Le texte d’appel des libertaires contre l’islamophobie a suscité pas mal de réactions. Voici une réponse libertaire qui critique cet appel.
Dénoncer l’islamophobie ou protéger l’Islam ?
L’objet premier de cette critique est de remettre un peu d’ordre à propos de l’utilisation du terme « islamophobie », de montrer que ce concept, si il désigne effectivement une certaine réalité des rapports sociaux, est souvent utilisé de manière outrancière, et finira par être l’allié objectif des propagateurs de religion. Nous prendrons appui, pour formuler cette critique, sur un texte formulé par des gens appartenant à la famille politique des libertaires et de l’extrême-gauche, puisque celui-ci nous semble particulièrement représentatif de tels écueils, ceux-ci étant d’autant plus graves lorsque diffusés par des gens ayant normalement une conscience critique par rapport aux religions. (texte intitulé « Appel des libertaires contre l’islamophobie », diffusé sur différents sites libertaires).
La raison essentielle et pratique qui nous a poussé à réagir à ce texte, c’est l’acharnement par lequel il prétend empêcher une critique générale des religions incluant l’islam, en assimilant toute critique de l’islam à de l’islamophobie.
Ensuite, il s’agit de voir, d’une manière plus large, d’où viennent ces faiblesses actuelles largement répandues même chez les gens se réclamant d’une critique sociale, de la gauche du PS aux libertaires et anarchistes, de comprendre les idées et les raisonnement intellectuels qui sous-tendent la formulation de cet appel ; celui-ci n’étant pas un phénomène isolé, mais étant influencé par un ensemble d’idées beaucoup plus large que l’on peut qualifier de post-modernes, et dont les gens d’extrême gauche forment souvent des agents de diffusion privilégiés, de manière plus ou moins consciente.
Nous précisons que nous n’en voulons pas particulièrement aux gens qui ont formulé cet appel, même si nous critiquons l’influence de ces idées dans ce milieu. Nous aurions pu trouver d’autres exemples relevant de cas moins isolés et diffusant ce genre d’idées beaucoup plus massivement, par ailleurs formulés par des gens éloignés de notre « famille politique », impliqués dans la sphère politicienne. Mais comme nous l’avons dit, cet exemple nous intéresse car il montre l’influence d’un ensemble d’idées issues du post-modernisme sur les gens d’extrême-gauche, alternatifs et libertaires, amenant ceux-ci à prendre des positions pour le moins surprenantes.
Nous entendons critiquer toutes les religions à partir des textes sur lesquelles elles se fondent et de leur histoire, et non par rapport à de simples critiques circonstancielles sur l’extrêmisme que prendrait tel ou tel phénomènes religieux. Ainsi, il est révélateur que ces gens ne parlent plus de critique des religions, mais « des « formes d’oppression que peuvent prendre les phénomènes religieux ». Qu’est ce que cela signifie ? Que les religions et les textes sacrés ne sont plus critiquables en soi, pour ce qu’ils sont et ce qu’ils disent, mais que seules certaines manifestation de cet esprit religieux le sont ?
Il va de soi que la formule vise avant tout à ménager la religion islamique, en vertu du contexte de cet appel, lorsque nous connaissons la propension de beaucoup de gens d’extrême-gauche à critiquer les religions tout en y excluant l’islam, pour des raisons opportunistes que nous verrons par la suite.
Ce texte ne se contente pas de dénoncer l’islamophobie, il prend parti pour une défense de l’islam, en mettant cette religion à l’abri de la critique. Ainsi, si ces libertaires observent parfois chez leurs camarades « une condamnation claire de l’islamophobie », ils regrettent que celle-ci soit « couplée de moult rappels du combat primordial contre l’aliénation religieuse » !
Parler de l’aliénation religieuse, lorsqu’on combat l’islamophobie, n’est donc pas une position acceptable selon ces gens. Jusqu’où croient-ils nécessaire cette compromission ?
