « Nous voulions développer le pays avec les Palestiniens », se souvient-elle. « En général, les Palestiniens nous ont aidés. Non seulement nous, mais aussi les premiers Juifs qui avaient émigré dans le pays. "
« Nous voulions développer le pays ensemble. Mais tout changea avec David Ben-Gourion et Golda Meir », dit-elle, se référant aux dirigeants sionistes fondateurs d’Israël. " Ils ont alors déclaré :" Nous sommes les propriétaires de la terre. "
"Ce n’était pas notre idée"
Néanmoins, Bejarano a passé 15 ans en Israël, où elle a épousé Nissim Bejarano, un chauffeur de camion né dans le pays au sein d’une famille venue de Bulgarie en Palestine.
« Mon mari et moi ne pouvions pas supporter la politique israélienne. C’était une catastrophe », dit-elle. "La vie était difficile, parce que nous n’étions pas d’accord avec les terribles choses qui ont été faites aux Palestiniens."
Israël « s’est battu contre eux, a chassé les Palestiniens. Ils ne sont pas partis seuls, ils ont été forcés de partir. Nous ne pouvions tout simplement pas supporter ça."
« J’étais un soldat dans la guerre d’indépendance contre les Britanniques, mais je n’ai pas touché une arme à feu. J’ai donné de nombreux concerts."
Son mari Nissim était un pacifiste et après avoir participé à deux guerres, il ne pouvait plus le faire, ajoute Bejarano. "Il avait vu ce que les Israéliens avaient fait aux Palestiniens et il ne pouvait pas le supporter."
Refuser le service militaire était également difficile. « Il aurait fini en prison, nous n’avions donc pas d’autre choix que de partir », explique Bejarano. « J’avais la nationalité allemande et je parlais allemand, alors nous sommes retournés dans notre pays natal."
La censure en Allemagne
"En Allemagne, il est presque impossible de critiquer Israël pour la simple raison que les Allemands se sentent responsables vis à vis des Juifs qui furent abandonnés et qui, alors, ont ensuite fondé cet État juif », explique Bejarano. En conséquence, les personnes souhaitant organiser des manifestations en Allemagne contre la politique israélienne, telles que le rapt et la colonisation de terres palestiniennes, sont constamment confrontées à des tentatives pour les en empêcher. "C’est un scandale, car les terribles politiques israéliennes doivent être mises à jour et clairement exposées".
« En Allemagne et dans de nombreux autres pays, on ne fait pas de distinction entre le judaïsme et le sionisme. Ils pensent qu’Israël, le sionisme et le judaïsme, c’est une seule et même chose. "
"Ils pratiquent un grossier amalgame, et de cet amalgame surgit l’antisémitisme", ajoute-t-elle. "Et il est particulièrement déplaisant, de voir les Allemands se refaire une virginité en pointant du doigt ce fameux ’nouvel antisémitisme venant des Musulmans’.
"Ils veulent se protéger du nouvel antisémitisme, mais l’antisémitisme existe depuis le Moyen Âge. Il n’a pas été inventé par Hitler, mais par l’Église catholique."
Et le phénomène continue d’exister parmi les Allemands, comme dans d’autres pays, fait-elle remarquer.
Contre le fascisme, OUI à BDS
Se référant aux dirigeants israéliens actuels, tels que le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, Esther Bejarano affirme : « Ce sont des fascistes. C’est un gouvernement fasciste. Je n’ai pas d’autre nom pour ça."
L’espace pour débattre du BDS - boycott, désinvestissement et sanctions - est très limité en Allemagne. « S’il est utile de mettre quelque chose en travers de la terrible politique [israélienne], alors je suis pour. Parce que j’ai expérimenté ce qu’est le fascisme. "
Elle ajoute que l’idée que la terre "appartient aux Juifs parce qu’ils y vivaient il y a 2000 ans, est la plus grande absurdité qui puisse exister".
« Il y avait tellement de Turcs et d’Arabes qui y ont toujours vécu. Les Juifs sont venus plus tard », souligne-t-elle. "Tous les colons de Cisjordanie doivent partir."
« En Allemagne et dans de nombreux autres pays, on ne fait pas de distinction entre le judaïsme et le sionisme. Ils pensent qu’Israël, le sionisme et le judaïsme, c’est une seule et même chose. "
Droit de résister
« La situation à Gaza est vraiment terrible. Il faut voir comment les gens y vivent et comment les Israéliens agissent contre eux."
Esther se déclare consternée par le fait que lorsque de jeunes Palestiniens ose néanmoins manifestent près de la barrière de démarcation - comme ils le font régulièrement dans le cadre des rassemblements de la Grande Marche du Retour depuis mars dernier. "Ils sont tout simplement fusillés" par des snipers israéliens.
« Mais à mon avis, les Palestiniens ont le droit de s’opposer à ce que les Israéliens leur font. Ils ont le droit de faire cela », affirme-t-elle. "Ou bien devraient-ils simplement se laisser tuer par les Israéliens ?"
"Ils disent que le Hamas a envoyé ses roquettes vers Israël et sont responsables de la guerre. Mais qui a commencé ? Pas les Palestiniens. Ce sont les Israéliens qui ont expulsé tant de Palestiniens du pays. "
Elle souligne que de nombreux Israéliens ont quitté Israël, parce qu’"ils ne peuvent plus vivre là-bas », évoquant le coût élevé du logement et le nombre de jeunes Israéliens qui ne veulent pas être enrôlés dans l’armée.
« Ils ne peuvent tout simplement plus vivre en Israël. C’est la raison pour laquelle tant d’entre eux sont partis à Berlin."