Après des mois à piaffer d’impatience, l’armée turque et ses supplétifs islamistes basés dans la région d’Idlib ont lancé l’assaut contre le canton d’Afrîn, un des « cantons kurdes » historiques, qui a déclaré son autonomie démocratique en juillet 2012, et est aujourd’hui un pilier de la Fédération démocratique de Syrie du Nord.
L’État turc déteste la gauche kurde, dont le centre de gravité est le PKK, et raserait volontiers tout le Kurdistan syrien s’il en avait le pouvoir, comme il a mis le Kurdistan turc à feu et à sang depuis l’été 2015.
Il ne supporte pas l’idée que se constitue, sur sa frontière méridionale, une entité politique dominée de facto par la gauche kurde.
L’aventure impérialiste d’Erdoğan en Syrie depuis 2011 est un échec : Bachar el Assad est toujours en place ; l’État islamique, qu’il avait épaulé, est à terre ; les milices islamistes qu’il parraine dans la région d’Idlib n’ont pas d’avenir, et sont bombardées par les Russes.
Erdoğan est par ailleurs excédé que les États-Unis appuient militairement cette Fédération démocratique de Syrie du Nord, pour des raisons impérialistes qui leur sont propres – gêner l’influence iranienne dans la région.
Le canton d’Afrîn est considéré comme le « maillon faible » de la Fédération démocratique de Syrie du Nord par l’État turc, parce qu’il est séparé du reste du Kurdistan syrien par la zone d’occupation turque.
La conquête du canton d’Afrîn peut offrir une porte de sortie aux milices islamistes aujourd’hui cernées dans la région d’Idlib, et élargir la zone d’occupation turque en Syrie du Nord. Après Afrîn, l’un des objectifs avoués d’Erdoğan est la ville de Manbij.
Face aux menaces turques, l’intégrité du canton d’Afrîn était, jusqu’ici, garantie par l’armée russe, qui en contrôle l’espace aérien, et y disposait d’une base.
Or les forces russes ont évacué Afrîn, et ont même autorisé l’aviation turque à bombarder le canton. Pourquoi cette volte-face ?
Selon la presse turque, Erdoğan aurait exigé de Moscou carte blanche pour envahir le canton, faute de quoi Ankara ferait échouer les pourparlers de paix en Syrie.
Selon Aldar Xelîl, un des responsables du Mouvement Tev-Dem [1], les Russes ont demandé à l’Auto-administration kurde, le 19 janvier, de laisser l’armée de Bachar el Assad prendre le contrôle d’Afrîn, faute de quoi ils autoriseraient l’attaque turque. Les forces kurdes ont nettement refusé ce chantage. D’où le feu vert russe à Ankara.
Il est possible que la haine obsessionnelle d’Erdoğan contre la gauche kurde serve in fine les intérêts de Moscou : les milices islamistes d’Idlib et leur chaperon turc se ruant contre les milices de la gauche kurde, c’est l’affaiblissement simultané de plusieurs adversaires du régime sanguinaire de Damas.
Afrîn est une région montagneuse, dans laquelle les blindés turcs pénétreront moins facilement qu’en rase campagne.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS) s’attendaient depuis des mois à cette offensive, et ont eu le temps de préparer la défense.
Quoique isolée, Afrîn peut recevoir des renforts via un « corridor » actuellement contrôlé par le régime de Damas. Celui-ci le laissera sans doute ouvert tant qu’il jugera utile que les milices islamistes d’Idlib s’épuisent en attaquant Afrîn.
L’armée turque et ses milices islamistes supplétives n’ont pas particulièrement brillé par leur efficacité lors de la campagne « Bouclier de l’Euphrate », fin 2016. Daech les a tenus en échec pendant trois mois devant Al-Bab. Que feront-elles face à Afrîn que, déjà, la population du Kurdistan syrien appelle à défendre avec le même héroïsme que Kobanê ?
La solidarité s’impose ! Alternative libertaire appelle toutes et tous les anticolonialistes et les anti-impérialistes à se joindre aux manifestations de protestation à l’appel du Conseil démocratique kurde en France (CDKF).
On s’est levé pour Kobanê, levons-nous pour Afrîn !