Critiquer une religion, ce n’est pas affirmer l’infériorité du pratiquant de cette religion, ni établir une hiérarchie entre le croyant et le non-croyant, le musulman et l’athée.
Les critiques les plus radicales de l’aliénation religieuse peuvent d’ailleurs s’exprimer dans le cadre religieux, lorsque celui-ci ne permet pas autre chose ; il suffit de prendre comme exemple Descartes pour le catholicisme, qui propose le développement de sa méthode basée sur le scepticisme, la vérification et l’empirisme (donc à l’opposé d’une acceptation béate de la réalité) comme une justification de l’existence de Dieu.
Nous ne voyons donc aucune incohérence à ce que l’Islam soit critiqué par des musulman-e-s, c’est au contraire souhaitable, et pour nous le fait d’être croyant-e n’implique pas d’être dénué d’esprit critique.
Ce que nous entendons par islamophobie, si l’on veut bien donner un sens à ce mot qui ne relève pas de la chasse aux sorcières contre toute personne critiquant l’islam, se rapprocherait d’un dégoût primaire et irrationnel pour ce qui relève de cette religion ou lui est assimilé (en gros « l’étranger »), et l’exploitation de cette peur par les courants racistes et nationalistes. La peur et la phobie ne relèvent pas pour nous d’une critique construite et raisonnée.
Nous pensons juste de dénoncer les opinions racistes déguisées en critique de l’islam là où elles existent. Que cet amalgame pratiqué par des courants nationalistes et racistes permette à l’islam d’échapper à la critique, nous ne l’admettons pas.
Nous pensons nécessaire de dénoncer l’oppression ciblé contre des musulmans ou des gens d’autres confessions en vertu de leurs croyances et de leurs pratiques religieuses, là ou cela se produit.
Nous pensons également nécessaire, de montrer, par exemple, le statut réservé aux femmes selon le Coran, qui sont selon ce texte clairement inférieures aux hommes et se doivent de leur être soumises. Ceci n’est pas réservé au Coran mais y est tout de même très explicite. Car la réalité n’est pas univoque, le fait que les musulmans puissent être oppressés, n’empêche pas que des situations d’oppression peuvent exister dans la pratique de cette religion.
Il ne faut pas oublier le fait que chaque religion est créé dans un contexte historique particulier. Ainsi, il faut prendre en compte que l’Islam a été développé dans un contexte où la société était formée de tribus nomades, avec les pratiques et les mœurs qui sont les leurs. Ceci non pour émettre des jugements de valeurs, mais qu’il est légitime de reconnaître le décalage entre les peuples dans lequel l’Islam est apparu au départ et les peuples qui le pratiquent aujourd’hui.
Ainsi l’économie de ces peuples tribaux relevait en partie de la pratique du pillage et de la prise de butin, dont les esclaves et les femmes, considérés comme des biens, un moyen d’échange, d’où l’existence de nombreux versets ne prenant sens que dans ce contexte particulier. Ex : sourate IV, Les Femmes, verset 3 : « Si vous craignez d’être injuste envers les orphelins, n’épousez que peu de femmes, deux, trois ou quatre parmi celles qui vous auront plu. ». Nous ne voulons pas émettre de jugement dépréciatif, mais nous tenons à rappeler, selon toute logique, qu’une polygamie exclusive n’est possible que dans le contexte de sociétés fortement inégalitaires, où les femmes sont accaparées par les plus riches, les dominants. Ou dans une société fonctionnant sur le principe du pillage et de la conquête, les femmes des vaincus pouvant alors être prises par les vainqueurs. Nous ne dirons rien sur le statut qui est fait aux femmes selon de tels principes.
Nous pensons légitime également de montrer quelles prétentions à le Coran de régler la vie publique des fidèles, de montrer que ces textes écrits tels qu’ils sont et appliqués dans beaucoup d’endroits sont rétrogrades et réactionnaires.
