De toute éternité, les humains ont eu besoin de se raconter de belles histoires pour se rassurer. Les contes de fée, le Père Noël, l’amour éternel, le gouvernement du peuple par le peuple, le Tour de France ou les Jeux olympiques sans dopage, … les libertés académiques face au sionisme.
De quoi parle-t-on en évoquant les “libertés académiques” ? Les lois françaises – citées par Wikipedia – prévoient par exemple que :
« A l’égard des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs, les universités et les établissements d’enseignement supérieur doivent assurer les moyens d’exercer leur activité d’enseignement et de recherche dans les conditions d’indépendance * et de sérénité * indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle. »
« Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique * ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique*. »
« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression * dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité. »
Or, dans la réalité, les preuves abondent qu’enseignants et chercheurs sont fréquemment astreints à une chasse effrénée aux subventions et aux financements par le secteur privé qui dicte ses conditions, soumis au « publish or perish » [1], à une certaine dictature du court terme, aux objectifs de rentabilité qui orientent les choix de recherche, à la nécessité de plaire aux autorités (ou du moins de ne pas leur déplaire) pour que leur carrière progresse,…
Malgré tout, l’attachement à ces “libertés académiques” pourtant toutes relatives est fort, voire très fort, dans les milieux universitaires, qui ont parfois une réaction spontanément hostile à l’idée du boycott académique proposé dans le cadre de la campagne “Boycott, Désinvestissement, Sanctions” (BDS) qui vise Israël.
Pourtant, plus redoutable que tout ce qui est évoqué plus haut pour la réalité des “libertés académiques”, il y a l’action des lobbies pro-israéliens, pourtant rarement critiquée ouvertement et qui ne suscite jamais, au grand jamais, la même indignation vertueuse.
Un excellent exemple nous en est fourni, en France, par notre ami Christophe Oberlin, dont la carrière dans l’Université française a de toute évidence sévèrement pâti de son engagement résolu en faveur de la Palestine, et singulièrement de la population de Gaza.
Actuellement, on n’entend pas s’élever de protestations au nom des “libertés académiques” après la décision de l’université allemande de Hildesheim d’annuler un séminaire sur le Proche-Orient, après – nous apprend le site du “Centre Communautaire Laïc Juif”, qui s’en félicite – “une série de plaintes affirmant que le contenu était antisémite et négatif pour l’État d’Israël * ”.
« Le séminaire aurait dû se tenir l’année académique prochaine, mais l’université a annoncé vendredi que les leçons seraient annulées. Le contenu des cours devait porter sur “la situation sociale des jeunes Palestiniens”. L’université proposera désormais un autre module autour du conflit au Proche-Orient », indique encore le CCLJ.
Et de poursuivre :
« L’affaire avait commencé en 2015 lorsque Rebecca Seidler, une chercheuse spécialisée dans l’histoire des Juifs d’Allemagne devait donner un cours dans cette université sur la vie juive allemande. En consultant un la bibliographie proposée par ce séminaire sur la Palestine, elle a découvert des textes antisionistes * selon lesquels les Israéliens tuent notamment les Palestiniens pour leurs organes ! Cette bibliographie contenait aussi des textes issus de Wikipedia, des articles de blogs conspirationnistes ainsi que des pamphlets sans aucune valeur scientifique ».
« Suite à cette découverte, Rebecca Seidler a donc décidé de décliner l’invitation de l’Université d’Hildesheim d’y dispenser un cours sur la vie juive allemande. Les autorités académiques auraient alors jugé que sa réaction était exagérée et d’une sensibilité extrême !
