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Laicité : un « Conseil des sages » islamophobe

posté le 26/03/18 Mots-clés  répression / contrôle social  alternatives  antifa  féminisme 

Après avoir rappelé son souhait de voir appliquer la neutralité aux parents accompagnateurs dans le cadre des sorties scolaires, Jean-Michel Blanquer a institué un « Conseil des sages » très orienté.

En quoi cette instance présidée par la sociologue Dominique Schnapper est-elle composée de « sages » si l’objectif de la plupart d’entre eux est davantage de diviser les Français et d’aggraver les tensions palpables sur la question ? La laicité est, pour faire simple, un principe d’organisation dont l’objectif est d’assurer la liberté de conscience des individus et d’éviter un parti pris religieux de l’État. Il vise à mettre fin à des années de confusion entre les pouvoirs spirituel et temporel tout en assurant la liberté de religion et d’exprimer ses convictions, quelles qu’elles soient.

Rappelons donc un certain nombre d’éléments sur les « sages » siégeant dans ce conseil de Jean-Michel Blanquer. D’abord, Patrick Kessel, ancien grand maître du Grand Orient de France et ancien président du « Comité Laicité République », organe connu pour sa rigidité et qui avait sommé une journaliste de Zaman de retirer son voile lors de la remise de son prix de la laicité, évènement pourtant accueilli par la mairie de Paris. Patrick Kessel a lui-même pu donner plusieurs interviews au site d’extrême-droite « Riposte laïque ». Il y a ensuite Rémi Brague, qui s’est récemment inscrit en faux face à la décision du Conseil d’État sur la Croix de Ploërmel. On ne s’étonne pas non plus de voir que beaucoup d’entre ceux qui siègent actuellement au Conseil des sages ont déjà été les membres du Haut Conseil à l’Intégration, lui-même mis en place par Nicolas Sarkozy, comme Alain Seksig, partisan de l’interdiction du voile à l’université et des parents accompagnateurs de sorties scolaires. Il en est de même d’ailleurs de Catherine Kintzler, de Frédérique de la Morena ou encore de Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, pris par une polémique sur les réseaux sociaux, notamment sur sa position sur le voile de Mennel.

D’autres personnalités comme l’islamologue Ghaleb Bensheikh, Jean Louis Auduc ou encore Jean-Louis Bianco s’avéreront moins polémiques et tenteront de trouver un terrain d’entente rationnel sur les questions. Mais Jean-Louis Bianco étant déjà à l’Observatoire de la Laicité, le plus simple aurait sûrement été de laisser ce dernier organe continuer son travail à droit constant.

Si on a pu lire que ce « conseil » devait travailler à « droit constant », on s’étonne donc de la présence majoritaire de ces tenants d’une laicité contraire au droit positif en son sein.

Qui plus est, nous nous demandons la cohérence gouvernementale puisque toutes ces personnes s’opposent directement au président de la République sur cette question. Il est aisé de retrouver leurs nombreuses tribunes publiques en ce sens.

Or une question bien plus juridique se soulève : quel est le statut de ce Conseil des Sages ? S’agit-il d’une juridiction à l’image du Conseil constitutionnel, puisque selon la volonté du ministère de l’Éducation nationale, le Conseil serait compétent en dernier ressort pour traiter des questions de la laicité au sein de l’éducation nationale ?

Si cela est le cas, l’organe pose un grand nombre de problématiques annexes : comment garantir la séparation des pouvoirs s’il est sous le joug de l’exécutif ? Comment garantir l’effectivité d’un recours et surtout devant qui va s’exercer le recours contre une décision de ce Conseil des sages à la composition très discutable ?

Car si la position des sages est contraire au droit constant, il convient qu’une juridiction, impartiale et indépendante, puisse en connaître et en rétablir le fond. Si le Conseil n’est rien de tout cela, alors qu’est-il ?

Prenons pour exemple la position des différents sages sur la question des parents accompagnateurs. D’aucuns pensent que la circulaire « Chatel » est toujours applicable. Or cela est méconnaître la hiérarchie des normes pourtant enseignée en première année de droit. Une jurisprudence du tribunal administratif de Nice est venue renforcer le fait qu’il n’existe pas d’obligation de neutralité des parents accompagnateurs. Le tribunal estimait en effet que le directeur n’avait pas suffisamment motivé sa décision pour imposer l’obligation de neutralité des parents accompagnateurs, laquelle ne pouvant être mise en œuvre qu’en cas de prosélytisme. Cela est d’ailleurs conforme à la dernière étude du Conseil d’État sur les collaborateurs bénévoles du service public.

Jean-Michel Blanquer ne s’était-il pas prononcer en faveur de la neutralité avant de revenir sur sa décision et de monter le Conseil des sages ?

Beaucoup d’entre nous avons voté Emmanuel Macron parce qu’il appelait à une certaine forme de pacification sur la question. Alors, où est exactement cette pacification quand Jean-Michel Blanquer installe ce conseil ? Où est la cohérence, alors que le président de la République et le Premier ministre viennent dans le même temps de prolonger la mission de l’Observatoire de la laicité, instance qui s’en tient strictement au droit et qui est reconnue par tous les acteurs de terrain, et notamment dans l’éducation nationale ?

Que va-t-on proposer dans ce Conseil de sages en dehors du centimètre de tissu qu’il convient d’avoir sur la tête ou de la taille de la barbe qu’il convient de maintenir afin de s’intégrer ? La société française se dirige dans une drôle de police de la pensée et également une guerre contre les habitudes vestimentaires de certaines de nos citoyennes. Face à tout cela, que doit-on faire ? Légitimer les propos de Manuel Valls qui rejoignent trop souvent ceux de partisans « identitaires » de la laicité et qui encore récemment a demandé une modification de la Constitution pour changer notre laicité ?

En réalité, certains tentent des modifications de nos textes là où elles ne sont pas nécessaires. Les Français vivent bien ensemble et les attentats ne devraient pas être un moyen de pointer du doigt les religions. Le fanatisme existe, et il convient de le condamner avec la plus grande fermeté. Mais soutenir ceux qui, sous couvert de laicité, veulent exclure et stigmatiser, c’est justement faire le jeu de ce même fanatisme.


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