Nous pensons nécessaire de montrer le Coran avec les autres religions monothéistes pour ce qu’il est : une religion essentiellement patriarcale, fixant des mœurs et une répression sexuelle propre à ce régime patriarcal.
La question n’est pas de démontrer la supériorité d’un quelconque « discours occidental » , mais de montrer qu’en soi, l’élément identitaire islamique n’est pas et ne saurait en aucun cas être une alternative aux logiques de domination.
Nous sommes d’ailleurs sceptiques devant certaines accusations de racisme de ces libertaires : Michel Onfray, Charlie Hebdo, si ils sont critiquables par la place qu’ils occupent dans la pseudo-intelligentsia, sont ainsi assimilés à une pensée raciste à peu de frais. On reconnaît bien ici la logique de la chasse aux sorcières, puisqu’il ne sera pas la peine de démontrer que ces gens sont effectivement racistes par leurs discours (qu’on aurait du mal à produire), mais par les seules intentions qu’on leur prête au nom d’une logique inventée par les mêmes accusateurs, que l’ont peut résumer par l’équation « critique de l’islam = racisme ».
Bien que ce texte nous parle de dépasser les oppositions et les divisions spectaculaires, il n’a visiblement pas bien compris quels sont les tenant de cette division, ni comment elle est produite. Nicolas Sarkozy n’a pas hésité pas à serrer les paluches aux ecclésiastiques, au recteur de la mosquée de Paris, a encourager les religions diverses, et ensuite souffler sur la flamme de l’islamophobie pour rassurer le « français moyen » menacé dans son identité. La réalité du pouvoir n’est pas d’être proprement « islamophobe », mais de jouer sur les 2 parties.
L’islamophobie se déploie il est vrai comme une division spectaculaire, visant les masses à s’affirmer par de fausses identités.
Il n’ y a pas pour nous, de choix à faire entre une idéologie nationaliste et raciste d’un côté, et une position en faveur de l’islam en tant qu’élément identitaire des opprimé-e-s de l’autre.
L’intelligence consiste à reconnaître cette opposition là où le pouvoir la met en scène, et à la dénoncer, et non pas à se placer pour l’une ou pour l’autre en vertu de positions stratégiques illusoires.
Cette position pro-islam déguisée participe d’ailleurs à l’assimilation entre arabes et musulmans, au lieu de la critiquer. On essentialise ici un peuple en pratiquant ce déterminisme religieux-identitaire. On fait peu de cas des arabes athées ou en conflit avec leur univers religieux. Il n’est pas suffisant de dénoncer l’influence du salafisme dans le mahgreb et machrek. Au-delà des groupes les plus fondamentalistes, c’est l’ensemble des peuples de ces pays qui est traversé d’éléments idéologiques, de partis, d’opinions contradictoires, hésitant entre révolution sociale et positions identitaires-religieuses.
Nous soutenons qu’il faut permettre à cette critique de s’exprimer et l’encourager, telles que le font certain-e-s féministes, militant-e-s laïcs ou progressistes (qui sont par ailleurs souvent musulmans) dans ces pays, qui pointent courageusement l’oppression dans laquelle ces pays baignent et quel harcèlement et frustration sexuelle sévit dans ces pays, en relation avec l’application de certains préceptes du Coran et la pesanteur de l’Islam sur ces sociétés. Répression qui existe aussi dans les pays occidentaux sous une forme moins explicite et plus perverse mais qui ne se manifeste pas avec autant de pression sur les femmes et n’exige pas d’elles une soumission telle que dans beaucoup de pays musulmans.
Nous disons donc, en quelque sorte, que les libertaires de cet appel ont lâché la proie pour l’ombre, c’est à dire la critique de l’aliénation religieuse, dans laquelle a pu prendre sa source la vénération de l’argent et la soumission au capitalisme, pour une prise de position circonstancielle et dangereuse, en l’occurrence la défense de l’islam sous prétexte qu’en tant que religion originaire d‘Afrique et appartenant à des minorités opprimés (or ce cliché est faux), sa critique relèverait forcément de l’affirmation d’un esprit européen néo-colonialiste et raciste.