De nombreuses critiques ont ensuite été émises, notamment par le centre Simon Wiesenthal. Cette image désastreuse qui commençait à coller à cette université a contraint les autorités académiques à réagir. D’autant plus que différentes plaintes pour antisémitisme ont été introduites contre l’Université d’Hildesheim. Les autorités académiques ont finalement décidé d’annuler ce séminaire. Mieux vaut tard que jamais. »
On se gardera bien – faute d’avoir pu consulter les documents et de disposer d’ailleurs d’une connaissance suffisante de la langue allemande (contrairement, nous en sommes sûrs, à l’auteur de l’article du site du CCLJ) – d’émettre ici un avis catégorique sur la valeur scientifique du contenu qu’aurait eu le séminaire annulé.
On ne peut pourtant manquer d’être, dès l’abord, frappé par la très grande confusion entre plusieurs notions distinctes qu’opèrent, de manière tout à fait délibérée, ceux qui se réjouissent de son interdiction : “antisémite”, “négatif pour l’État d’Israël” (critère scientifique dont la pertinence n’échappe à personne) et “antisioniste”.
La consultation d’autres sites, comme par exemple “Times of Israel” nous permet d’apprendre que dans un premier temps les autorités académiques de Hildesheim avaient pris la défense du séminaire sur “la situation sociale des jeunes Palestiniens”, soulignant que les documents utilisés comme prétexte aux attaques “servent seulement de supports de lecture et sont utilisés pour entraîner les étudiants à un discours critique”, sans refléter pour autant les positions de l’université.
Et, si elles ont finalement cédé, c’est après que le Conseil Central des Juifs allemands et le Centre Simon Wiesenthal [2] aient lancé des accusations d’antisémitisme, relayées notamment dans un article du Jüdische Allgemeine Zeitung. Pour des raisons, notamment historiques assez évidentes, c’est un sujet particulièrement sensible en Allemagne, et on comprend – notamment quand on observe comment se comportent les autorités académiques de l’ULB lorsqu’elles sont mises en cause par des personnages comme Joël Rubinfeld, qui excelle à dénoncer des “dérapages antisémites” la plupart du temps imaginaires – à quel point il était difficile de résister à la pression. Mais cela justifie-t-il celle-ci ?
“Times of Israel” fait également état d’une intervention directe du Ministère des Affaires étrangères israélien dans cette histoire mettant en cause les “libertés académiques” à Hildesheim, puisque le site cite une déclaration – tout en nuances, on va le voir – du porte-parole du Ministère des Affaires étrangères dans le Jerusalem Post.
Dans le style délicieusement diplomatique en vogue dans les sphères du pouvoir israélien, il a qualifié le séminaire en question (dont à n’en pas douter il avait soigneusement étudié le contenu) de “démonstration abominable et scandaleuse de haine des Juifs”, ajoutant que l’université Hildesheim “n’est pas une université mais une usine de haine” et encore que “on aurait pu s’attendre à ce qu’en Allemagne plus que partout ailleurs les gens soient capables de comprendre la nature pernicieuse de la haine et du racisme présentés sous une apparence pseudo-académique”.
Le gouvernement israélien, qui dispose à n’en pas douter d’une certaine expertise en matière de racisme, pour le pratiquer lui-même intensivement depuis des décennies, veut donc imposer en Allemagne sa propre conception très particulière de ce qu’est un travail universitaire dans “des conditions d’indépendance et de sérénité* indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle”.
Peu de voix osent s’élever contre cette ingérence dans les milieux universitaires, jusqu’ici et s’il en est les médias les ignorent soigneusement.
Nettoyage ethnique, trafics d’organes, ce sont des FAITS
Mais qu’y avait-il donc de si dérangeant dans les documents qu’un professeur, disposant manifestement de l’appui des autorités académiques de Hildesheim avant que celles-ci soient soumises à de violentes pressions, voulait soumettre à l’examen critique de ses étudiants pour travailler sur “la situation sociale des jeunes Palestiniens” ?
