Il convient d’accorder une importance particulière à ce chapitre pour tenter de décrire en profondeur la pensée antisémite de Bouteldja. En effet, la présence de l’antisémitisme au sein du mouvement identitaire de l’ultragauche à l’extrême-droite porte une nécessité d’analyser les propos de la cheftaine du Parti des Indigènes de la République.
Bouteldja, commence son chapitre par une citation de Moshe Landau, juge israélien pendant le procès de Adolf Eichmann. Le responsable du gouvernement nazi fut condamné à la peine de mort par pendaison tombée. Dans l’Histoire israélienne, il est le seul homme à avoir été exécuté. Son corps fut ensuite incinéré, et ses cendres furent jetées dans les eaux internationales pour éviter que des pèlerinages de néo-nazis. La question de la Shoah raisonne beaucoup dans le mouvement dans lequel elle fait partie. En effet, quand elle écrit : « »Mais qui est Hitler ? » C’est Boujemaa, mon cousin d’Algérie qui parle » [1]. Une question se pose autant sur le fond que sur la forme : peut-on ne pas connaître les grandes figures de l’Histoire moderne ? En effet, la question prend presque un caractère rhétorique, puisqu’il s’agit dans le fond d’une culture culturelle élémentaire. En même temps, nous sommes dans un registre très particulier, en citant « Je déteste les Juifs, ils me rappellent les Arabes » [2].
Bouteldja confirme sa haine du « Juif », mais au-delà son antisémitisme profond. Pour justifier le tout, elle déclare : « Hitler est un intime » [3]. On ne pouvait trouver plus extrême comme expression pour souligner le fond de sa pensée. En effet, la question intime relève d’une relation secrète et privée. Bouteldja affirme que « la tentation négationniste guette chez les antisémites » [4], nous comprendrons mieux ces paroles dans la suite de l’article.
L’impression que fait le responsable de la solution finale se retrouve dans son dénigrement de l’école : « Je l’ai rencontré sur les blancs de l’école républicaine […]. L’école m’a bien dressée » [5] . La volonté de Houria Bouteldja de diminuer et de réduire la Shoah s’inscrit pleinement dans des thèses révisionnistes. D’autant qu’elle confirme ses pensées : « Pour le Sud, la Shoah est si j’ose dire – moins qu’un détail » [6]. Les paroles de Jean-Marie Le Pen prennent une dimension au sein de Bouteldja « La Shoah n’est qu’un détail de l’Histoire ». La paraphrase de l’ancien Menhir du Front National s’amplifie de manière graduelle. Pendant ce temps, elle rétorquera : « Il y en a qui parmi vous qui combattent le racisme anti-blanc » [7]. Pourtant, il semble que son alliance sémantique avec ceux qui combattent le « racisme anti-blanc » n’a pas l’air de la choquer. En même temps, de nombreuses personnes issues des bancs de l’extrême-droite s’accordent parfaitement sur son analyse. Il s’agit de l’arbre qui cache la forêt.
Le plus étonnant est que elle affirme un peu plus loin : « Ou pour le dire autrement, clamer ensemble et plus que non, la Shoah comme tous les crimes de masse, ne sera jamais un « détail » ». [8]. La contradiction au sein d’un même chapitre s’empare de Bouteldja. D’un côté, nous avons la nécessité de Bouteldja d’affirmer que la Shoah n’est qu’un détail de l’Histoire, de l’autre qu’elle n’est pas un détail. Un curieux paradoxe qui trouverait peut-être son sens en tentant de marxiser son discours. Puisque l’extrait ci-dessus est précédé par une citation de Rosa Luxembourg : « Je me sens chez moi dans le vaste monde partout où il y a des nuages, des oiseaux et des larmes ». On se rend compte aussi que le livre dont est extraite la citation de Rosa manque cruellement de source, mais aussi s’intitule : « La Fin de la modernité juive ».
Bouteldja condamne les sociétés européennes pour avoir laissé « la commémoration du génocide nazi devenir »une religion civile européenne » fait craindre au pire car, en une religion, on croit ou on ne croit pas » [9]. Le fait de soulever que la Shoah serait du ressort de la croyance soulève inexorablement que les faits historiques ne sont qu’une mystification de l’Histoire. Placer des événements historiques, à cause de leur commémoration sur le plan religieux ne peut que déboucher sur un négationnisme endurci. En effet, Bouteldja affirme puisque « la Shoah » est une « religion civile », alors les thèses négationnistes prennent leur puissance. En effet, les mots « on croit ou ne croit pas » soulèvent une interrogation assez profonde. Peut-on « ne pas croire » en des faits historiques démontrés scientifiquement ? La réponse est « non », sauf pour les adeptes d’un obscurantisme ou marchant dans les pas de Robert Faurisson.