Qu’en est il en réalité de ce genre de raisonnement ?
Pour tenter d’y voir plus clair, voici une remarque sur l’utilisation que font les rédacteurs “libertaires” de l’appel contre l’islamophobie d’un passage de Frantz Fanon, penseur connu pour son engagement radical contre le colonialisme et son implication dans la guerre de libération d’Algérie qui les met en face de leurs incohérences, de leur mensonges conscients ou non, voire d’un procédé de manipulation.
L’utilisation qu’ils font de la citation de Frantz Fanon dans les Damnés de la terre est un contre-sens complet. Pour toute personne sachant lire, cette citation est plus qu’ambiguë, même limitée et présentée dans le cadre de leur texte :
”Ce langage voudrait aussi imposer une assignation : tout arabe, tout africain, ou parfois tout être, ayant l’islam comme part de sa culture et comme part de son histoire serait un être essentiellement réactionnaire, fondamentalement religieux, et donc incompatible avec les principes fondamentaux républicains - principes par ailleurs complètement désincarnés, qui ne servent que pour justifier cette exclusion. Comme l’a montré Frantz Fanon, « Le colonisé réussit également, par l’intermédiaire de la religion, à ne pas tenir compte du colon. Par le fatalisme, toute initiative est enlevée à l’oppresseur, la cause des maux, de la misère, du destin revenant à Dieu. L’individu accepte ainsi la dissolution décidée par Dieu, s’aplatit devant le colon et devant le sort et, par une sorte de rééquilibration intérieure, accède à une sérénité de pierre. »”
On va pouvoir constater qu’ils essaient de mettre de leur côté un penseur qui va pourtant à leur encontre dans ce passage, qu’ils tentent de réinterpréter maladroitement.
Dans l’utilisation qu’ils en font, les rédacteurs de l’appel tentent de faire dire à Fanon que la religion des colonisés pouvait être un moyen de résistance aux colons en l’ignorant. Ainsi, la “sérénité de pierre” auquel accède le colonisé après s’être aplati devant le colon serait une qualité du colonisé qui lui permet de ne pas perdre la face devant l’oppresseur...
Mais, à la lecture des Damnés de la terre, on peut être plus que dubitatif de leur interprétation. On se rend compte que Fanon dit exactement le contraire, étant pour le moins critique envers toutes les croyances magiques, religieuses ou attitudes pseudo-contemplatives dans le contexte de l’occupation coloniale.
Voyons déjà ce qui se trouve juste avant cette citation : Fanon dans cette partie parle justement des obstacles et échappatoires que trouvent les colonisés pour déverser leur violence et ne pas affronter les colons : luttes fratricides entre clans, autodestruction collective très concrète dans les luttes tribales, conduites qui toutes confortent la position du colon.
”Tous ces comportements sont des réflexes de mort en face du danger, des conduites-suicides qui permettent au colon, dont la vie et la domination sont consolidées d’autant, de vérifier par la même occasion que ces hommes ne sont pas raisonnables.”
Puis, dans ces obstacles à la prise de conscience, suit aussitôt après, dans le même paragraphe, la religion et les croyances, qui correspondent au passage cité par les rédacteurs de l’appel de bboykonsian :
« Le colonisé réussit également, par l’intermédiaire de la religion, à ne pas tenir compte du colon. Par le fatalisme, toute initiative est enlevée à l’oppresseur, la cause des maux, de la misère, du destin revenant à Dieu. L’individu accepte ainsi la dissolution décidée par Dieu, s’aplatit devant le colon et devant le sort et, par une sorte de rééquilibration intérieure, accède à une sérénité de pierre. »”
Voilà qui ôte toute ambiguïté au sens de ces paroles. Poursuivons sur ce qui vient un peu après :
”Un pas de plus et nous tombons en pleine possession. Au vrai, ce sont des séances de possession dépossession qui sont organisées : vampirisme, possession par les djinns, par les zombies, par Legba, le Dieu illustre du Vaudou. Ces effritements de la personnalité, ces dédoublements, ces dissolutions, remplissent une fonction économique primordiale dans la stabilité du monde colonisé.
