La Route des Balkans "est maintenant fermée" : les bisbilles entre dirigeants européens lundi autour de ce court passage d’un projet de conclusions de leur sommet extraordinaire à Bruxelles illustre les paradoxes de l’UE, tiraillée entre fermeture de ses frontières et solidarité avec les réfugiés fuyant la guerre.
Comment en effet donner l’impression de se féliciter d’une "fermeture" de l’itinéraire principal des migrants vers le nord de l’Europe, quand les pays situés sur cette "route" (Macédoine, Serbie, Croatie, Slovénie, Autriche) ont usé de méthodes controversées pour l’imposer ?
Le sommet de lundi, censé ressouder des Européens à la recherche d’une solution plus coordonnée face l’afflux de migrants, a donc commencé par une nouvelle querelle.
Un projet de texte final de la réunion, issu de tractations préalables entre ambassadeurs, retenait cette formulation : "Le flux des migrants irréguliers le long des Balkans occidentaux arrive à son terme. Cette route est désormais fermée". Mais "ce texte est en train d’être revu", a indiqué en début d’après-midi une source diplomatique à l’AFP, du fait de l’opposition de certains pays.
"Il ne peut s’agir de fermer quoi que ce soit", a ainsi averti lundi la chancelière allemande Angela Merkel. L’Allemagne ne veut pas donner l’impression d’appuyer des restrictions mises en places de manière unilatérales, qui ont provoqué un engorgement en Grèce, désormais confrontée à un risque imminent de "crise humanitaire".
Entériner la fermeture de la Route des Balkans, "ce serait une décision qui donnerait raison aux forces chauvines et nationalistes en Europe", a mis en garde le ministre grec de l’Intérieur, Panyotis Kouroublis.
Le Commission européenne pèse elle aussi de tout son poids pour que les dirigeants européens revoient leur copie sur la façon de présenter la situation dans les Balkans. C’est une question de cohérence pour l’exécutif européen, qui a maintes fois critiqué les mesures de restrictions controversées qui y ont été décidées.
Des pays de la région se sont en effet concertés pour établir des quotas de migrants qu’ils laissent transiter sur leur territoire vers le nord, comme l’Autriche qui a établi une limite de 3.200 personnes qu’elle laisserait passer vers l’Allemagne. Vienne a aussi établi un quota quotidien de 80 demandeurs d’asile admis sur son territoire.
Mais "l’accès à la procédure d’asile doit être garanti à toutes les personnes qui demandent l’asile dans un Etat membre", sans plafond numérique, selon un avis juridique récemment produit par la Commission européenne.
A l’inverse, "appliquer une politique de laissez-passer", y compris à des demandeurs d’asile potentiels, n’est pas non plus conforme aux règles européennes, estimait la Commission dans ce même document.
Il ne faut pas donner l’impression de "valider les plans" de l’Autriche, a mis en garde une source diplomatique, alors que plusieurs pays ont semblé se réjouir, sans le dire ouvertement, des mesures prises dans les Balkans, après les difficultés de la Grèce à stopper elle-même le flux de migrants
"Le message qu’il faudrait donner aujourd’hui, c’est que si la Route des Balkans est fermée, c’est parce que les Turcs s’engagent à ne pas laisser passer tout le monde et parce que les hotspots en Grèce et en Italie vont fonctionner", estime cette source.
"Il faut rendre les frontières hermétiques en stoppant l’immigration irrégulière", déclare Charles Michel
La priorité du sommet de lundi, qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des 28 États membres de l’UE et le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, est de "stopper purement et simplement les flux d’immigration irrégulière" et de "rendre parfaitement hermétiques" les frontières extérieures de Schengen, a déclaré le Premier ministre Charles Michel à son arrivée au sommet.
"On va parler de tout, mais la priorité immédiate est qu’on stoppe purement et simplement les flux d’immigration irrégulière et non contrôlée", a-t-il commenté. Il faut rendre les frontières extérieures de l’Espace Schengen "parfaitement hermétiques", "seule solution pour protéger la libre circulation à l’intérieur de l’Espace Schengen", a-t-il encore souligné.
La discussion avec le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu se fera "sans naïveté". "On doit défendre nos propres intérêts européens face à la Turquie, les yeux dans les yeux avec beaucoup de franchise et de clarté, il n’y a pas de tabous", a poursuivi M. Michel, précisant que le sujet de la liberté de la presse, "intangible", serait abordé.
La réunion sera l’occasion de voir "comment exécuter les engagements pris ces derniers mois" et, grâce au monitoring mis en place par l’UE, de voir si les efforts de la Turquie sont suffisants, a-t-il encore indiqué.
Le Premier ministre a appelé l’Europe "à se donner les moyens" de réaliser ses engagements et à prendre "des décisions très fortes".
Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu va prolonger son séjour bruxellois de quelques heures : initialement invité pour un déjeuner de travail, avec les dirigeants européens, consacré à la crise des réfugiés, il reviendra en soirée pour un dîner où seront rediscutées les nouvelles propositions turques. Le sommet extraordinaire entre l’UE et la Turquie devait faire le point, lundi, sur la mise en oeuvre du plan d’action décidé en novembre.
A leur arrivée, plusieurs dirigeants européens, dont le Premier ministre belge Charles Michel, ont insisté sur l’importance de réduire à zéro le flux de réfugiés qui rejoignent l’Europe, au besoin en fermant "hermétiquement" les frontières de l’Espace Schengen.
Le Premier ministre turc serait venu avec de nouvelles propositions, soumises lundi midi aux Européens. Il se serait montré d’accord de réadmettre en Turquie les migrants économiques, mais aussi les réfugiés syriens qui se trouvent actuellement en Grèce.
En échange, la Turquie demande que pour chaque personne ramenée sur le sol turc, un réfugié syrien soit réinstallé en Europe. Selon certaines sources, la Turquie réclamerait aussi un doublement des aides financières européennes, soit six milliards d’euros au lieu des trois actuellement promis par les Européens.
Enfin, la Turquie veut aussi accélérer les négociations d’adhésion à l’UE et l’exemption de visas pour ses ressortissants.
Après le lunch en compagnie de M. Davutoglu, les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 Etats membres devaient se retrouver entre eux pour discuter des propositions turques. Le Premier ministre turc devait ensuite les rejoindre pour un dîner ajouté en dernière minute au programme.