En Israël et parmi les juifs d’Europe, il n’y a pas que des soutiens à la politique expansionniste et ouvertement raciste de Netanyaou. En témoigne l’article écrit par un professeur de l’université de Jérusalem. Mais beaucoup de ces citoyens, qui disent avoir honte de leurs élus, continuent, inexplicablement, à voter pour le Likoud, accentuant ainsi la dérive autoritaire de l’état hébreu.
De la déstabilisation du Moyen Orient qui ne fait que croître et embellir à chaque ingérence de l’occident dans la région, le premier acte - et le plus absurde - a été la fondation de l’état d’Israël : l’ONU, croyant ainsi exonérer L’Europe d’un crime qu’elle avait commis contre les juifs, a organisé en 1947 le partage de la Palestine suivant une cartographie parfaitement inepte : transformant la contrée en un damier, elle en a attribué les cases blanches aux juifs et les cases noires aux Arabes (voir carte ci-dessus). Après la première guerre israélo-arabe, les vainqueurs ont organisé la spoliation et la déportation des palestiniens autochtones. Nous avons, sur ce point, le témoignage lucide d’un de ces nouveaux installés qui a perçu très tôt les effets pervers du sionisme et qui écrit, dès 1959, pour un journal juif de New York : « Nous sommes arrivés et nous avons fait des natifs Arabes de lamentables réfugiés. Et en plus, nous osons encore les dénigrer, les calomnier et galvauder leur nom. Au lieu d’être profondément honteux de ce que nous avons fait, et de chercher de réparer les crimes que nous avons commis, nous justifions nos terribles actions et cherchons même à les glorifier. »
Puis, à la faveur des autres guerres israélo-arabes, Israël a connu une extension continue de son territoire, qu’elle parachève aujourd’hui par une colonisation à marche forcée. Et quand les israéliens auront mené à bien cette annexion de fait et reconstitué ainsi l’antique royaume de Salomon, ils l’officialiseront, au nez et à la barbe de l’ONU, dont ils ont toujours méprisé les injonctions et condamnations. Comment les palestiniens n’auraient-ils pas le sentiment qu’on leur faisait payer le génocide commis par les européens ? Pourquoi l’auraient-ils accepté et pourquoi l’accepteraient-ils encore ? Le plus étonnant, c’est qu’aucun homme politique ne pose la question en ces termes !
Le discours est clair : vous, les ismaélites dont l’ancêtre a été chassé par Abraham, vous n’avez aucune légitimité à occuper cette terre. Nous sommes les héritiers du patriarche et nous venons récupérer notre héritage. Alors, les sauvages ôtez-vous de là que je m’y mette et laissez la place au peuple élu ! Quelle personne sensée, en 2018, peut encore croire à cette fable ? Car selon la même logique, on pourrait organiser le retour en Europe ou en Asie de tous les habitants du continent américain qui ne sont pas amérindiens.
Mais les projections démographiques nous suggèrent qu’ils ne s’arrêteront pas là : c’est plus de 17 millions d’habitants qui vivront dans le pays en 2050, soit une densité de 750 habitants au kilomètre carré (deux fois plus que la Belgique). Les juifs orthodoxes, dont le taux de fécondité est deux fois plus élevé que celui du reste de la population, représenteront 29% de la population et auront un poids politique considérable. Il n’est donc pas exclu qu’Israël cherche "l’espace vital" dont il a besoin en déclenchant de nouvelles guerres de conquêtes, d’abord pour refouler vers l’est les arabes de Cisjordanie, puis pour étendre sa domination au-delà du Jourdain.
C’est Zeev Sternhell, historien et professeur à l’Université Hébraïque de Jérusalem, qui le dit dans le titre d’un récent article qu’il a écrit pour le Monde : "En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts". Pour la ministre de la justice Ayet Shaked (droite nationaliste), "une victoire électorale justifie la mainmise sur l’état et la vie sociale". Elle va plus loin encore en affirmant que "les droits de l’homme doivent s’incliner devant la nécessité d’assurer une majorité juive". Ces principes de base trouvent leur application dans une loi que la Knesset est sur le point de voter : ce texte officialiserait et constitutionnaliserait une situation d’Apartheid qui existe déjà. Et le journal Haretz commente : « Il serait intéressant de voir la réaction d’Israël si un autre pays adoptait un amendement constitutionnel permettant de créer des communautés excluant les Juifs ».
L’extrême droite israélienne, en la personne des deux députés nationalistes Smotrich et Zohar, apporte des précisions : il n’est pas question de s’attaquer physiquement aux palestiniens, à moins qu’ils ne reconnaissent pas l’hégémonie juive, mais les droits de l’homme leur seront systématiquement refusés sous prétexte que "les arabes ne sont pas juifs, c’est pourquoi ils n’ont pas le droit de prétendre à la propriété d’une partie quelconque de la terre promise au peuple". On voit dans l’utilisation de ce mythe de la terre promise à quel point s’exerce l’influence des communautés israélites intégristes ! Et on se croirait au pays du père Ubu, si on considère qu’un juif de Brooklyn qui n’a jamais mis les pieds en Israël a plus de droits à la propriété qu’un arabe dont la famille vit depuis plusieurs générations en Palestine. Le prétendu "droit du sang" du code de la nationalité israélien a ceci de particulier qu’il s’agit plutôt d’un droit de la croyance, car il n’y a rien de commun entre un juif séfarade et un juif ashkénaze, ni ethnie, ni culture, ni nationalité, ni langue, seulement une religion. A tel point que ce "droit de la croyance" peut s’effacer devant des considérations raciales et racistes.
Ce mélange détonnant ne rappelle-t-il pas tous les ingrédients du nazisme débutant : un fondamentalisme (race des seigneurs chère aux nazis ou peuple autoproclamé élu par ses religieux intégristes), un refus catégorique des différences, une exclusion ethnique, la recherche d’un espace vital, au besoin obtenu par la conquête ? Certes, on n’en est pas encore à la Nuit de Cristal, mais si les bien réelles menaces de dérive se concrétisent, Israël, ce sera le nazisme plus la bombe atomique, ce qui rendra cet état aussi dangereux que la Corée du Nord.
Nous signalerons, avant de conclure, le commentaire de Bernard Guetta qui, même s’il est d’accord sur le fond avec les idées de Sternhell, regrette profondément "qu’il ait cru devoir surligner en faisant cette comparaison avec les débuts du nazisme". Nous respectons ce point de vue sans toutefois le partager, car c’est au contraire en disant les choses de façon claire qu’elles sont entendues ; il faut que la réalité soit analysée avec lucidité. Et si un de mes lecteurs, dans un grand élan de malhonnêteté intellectuelle, me taxe d’antisémitisme, ma réponse est déjà prête.
"Pour notre malheur, dit le professeur Sternhell, beaucoup d’israéliens qui ont honte de tant de leurs élus continuent à voter pour la droite" Et nous lui laissons le mot de la conclusion : "Grâce à l’impuissance de la gauche, cette législation servira de premier clou dans le cercueil d’Israël, celui, dont il ne restera que la déclaration d’indépendance, qui rappellera aux générations futures ce que notre pays aurait pu être si notre société ne s’était moralement décomposée en un demi-siècle d’occupation, de colonisation et d’apartheid dans les territoires conquis en 1967 et désormais occupés par 300000 colons".