La couverture médiatique du dossier Ramadan est le symbole d’un manque de déontologie journalistique de la presse française. Les conséquences ne concernent pas simplement le dossier Tariq Ramadan, mais bel et bien la société soumise à une presse qui s’apparente plus à de la propagande qu’à de l’information.
Le personnage dépeint pas la presse depuis le début d’une investigation, qui dix mois plus tard est toujours en cours, est très éloigné de tout ce que nous pouvons lire sur Tariq Ramadan dans la presse internationale. En France, pays où il a donné de nombreuses conférences qui poussent au vivre ensemble et à la citoyenneté, les médias ont participé à la création d’un personnage fait de toute pièce et ne reposant sur aucun fait.
“Islamiste”, “prédicateur”, “tartuffe”, les titres accompagnés de photos du professeur parfois peu élogieuses montrent la volonté de la presse de créer plutôt que d’informer. De produire du buzz plutôt que de dire, de façon neutre, et sans ajout d’opinion et d’avis, les faits rien que les faits. Si certains journalistes n’ont pas hurlé avec les loups, d’autres par méconnaissance ou par bêtise ont relayé des informations non vérifiées qui n’avaient pour but que de détruire l’image de Tariq Ramadan. De présumé innocent, on en a fait le parfait coupable. “Musulman, prédicateur et potentiel violeur” : au-delà de l’homme c’est la communauté musulmane qui a été attaquée. Au-delà de la communauté musulmane, ce sont les valeurs françaises d’égalité et de fraternité qui ont été ébranlées.
De Tariq Ramadan à son personnage
Tariq Ramadan est professeur à l’université d’Oxford, directeur du Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique, à Doha, professeur émérite dans plusieurs universités internationales, auteur de plus d’une dizaine de livres académiques portant sur la pensée islamique et est suivi, respecté et estimé dans de nombreux pays. En 2017, il était, entre autres, invité à intervenir au Centre chrétien et culturel d’Oxford (OCCC), ou à l’université de Cambridge pour prendre part aux débats sur le Moyen-Orient.
Et, parmi les nombreuses conférences données dans plusieurs universités de Cambridge à Oxford, il fut l’invité aussi bien du monde associatif qu’académique partout dans le monde. En dehors de la France, Tariq Ramadan représente ce qu’il est : un intellectuel.
Il n’y a qu’en France, où l’intellectuel est diabolisé, et ce, depuis des années. Il n’y a qu’en France où la presse en fait “un personnage” support de toutes les projections de ceux qui stigmatisent les musulmans, comme de ceux qui bataillent contre l’islam,de ceux qui sont dans une politique d’exclusion plutôt que d’inclusion d’une partie de la population française.
Lorsque, dans la presse, alors que le professeur est incarcéré et donc privé du droit de parole et de réponse, le secret d’instruction a été violé et que nous avons pu lire que le professeur aurait eu une relation extra-conjugale, certains médias se sont emparés de l’information parlant à la place de la communauté musulmane, sans la connaître ni même vraiment la rencontrer. Une fois encore, il n’y a pas un homme et un dossier dont on relate les faits, mais une cible servant à créer le buzz, à détruire une image et à cliver la société. “La communauté musulmane” est devenue elle-même support de projection. Discours clivant, champs lexicaux dégradants. Certains journalistes cherchant à isoler Tariq Ramadan vont jusqu’à parler de lui au passé, ternissent son image sans jamais se soucier de la vérité, écrivant au gré de leur idéologie ou de leur croyance, ou d’une simple méconnaissance nourrie par le climat islamophobe actuel et l’image du professeur, véhiculée par cette même presse, en France.
Là aussi, un constat: lorsque l’Abbé Pierre a lui-même déclaré qu’il avait commis “le péché de chair” au journaliste Fréderic Lenoir, l’information a fait sourire, réfléchir, discuter. Mais les journalistes se sont bien gardés de faire parler la communauté catholique ou de se positionner en tribunaux médiatiques. Il y a un traitement différent selon qui l’on est, qui l’on représente et qui tient la plume entre ses mains. Et, dans une société où l’information est la garante de la liberté de notre démocratie, être juste et neutre dans le propos est non seulement une question d’éthique mais aussi de conscience citoyenne. Cette couverture médiatique dégradante, un homme l’a vécu aussi. Dominique Strauss-Kahn. Mais d’une voix forte, de nombreuses personnalités du monde journalistique et politique se sont levées pour demander plus d’éthique. Il faudrait que ce soit aussi le cas aujourd’hui. Que représente Tariq Ramadan pour qu’une certaine presse oublie qu’il est le « sujet » du dossier et non l‘ « objet » de la presse ?