Ensuite concernant, la question du sionisme, elle déclare que : « reconnaissez-le. Il est triste que cette réhabilitation ait été conditionnée par le génocide, votre auto-expulsion partielle d’Europe et du monde Arabe pour Israël et votre recommencement à vous réclamer de la France qui est pourtant la vôtre » [12]. En utilisant l’impératif, Bouteldja donne une injonction et un ordre à la communauté Juive. La question de la récupération de la Shoah pour permettre de créer Israël est sous-entendue. Une vision autoritaire balance sur le fait que la France est « vôtre ». Bouteldja utilise le même sens que son expression « philosémitisme » (sic).
Dans le fond, le sionisme est le mouvement de retour à la terre. Si Bouteldja affirme : « Mais vous vous êtes laissé gagner lentement à tel point qu’un préjugé tenace est né : tous les Juifs sont des sionistes » [13]. Il y a une raison évidente, mais il faut souligner que si la rhétorique est vérifiée, elle sous-entend également au fur et à mesure de son chapitre que les « sionistes » sont un problème important pour le monde « Arabe », alors qu’il n’y a pas de problèmes. Différentes associations juives ayant des relations très ambiguës critiquent le « sionisme », mais le discours n’est pas dans la logique du Bund et de la volonté de créer le Yiddishland. Au contraire, il s’agit avant tout de déconstruire ce qui a été construit, tout en étant à rebours de l’Histoire. Qu’on le veuille ou non, l’État Israélien existe, et il faudra construire avec lui.
D’ailleurs, Bouteldja en parle de manière opportuniste en déclarant : « Autrement dit, marcher dans les pas des fiers militants du Bund, et poursuivre leur de libération » [14]. Si le Bund a eut le mérite d’exister, il fut écrasé par deux mouvements : le stalinisme et le nazisme, le goulag et les camps d’extermination. Dans ce contexte, le Bund n’est plus du tout d’actualité, si ce n’est pour la recherche historique, mais il reste tout de même un argument fondamental pour les personnes opposées au sionisme. Sauf que la grande différence dans les militants du Bund était le projet à mettre en dynamique : le Yiddishland. Ainsi, comme je l’affirme dans un article à propos du refus de masse d’acheter des produits israéliens, il appartient clairement de faire la différence entre l’antisionisme et le non-sionisme.
Dans la volonté de Bouteldja de critiquer le sionisme revient nécessairement à Théodore Herzl, elle affirme qu’on « me retoquera que Herzl était juif. Certes, sauf la question n’est pas qui a eu l’idée du sionisme mai l’a réalisée » [16] (la partie soulignée est en italique dans le texte). Pourtant, on pourra lui rétorquer celui-ci :
En voulant absolument le détruire, ces associations soulèvent la question de la destruction de l’État Hébreu. Alors quand Bouteldja affirme : « Que cela vous plaise ou pas, l’antisionisme sera, avec la mise en cause de l’État-nation, le lieu principal du dénouement » [18], beaucoup d’entre nous ont la possibilité d’avoir un rire moqueur. Vouloir détruire l’État Hébreu, mais refuser l’abolition de l’État, se résume en effet comme le dénouement d’une question fondamentale, celle d’un antisémitisme sans gène, mais aussi résultant d’une logique profonde petite-bourgeoise.
Pour Bouteldja, « Nous vivons un moment charnière de notre Histoire. Sur l’échiquier international, Israël déçoit l’empire » [19]. Lorsque l’État Hébreu est collé à « l’empire », alors nous pouvons affirmer sans gène, que la phrase s’inspire de la vision antisémite « Soralienne ».
Le pire étant que « le sionisme » est considéré comme un organe du corps à travers la phrase « la greffe sioniste n’a jamais pris dans le monde arabe et prendra jamais si Dieu le veut » [20]. On remarquera la nécessité de Bouteldja dans l’utilisation de l’argument divin. Il s’agit d’une preuve flagrante d’absence d’arguments.
[1] p 54
[2] p 49
[3] p 54
[4] p 59
[5] p 49
[6] p 54 et 55
[7] p 50
[8] p 60
[9] p 59
[9] p 59 et 60
[11] p 60
[12] p 52
[13] p 57
[14] p 65
[15] Pierre Le Bec, Le Boycott d’Israël est une impasse (1), voir : http://revolutionetlibertes.fr/?p=7049
[16] p 65
[17] cf note 15
[18] p 65
[19] p 63
[20] p 64