On assistera au cours de la lutte de libération à une désaffection singulière pour ces pratiques. Le dos au mur, le couteau sur la gorge ou, pour être plus précis, l’éléctrode sur les parties génitales, le colonisé va être sommé de ne plus se raconter d’histoires.”
[...]
”Nous avons vu que cette violence, pendant toute la durée de la période coloniale, quoique à fleur de peau, tourne à vide. Nous l’avons vue canalisée par les décharges émotionnelles de la danse ou de la possession.”
etc, etc... Les passages où Fanon se montre plus que critique envers la religion, les croyances diverses et leur rôle dans le maintien d’un système de domination (en l’occurence colonial ) ne manquent pas...
Par un tour de passe-passe, les rédacteurs, qui sont malhonnêtes ou ne savent pas lire, ou plus probablement un peu des deux, essaient de s’en servir pour arriver à leurs fins : la religion comme élément d’identité et de résistance face à l’oppresseur chez les minorités, donc qu’il ne faut pas critiquer.
Fanon peut donner un rôle à tous ces éléments de croyance religieux ou magiques dans la formation de l’identité culturelle et populaire de la nouvelle nation indépendante post-coloniale. Mais il les comprend d’abord, dans le contexte qui est celui colonial, c’est à dire dans un contexte d’oppression, comme un obstacle à la prise de conscience et à agir contre le vrai ennemi. Et il n’est absolument pas contre la critique des religions et rien n’indique dans ces écrits qu’il assimile la critique des croyances et religions de peuples opprimés systématiquementt à des principes vides d’oppresseur ou de raciste.
Dans “L’an V de la Révolution algérienne”, Fanon tient des propos qui peuvent plus facilement être exploités pour aller dans le sens d’une résistance identitaire face à l’oppresseur colonial. Il a pu en être ainsi des femmes voilés en Algérie, élément d’affirmation de la nouvelle culture nationale face à la propagande française pour développer un comportement à l’européenne chez les femmes algériennes.
La réalité du voile comme affirmation d’une identité algérienne propre à cet instant face à la culture coloniale, c’est à dire son rattachement à un élément participant à l’affirmation de la nation révolutionnaire face aux forces colonialistes, ne doit pas faire oublier la nature d’origine religieuse du voile et le statut inférieur de la femme qui est explicitement décrit dans le Coran. (ex : Sourate II, verset 228 : "les maris sont supérieurs à laurs femmes".) Qu’un élément religieux ou culturel prenne à un moment donné un sens concret de résistance à l’oppression ne signifie pas que cet élément soit subversif ou révolutionnaire en soi. Sa nature profonde peut même être contraire à ce sens, tel le cas du voile. Encore une fois, ceci ne peut se comprendre en dehors d’un contexte historique particulier. (Ce dont Fanon était bien conscient).
Post-modernisme et extrême gauche
La question du courant post-moderne est complexe et celui-ci se résume difficilement en quelques lignes Il regroupe des penseurs apparemment très divers par leurs orientations politiques et leurs sujets de prédilections : du très libéral Maffesoli, en passant par Onfray le philosophe-hédoniste, qui se réclame libertaire, jusqu’ à Judith Butler et ses études critiques sur le genre.
Ses traits caractéristiques :
refus de toute pensée et critique à vocation “universaliste”, n’étant pas limitée à un seul ou quelques groupes humain limités et particuliers. (assimilé systématiquement à un mode de pensée occidental, blanc, masculin et hétéronormé, et menant à l’impérialisme)
Conception de la domination non plus dans un rapport de possession/dépossession des moyens de productions, mais par rapport à des normes dominantes : blanc, masculin, hétérosexuel, colonial, néo-colonial.