Toujours sur base des informations disponibles sur le web, il y était question – quelle horreur ! – du “nettoyage ethnique” de la Palestine en 1948. Autrement dit, de faits aujourd’hui incontestables, à la lumière des travaux d’un bon nombre d’historiens israéliens eux-mêmes. On parle évidemment de ceux qui ont eu le courage de s’affranchir du narratif officiel de l’État, ceux qui en d’autres termes ont été capables de faire usage “des conditions d’indépendance et de sérénité* indispensables à la réflexion et à la création intellectuelle” qui ont jadis existé dans certaines sphères israéliennes.
Il y était question aussi, selon Times of Israel, d’histoires de familles palestiniennes dont les enfants auraient commis des attentats suicide. Enfin, il y était question de la participation de l’armée israélienne d’occupation et de médecins israéliens à des trafics d’organes prélevés sur les cadavres de Palestiniens.
Sur ce dernier point, il est certes difficile pour les sionistes de l’admettre, mais le Dr Jehuda Hiss, qui a longtemps dirigé l’unique institut autorisé en Israël à procéder à des autopsies à la suite de décès non-naturels, a bel et bien été démis de ses fonctions en 2012, après de nombreuses péripéties juridiques, pour avoir – lit-on sur Wikipédia en anglais – “procédé à des prélèvements d’organes, d’os et d’autres tissus corporels sur des corps, contre la volonté expresse des familles, avoir vendu de nombreux organes ainsi prélevés à des institutions médicales et des universités”.
Jehuda Hiss avait aussi déclaré que, dès 1987, des chirurgiens militaires avaient utilisé de la peau prélevée sur des corps de Palestiniens pour des greffes de brûlés, sans qu’aucune autorisation soit demandée.
En 2009, après de nombreuses années de dénégations véhémentes, l’armée israélienne avait été contrainte d’avouer – dans le contexte d’une crise diplomatique avec la Suède à la suite de révélations dans “Aftonbladet” qui avaient suscité le même genre de réactions en Israël – qu’elle avait prêté la main à un trafic de cornées prélevées clandestinement sur des Palestiniens.
Non seulement il y avait eu des prélèvements de ces organes sans consentement, mais il y avait des manœuvres tendant à dissimuler ces prélèvements : les paupières des défunts palestiniens étaient collées pour que leurs proches ne puissent les ouvrir !
Comme il n’était plus possible de nier, l’armée et les autorités israéliennes n’avaient plus d’autre choix que de minimiser les faits, avec l’aide active des médias.
Ce genre de trafic, quand des Juifs israéliens s’en rendirent coupables, fut qualifié par l’euphémisme de “procédure informelle”. On laisse chacun imaginer comment auraient été décrits – à grands renforts d’évocations des agissements des médecins nazis dans les camps – des actes de même nature posés par des médecins palestiniens se livrant au même genre de trafics en utilisant le corps de Juifs…
Il n’est pas possible d’ignorer non plus qu’Israël s’est trouvé au centre de plusieurs affaires de trafic international d’organes, tantôt avec l’Amérique latine, tantôt avec le Kosovo ou l’Ukraine. Et il y a des années que ça dure : on en trouve trace notamment ici (en 2010) et là, plus récemment (2015).
Enfin, le refus obstiné des autorités israéliennes de restituer les corps des Palestiniens que leur armée a exécutés sommairement, parfois pendant plusieurs mois après leur mort (et quand ils sont restitués, les corps sont souvent congelés) ne peut qu’alimenter à la fois soupçons et fantasmes extrêmement douloureux chez les Palestiniens. C’est en outre une punition collective illégale particulièrement vicieuse.
De tout cela il résulte que, jusqu’à la preuve du contraire, la préparation du séminaire qu’envisageait d’organiser l’université d’Hildesheim n’avait rien à voir avec les propos délirants du porte-parole de Netanyahou (qui est Ministre des Affaires étrangères en plus d’être Premier ministre), et qu’on est donc en présence d’une ingérence particulièrement grossière d’une puissance étrangère dans les “libertés académiques” en Allemagne.
Mais puisqu’il s’agit d’Israël, tout est déjà pardonné…