Le 9 novembre 2016, dans le numéro 80 de Lundi Matin paraissait un article d’Ivan Segré intitulé « Israël : l’impossible boycott ». Éric Hazan nous a fait parvenir ce texte en réponse.
La Fabrique a publié ces dernières années deux excellents livres d’Ivan Segré, le Manteau de Spinoza et Judaïsme et révolution. Lors de discussions à cette époque, Segré m’avait clairement fait entendre qu’il était en accord avec les positions que nous défendons depuis longtemps sur la question israélo-palestinienne – à savoir que la seule issue est que les 11 millions d’êtres humains présents sur le territoire de la Palestine mandataire vivent libres et égaux dans un État commun.
Ces dernières semaines, Ivan Segré a fait dans Lundi matin la recension de deux livres de la Fabrique, les Blancs, les Juifs et nous d’Houria Bouteldja, et Un boycott légitime d’Eyal Sivan et Armelle Laborie. Dans ces deux longs textes, Ivan Segré met à profit son habituelle subtilité pour faire une critique à la fois feutrée et violente. Du premier, Segré feint de ne pas saisir toute l’ironie : il prend tout au premier degré, ce qui aboutit à assimiler l’antisionisme d’Houria à de l’antisémitisme, comme il assimile sa critique du cogito cartésien à un défaut de culture philosophique. Pour le second, il reprend l’argument du gouvernement israélien : pourquoi boycotter Israël et non les Etats pourris du Golfe ? Il est longuement question de cet argument dans le livre d’Eyal Sivan et Armelle Laborie – dont Segré nous apprend qu’il en fait la critique sans l’avoir lu (sans doute a-t-il médité le livre de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?).
Plus sérieux : dans la critique de ce livre consacré au boycott intellectuel, Ivan Segré nous apprend qu’il est désormais partisan de la solution à deux États, israélien et palestinien, sur les frontières de 1967. Cette solution, défendue par les apparatchiks du Fatah comme par le « camp de la paix » israélien, par Barak Obama comme par Alain Juppé, est inapplicable. Elle signifie le maintien sans fin d’un statu quo entrecoupé d’expéditions militaires où l’on ne fait aucune différence entre combattants et population civile. Tout cela, Ivan Segré le sait aussi bien que moi.
Son revirement, je ne parviens pas à l’expliquer. Certes, la vie est plus confortable et le terrain plus accueillant dans le camp des partisans de l’État d’Israël que du côté d’Alain Badiou ou de la Fabrique, mais j’ai trop d’estime pour Segré pour penser que son virage est purement tactique. Peut-être pourra-t-il un jour nous en donner clairement les raisons.