Attaque aux diplômes
Relayé par le journaliste retraité Ian Hamel, ce fakenews concernant les diplômes de Tariq Ramadan reflète bien l’ère de la désinformation et de la rumeur. Car, dans les faits, Tariq Ramadan est bel et bien professeur à l’université d’Oxford après avoir passé les différents stades d’une procédure très sélective. Cette université d’élite qui accueille aujourd’hui près de 33 000 étudiants, qui sont répartis dans 38 collèges et 6 Permanents Private Halls (fondations religieuses) est une structure indépendante très stricte dans ses conditions d’accès tant pour les professeurs que pour les étudiants.
Avant cela Tariq Ramadan, comme tout académicien, a commencé sa carrière en tant que chargé d’enseignement, à Fribourg. Ses ouvrages académiques publiés par Oxford University Press témoignent de son bagage académique et de sa crédibilité scientifique. Il n’a jamais gonflé sa signature et s’en est toujours tenu à ce qu’il était, étape après étape, comme le prouvent les nombreux articles signés par le professeur tout au long de sa carrière. Du chargé de cours, au statut de maître de conférences, Tariq Ramadan, sans passe-droit, a construit une carrière de mérite et de production intellectuelle.
Ce qui n’a pas empêché Ian Hamel de désinformer au sujet du parcours de Tariq Ramadan en jetant le trouble sur les faits par la rumeur. Rumeur se propageant dans d’autres médias. Méconnaissance du monde universitaire anglais, méconnaissance de ce que le parcours de thèse impose comme rigueur, il va jusqu’à affirmer que Tariq Ramadan aurait menacé des universitaires pour avoir sa thèse ce qui est tout bonnement faux, mais aussi insultant pour l’univers académique que Ian Hamel ne semble absolument pas connaître. Attaquer les diplômes à défaut de pouvoir attaquer l’homme est une technique courante. Idriss Aberkane, auteur de « Libérez votre cerveau! », détenteur de deux thèses, a lui aussi été attaqué par la fachosphère concernant ses diplômes, il a été contraint de les mettre en ligne pour faire cesser toute polémique. C’est donc une technique en diffamation qui est utilisée pour faire taire les voix que l’on trouve gênantes ou qui nous dérangent idéologiquement parlant.
La presse, déshumanisation de son sujet
Les premiers articles concernant l’affaire Tariq Ramadan en ce début de mois de février 2018 insistent sur le côté exceptionnel du dossier, un dossier de plus « de 300 pages », avec des titrages journalistiques tous plus dégradants les uns que les autres. Or, qu’en était-il vraiment ? Le dossier de 300 pages, dix mois plus tard, ne s’est pas étoffé d’une seule preuve. Au contraire. L’enquête de la brigade criminelle a ramené de nombreux éléments remettant en question les récits des accusations. Ces 300 pages d’accusations montrent aujourd’hui des femmes qui, pour la plupart, se connaissaient et qui échangeaient depuis des années entre elles sans jamais…parler de viol.
C’est en fait ces procédés douteux qui soulignent le caractère exceptionnel de l’affaire. La presse a-t-elle fait mesure de prudence ? Non. La presse a-t-elle cherché à savoir le profil des femmes accusant le professeur Tariq Ramadan ?
Non. A part certains journaux ces derniers mois qui ont souligné les incohérences de Henda Ayari, lorsque celle-ci, après avoir déclaré avoir des preuves, n’a plus été capable d’indiquer le lieu et la date du prétendu viol. Ses premières déclarations ayant été infirmées grâce à l’enquête de la brigade criminelle.
Et aujourd’hui, alors que nous aurions besoin d’une presse qui dénonce l’injustice, nous avons une presse française silencieuse. Et pourtant, un homme présumé innocent est en prison depuis plus de 6 mois . Un homme présumé innocent, qu’on a retiré de son environnement, sans aucune prise en compte du trauma que cela provoque sur lui, sur sa famille, sur une communauté, sur une société, sur l’Histoire qui réécrit aujourd’hui l’affaire Dreyfuss version 2.0.