Une instruction criminelle est en cours, le gendarme a été mis en examen (sans aucune mesure de contrôle judiciaire) mais la marge d’indépendance de la justice apparaît extrêmement ténue dans une affaire où toutes les investigations techniques sont déléguées à ces mêmes gendarmes et les faits examinés, analysés et interprétés selon leur unique grille de lecture.
Encore une fois, pour préserver le lien incestueux entre justice et police, c’est l’instruction de la victime que l’on fait et non l’instruction du gendarme. La famille, ses proches, le Comité de soutien « Justice et Vérité pour Jérôme Laronze » demandent que toute la lumière soit faite sur ce tragique événement et qu’une instruction soit conduite en toute indépendance et impartialité, sans crainte, dans le respect de l’égalité des armes face à la loi.
Parce que la justice est bien trop souvent le bras ganté de la police et de l’État.
Parce qu’il n’est pas acceptable que dans de telles circonstances la victime (décédée) ait pour seul recours le juge européen.
Le 11 mai 2017, Jérôme, paysan reconverti en agriculture biologique, éleveur de vaches limousines (au pays des charolaises…), ancien porte-parole de la Confédération Paysanne de Saône-et-Loire subit un énième contrôle administratif sur sa ferme. L’enjeu est clair : trois contrôleu.r.se.s de la Direction Départementale de la Protection de la Population, accompagné.e.s de militaires (gendarmes armés), sont là en vue de la saisie du troupeau du jeune paysan de trente-six ans. Il s’agit de faire cesser par tous moyens l’activité d’un paysan rétif à un excès de normes et qui en dénonce haut et fort l’inefficacité et les aberrations.
Pour y parvenir, l’État utilise sans discernement la force et la ruse.
Il sera ainsi question, après l’invasion de sa ferme par les gendarmes, de conduire Jérôme Laronze à l’hôpital psychiatrique (c’est comme cela que ça se passe le plus souvent avec les paysan.ne.s dit « fragilisé.e.s » - parce que dans cette histoire, comprenez, il ne peut y avoir de paysan.ne.s « révolté.e.s ». Celui qui dit non est un fou qui s’ignore).
Après refus de suivre les injonctions des gendarmes, des contrôleu.r.se.s, et des pompiers, Jérôme monte sur son tracteur et s’enfuit. Il ne reviendra que plus tard, troquera son tracteur contre sa Toyota, et s’en ira neuf jours durant (fugue ? ou cavale ?) dans la campagne bourguignonne, échappant ça et là aux gendarmes, jusqu’à sa dernière entrevue avec ces derniers.
Depuis quelques années, Jérôme Laronze était dans le collimateur de la D.D.P.P pour des problèmes sur l’identification de ses bêtes, des obligations de suivi sanitaire non remplies, etc. Luttant contre une politique sanitaire inadaptée et inefficace, utilisée comme outil de communication afin de restaurer la confiance des consommat.eur.rice.s auprès des grands groupes agro-alimentaires à raison de leurs scandales sanitaires à répétition (viande de cheval dans les lasagnes, salmonelle, vache folle, …), Jérôme refusait catégoriquement cette gestion par les normes, faites par les industriel.le.s, pour les industriel.le.s. Fervent défenseur d’une agriculture mettant le vivant en avant et contre le puçage et traçage généralisés des bêtes, il prônait au contraire le retour à une agriculture locale, en circuit-court, où consommat.eur.rice et paysan.ne se soustrairaient aux pouvoirs kafkaïens des grands groupes.
Comprenant que sa situation depuis quelques temps se résoudrait par une issue fatale (et l’histoire eut raison deux fois de cela. D’abord tragiquement par sa mise à mort, et puis comme une farce -selon l’adage marxiste- lorsqu’après sa mort les contrôleu.r.se.s reviendront disant qu’il n’y avait finalement pas urgence à saisir le troupeau), Jérôme avait écrit un texte « Chronique et Etats d’âmes ruraux ». Une « petite bombe » à ses dires, dans lequel Jérôme posait la question suivante :
« Si la Grèce antique avait ses rites et ses croyances, aujourd’hui, au nom de quels dieux, sur l’autel de quelles valeurs m’a-t-on promis l’hécatombe ? »
Le lendemain de sa fuite, et convaincu de la nécessité de ce texte (où Jérôme parlait entre autres de multiples venues de la D.D.P.P sur son exploitation, de « l’inquisition républicaine », des « syndicats [soutenant] la paysannerie comme la corde soutient le pendu ? », …), il l’envoie à un journaliste du Journal de Saône-et-Loire, pensant peut-être que la publication de celui-ci expliquerait son geste (sa fugue sur son tracteur). Mais le texte n’est pas publié ou très partiellement. À l’inverse, les médias, alimentés par des gendarmes humiliés par l’habileté de Jérôme à les perdre dans la campagne, retiennent de lui l’image d’un homme dangereux, sinon « psychologiquement instable ».
De là, il n’y a qu’un pas vers la construction du sujet-terroriste, et donc du « permis de tuer ».
En se défendant, Jérôme est devenu indéfendable.
Une véritable chasse à l’homme se met en place. D’habitude les paysan.ne.s retournent la colère contre eux-même, c’est plus facile, mais quand la colère se cherche une autre destination, que faire ? D’habitude les bêtes à l’abattoir sont étourdies, c’est plus facile comme ça pour tailler dans le lard, mais quand la bête se rebiffe ?
À 16h29 le 20 mai 2017, Jérome reçoit six balles, dont trois mortelles. Avant d’appeler les pompiers, les gendarmes appellent leurs supérieurs. Jérôme meurt, vidé de son sang. Les gendarmes sont deux. L’homme tire six balles, la femme une dans le décor. En moins de sept secondes. Le gendarme affirme avoir tiré de face menacé par la voiture de Jérôme, mais les expertises balistiques attestent du contraire. Les tirs sont latéraux, et tirer du bas vers le haut. L’une des balles finit logé en dessous de sa mâchoire, mais le gendarme affirme avoir visé les roues du véhicule. Mauvais tireur, mauvaise foi ou simplement mauvaise défense….
Aujourd’hui, famille, proches, comité de soutien réclament que Justice et Vérité soient faites sur les circonstances de sa mort alors que les juges s’interrogent sur la personnalité de Jérôme et non sur celle du mis en examen.
Criminaliser la victime pour mieux légitimer l’acte, est-ce là l’intention recherchée ?
Parce que la mort des paysan.ne.s est politique. Qu’elle n’est pas le fait d’un destin tragique, mais d’un assassinat étatisé. Que Jérôme le savait.
Parce que l’histoire des impunités policières doit cesser, dans les « quartiers populaires », tout comme dans les « zones rurales ».