Idéologie accordant aux discours une autonomie totale, séparée de toute réalité. Le discours sur les signifiants et l’écart qu’ils présentent toujours avec les signifiés devient prétexte à nier la possible appréhension du réel, voire sa réalité.
Il s’ensuit que le relativisme est de mise pour tout discours et tout constat.
Plutôt que ce résumé lapidaire, voici ce que peut dire Jordi Vidal à propos de la société post-moderne dans Servitude et simulacre :
“A l’image de la conception postmoderne de la société, ces mensonges performants sont définitivement détachés du cours réel des choses. Leur pseudo-conflits sont là pour dissimuler l’existence d’un autre plan de réalité : celui d’une vie quotidienne totalement dégradée.”
(…)
“Les nouveaux signifiants, aux ordres du système, ont pu commencer à mener une guerre totale contre la pensée critique. Ce que le language a perdu se répercute socialement dans l’atomisation de la vie quotidienne, dans la perte généralisée de tout sens logique, dans la difficulté croissante à penser de nouvelles formes d’auto-organisation ou, plus tristement, dans l’incapacité à favoriser de simples gestes de solidarité. L’écart qui s’est ainsi créé entre les signifiants et les signifiés n’est pas sans conséquence sur l’organisation d’une société foncièrement individualiste et égoïste, comme sur la montée d’une violence qui de sociale est devenue aveugle.”
(…)
“On opprime les citoyens, on les maltraite, on les parque, on les met à la rue, et, en réaction, ils fabriquent des mots tiroirs. Leur addiction, leur colère et jusqu’à leur “soutien à…” répondent à des stimulations mais jamais à une réflexion.”
Il y a dans l’appel de ces libertaires plusieurs marques de cette influence post-moderne :
déjà l’idée selon laquelle l’identité et la culture joue un rôle primordial, identité et culture que l’on verra comme figée pour les minorités par l’intermédiaire d’une religion. Cet élément identitaire et culturel, puisqu’il fonde essentiellement la personne et la définit, puisqu’elle se reconnaît en elle, ne doit pas être critiqué, d’autant plus si elle appartient à des minorités.
Ensuite, le développement de la pensée post-moderne se reconnaît souvent dans ses procédés manipulatoires (ici il s’agit plus de maladresse et d’ignorance) au niveau de son raisonnement intellectuel, qu’elle revendiquera et assumera comme un de ses traits propres. Elle l’appellera, par exemple, utilisation non contrainte ou dogmatique des référents, déconstruction et démocratisation de la hiérarchie intellectuels-auteurs/lecteurs.
Ce ne sont pas les objets partiels des théories post-moderne qui doivent être critiqués en tant que tels, mais bien l’utilisation de ces luttes et thèmes partiels que le courant post-moderne réalise. Par exemple que la théorie queer critique l’identité hétéronormée est une importante nouveauté. Le problème vient dans la suite : la nouvelle définition que l’on se donne ou pense se donner est le moyen privilégié, et finalement le seul moyen légitime, pour s’affirmer, pour être libre. L’identité sexuelle est appréhendée en dehors de tout autre déterminisme, notamment économique.
La répression sexuelle n’est pas comprise dans son ensemble, en tant qu’elle concerne toute la société capitaliste, mais seulement quelques minorités : gay, lesbiennes, queer, trans… Et l’élément oppresseur, ne se comprend pas dans un ordre général de la répression sexuelle et de sa fonction dans les régimes autoritaires (même antérieurs aux capitalisme) mais par rapport à des critères appliqués à des individus : blanc, masculin, hétérosexuel. On ne parle même plus de riches, car par un raccourci idéologique on a assimilé l’homme blanc qui a encore le malheur de désirer des femmes au riche, au dominateur par excellence, automatiquement. Ces théories ont été diffusée d’abord par une intelligentsia universitaire, comme on s’en doute, pour être aussi coupée de la réalité et pratiquer des raccourcis aussi insultants qu’inexacts pour tout une partie de la population paupérisée et exclue, faussement rangée dans la catégorie des dominateurs.
