Ainsi, le plus officiellement du monde, les 50% d’habitants entre Méditerranée et Jourdain qui sont considérés comme « juifs » ont tous les droits : politiques, économiques, possession du territoire et de la terre … et les 50 % qui ne le sont pas n’en ont quasiment aucun. Ils sont discriminés dans la loi, considérés comme des étrangers dans leur propre pays et souvent soumis à la « justice » militaire. Leur société a été impitoyablement fragmentée et l’occupant s’offre régulièrement contre eux des tueries impunies.
Parallèlement, les dirigeants israéliens n’ont plus aucun complexe à proclamer qu’ils sont d’extrême droite et à proférer les pires propos racistes contre les Palestiniens, les Arabes, les Noirs et même, à l’intérieur de la société juive israélienne, contre les Juifs non européens. Ils n’éprouvent pas la moindre gêne à s’afficher comme les amis indéfectibles des antisémites, que ce soit le dirigeant hongrois Viktor Orban qui a entrepris de réhabiliter le régime pro nazi de l’Amiral Horthy, ou les Chrétiens Sionistes des États-Unis pour qui les Juifs doivent disparaître s’ils ne se convertissent pas à la vraie foi.
Cette situation n’est pas un accident de l’histoire. Elle était inscrite à l’origine dans l’idéologie sioniste qui a permis la fondation de l’État d’Israël et le nettoyage ethnique accompagnant cette création.
La séparation : une idée simple et meurtrière
La fin du XIXème siècle est marquée en Europe par un véritable consensus antisémite chez les dirigeants européens. Alors que les grands empires (autrichien, russe, ottoman…) s’affaiblissent, les nationalismes naissants professent tous l’idée simpliste « un peuple = un État ». Or les Juifs sont devenus en Europe une minorité invisible, obstacle au rêve fou d’États ethniquement purs. La majorité des Juifs du monde vivent à cette époque dans un seul pays, l’empire russe, et le régime du tsar organise régulièrement contre eux des pogroms pour détourner la colère populaire.
Le sionisme qui naît à la fin du XIXème siècle proclame dès le départ que Juifs et non Juifs ne peuvent pas vivre ensemble, ni dans le pays d’origine, ni dans le futur État juif qu’il faut construire. Les sionistes partagent les rêves de pureté des nationalistes de cette époque qui seront une des causes des deux guerres mondiales.
Mais où construire cet État puisqu’il n’existe aucune région d’Europe où les Juifs forment plus de 10% de la population ? Les sionistes recherchent une « terre sans peuple pour un peuple terre » pour reprendre les mots de l’écrivain Israël Zangwill. La majorité des sionistes de cette époque sont agnostiques ou athées. Afin d’avoir l’appui des religieux, ils choisiront la Palestine pour construire l’Etat juif. Peine perdue : la religion juive est une religion messianique pour qui le « retour » en Terre Sainte est interdit avant l’arrivée du Messie. Jusqu’en 1967, la majorité des Juifs orthodoxes seront indifférents ou hostiles au sionisme.
L’idéologie sioniste
Dès le départ, les dirigeants sionistes considèrent que l’antisémitisme est inéluctable et qu’il est inutile de le combattre. Alors que la majorité des Juifs de cette époque pensent que le combat pour leur émancipation en tant que minorité opprimée passe par le combat pour l’émancipation de toute l’humanité, et s’engagent massivement dans le mouvement ouvrier, les sionistes désertent le combat contre l’antisémitisme. Pire, Herzl, le fondateur du sionisme, n’hésite pas à rencontrer les pires dirigeants antisémites de l’époque en soulignant qu’il a en commun avec eux le souhait qu’un maximum de Juifs quittent l’Europe. Pour le Bund, parti révolutionnaire juif en Europe orientale, le sionisme est le parti de la bourgeoisie
Les Juifs étaient considérés comme les parias asiatiques inassimilables de l’Europe. Le sionisme a proposé de les transformer en colons européens en Asie. Balfour, le dirigeant britannique auteur en 1917 de la fameuse déclaration Balfour promettant que la Palestine deviendrait un « foyer national juif », était un antisémite notoire, ce qui n’a pas empêché les sionistes d’utiliser cette déclaration.
Copiant une idéologie hégémonique de cette époque, le sionisme a été dès le départ colonialiste.
Mais le colonialisme sioniste est très différent des colonialismes français ou britannique. Il ne vise pas à asservir et exploiter le peuple colonisé, mais à l’expulser et le remplacer. Le sionisme a été dès le départ négationniste vis-à-vis de l’existence, des droits et de la dignité du peuple palestinien. Il a voulu en faire les Amérindiens ou les Aborigènes du Proche-Orient, « transférés » au-delà du Jourdain ou enfermés dans des réserves.
Le sionisme a prétendu être un nationalisme et même un mouvement de libération nationale. Drôle de nationalisme, basé sur le mythe que les Juifs, après 2 000 ans d’exil, retournent dans « leur » pays. En réalité, les Juifs d’aujourd’hui sont majoritairement des descendants de convertis de différentes époques et de différents lieux. Les descendants des Juifs de l’antiquité sont surtout les Palestiniens.
Le sionisme est un curieux nationalisme qui a construit une gigantesque manipulation de l’histoire, de la mémoire et des identités juives pour inventer le peuple, la langue et la terre.
Le sionisme s’est bâti contre les différentes formes de socialisme auxquelles la plupart des Juifs s’étaient ralliés et il a été très longtemps le bras armé de l’impérialisme britannique en Palestine.
La mise en place d’une société séparée
Des décennies avant la création de l’Etat d’Israël, le sionisme a fondé les structures qui ont dépossédé le peuple palestinien de son propre pays. La Banque coloniale juive, dont les fonds servent à acheter la terre à des féodaux absents pour exproprier les métayers présents est fondée en 1898.
Le KKL (Fonds National Juif), qui plante des arbres pour cacher les ruines des villages palestiniens détruits, est fondé en 1901.
La Histadrout, le syndicat sioniste, est fondé en 1920. L’article n°1 de ses statuts défend le « travail juif ». La première action d’éclat de ce syndicat a été, dès sa fondation, d’organiser un boycott des magasins arabes pour « acheter juif ». Dans cette quête d’une société séparée, les kibboutz ont été un instrument de conquête, installés dans les zones à forte population arabe et réservés aux seuls Juifs.
La Histadrout a fondé la compagnie d’autobus Egged, la compagnie de navigation Zim, la compagnie des eaux Mékorot, la banque Leumi … toutes ces entreprises étant réservées à la société juive.
La Haganah (futur armée israélienne) a été fondée en 1920, suivie de peu par l’Agence Juive chargée d’accueillir les nouveaux immigrants. Dans un pays où la grande majorité de la population était palestinienne, le sionisme a construit avec la complicité du colonisateur britannique, des années avant la création d’Israël, une société coloniale séparée.
Le nettoyage ethnique de 1948 que les Palestiniens appellent la Nakba (la catastrophe) n’est pas un accident de l’histoire. Il était prémédité et organisé de longue date. L’idée du « transfert », la déportation des Palestiniens au-delà du Jourdain, est devenue majoritaire chez les dirigeants sionistes dès les années 1920. Bien sûr, les Juifs qui sont arrivés en Palestine, souvent faute d’autre choix possible, n’étaient pas tous, loin de là, venus pour expulser les Palestiniens. Les partisans d’un Etat binational ont obtenu environ 45% des voix aux élections internes au Yichouv (Les institutions juives en Palestine mandataire) en 1944.
Mais l’idéologie sioniste, en construisant une société coloniale séparée, avait organisé et prémédité l’expulsion depuis des décennies.