On comprend aussi à quel point peut être libérateur un discours aussi culpabilisant, générateur de division, et qui disqualifie de la révolte légitime une partie plus qu’importante de la population. Il n’est pas trop difficile non plus de comprendre quels intérêts il sert, en fin de compte.
Toute identification d’un problème plus large, plus commun, fait peur, car elle implique des solutions et des actions qui ne dépendent pas du seul choix de l’individu. Chez les post-modernes, la logique identitaire de minorités prend le pas sur toute appartenance de classe, et même généralement sur toute analyse de l’oppression fondamentale résultant des rapports de production capitalistes. Ceci n’étant pas sans créer des problèmes de conscience chez les théoricien-ne-s post-modernes se revendiquant contre le capitalisme, problème résolu par la création de nouveaux concepts sans consistance ni pertinence. Ainsi, on parlera de classe de sexe, classe de race… et pourquoi pas de classe religieuse, bientôt ?
En fait, le post-modernisme porte dans son nom son oubli : vouloir nous faire croire qu’il a dépassé la modernité, sans avoir dépassé le capitalisme. La modernité n’a jamais existée que dans le cadre du capitalisme. Vouloir la critiquer séparément, comme une essence, sans s’occuper des conditions économiques qui ont porté son développement, c’est à dire capitalistes, c’est se vouer à l’échec. Le post-modernisme fuit tout universel, car l’universel qu’il ne veut pas reconnaître et qui le porte, comme nous tous, c’est celui de la marchandise, dont la critique amènerait à des prises de positions trop dangereuses.
La pensée post-moderne se condamne à un morcellement qui entraîne à la coexistence d’identités plus ou moins compatibles entre elles, tout en faisant croire qu’il n’en résulte aucune contradiction. Elle ne veut pas reconnaître que ces identités, ces cultures, ne coexistent pas librement, mais sont séparées entre elles par leurs milieux d’origine, les agents qui les diffusent, leurs publics respectifs, leurs systèmes de valeur, car elle appréhende ces différences seulement en terme de discours ou d’identité culturelle in abstracto.
L’Islam par exemple, malgré la diversité des croyants, occupe une place particulière par ses valeurs, ses pratiques, les communautés et les gens qui l’incarnent. Il est faux de décrire la réalité sociale comme un monde où les individus seraient libres de se choisir à la fois gays, lesbiens, musulmans en même temps comme si cela devait relever du seul choix individuel et de la “liberté”. C’est faire abstraction de toutes les contradictions réelles que portent ces identités entre elles, que l’on peut comprendre entre autre par l’étude de leur passé historique et de l’incompatibilité de leurs pratiques et de leurs valeurs.
Par exemple, un homosexuel bobo parisien, lui pourra devenir musulman nouveau converti (bien que ce soit absurde à notre sens). Par contre, celui qui grandit dans une culture musulmane très affirmé va avoir beaucoup plus d’obstacles et de pression si il veut s’affirmer comme homosexuel.
Et l’Islam ne se considère pas ses valeurs comme relatives et compatibles avec le mouvement gay. (comparaison en apparence abusive tant ce sont 2 choses différentes, mais que je m’autorise parce qu’il correspond à la manière post-moderne d’envisager les identités, les personnes et groupes sociaux : des discours et des choix personnels, qui coexistent sur la grande scène démocratique et marchande)
C’est en quelque sorte une logique de lobbies d’identités que reconnaît la société post-moderne, fonctionnant à l’intérieur du capitalisme, et tous les lobbies n’ont pas la même puissance, les mêmes intérêts ni les même valeurs.