Cela a d’abord constitué un outil de trollage (art de faire chier sur le Net pour se marrer et passer le temps), pratique assez répandue chez les anti-anarchistes en ligne. Mais, depuis quelque temps, c’est devenu un argument qui sort facilement lors de débats dans la « vie physique » et qui sonne comme une forme de négation du fondement historique de l’anarchisme.
Généralement, cela donne : « Tu ne peux pas dire “ni Dieu ni maître”, c’est oppressif. Tu ne peux pas obliger quelqu’un à être athée. » Or, dès cet instant, on se rend compte de l’entourloupe. Car il ne s’agit en rien d’imposer quoi que ce soit.
Explication. Lorsqu’une personne énonce « ni Dieu ni maître », c’est d’elle qu’elle parle. Si elle parlait d’une société donnée, ou de la société de ses rêves, elle dirait qu’elle la perçoit – dans le premier cas, qu’elle la veut –, dans le second – « sans Dieu et sans maître ». Référons-nous pour mieux comprendre la chose au slogan de Radio-Libertaire, « la radio sans Dieu, sans maître et sans publicité ». Ce slogan indique clairement que ses auditeurs et ses animateurs comptent bien évoluer dans un environnement radiophonique avec des caractéristiques particulières, précisément sans Dieu, sans maître et sans publicité. C’est clair, non ? C’est clair que, là, rien n’est imposé vu qu’on est pas obligé de causer dans le poste ni de l’écouter. Ça va ?
Nous serions oppressifs contre les croyantes et croyants, nous dit-on. Mais en quoi affirmer ce qui guide notre vie à des personnes croyantes serait plus oppressif que lorsqu’une personne croyante nous indique ce qui guide la sienne ? Ça va toujours ?
Lorsque vous vous démenez vaille que vaille avec cet argumentaire, votre contradicteur ne tarde pas à sortir sa botte secrète : « Hé, mais c’est même pas anarchiste ! » Ben ouais, Ni Dieu ni maître, c’était le journal de Blanqui, et Blanqui n’était pas anarchiste. Donc c’est blanquiste. Soit. C’est oublier un peu vite que l’on retrouve cette locution au temps des pirates, lors des révoltes passées, sous la monarchie ou la république naissante, etc. Et qu’elle est en filigrane des écrits de tous les penseurs de l’athéisme. Le fait que Blanqui en a fait le titre de son journal, en quoi cela rendrait cette devise inassimilable pour nous ? Dans ce cas-là, il nous faut très vite abandonner le mot « révolution », qui n’est après tout que le titre du livre programmatique de Macron ! Nous faut-il aussi renoncer au pinard au prétexte que les bourgeois remplissent leur cave de bouteilles millésimées ?
Ne soyons pas dupes. Ces attaques sont généralement le fait de gens ayant des liens soit avec des mouvements religieux, soit avec l’idée qu’un tribun gueulard ou un chef à poigne va les sauver. Pis, ce sont parfois les mêmes ! Rien de surprenant à les voir tenter d’exploser une expression aussi claire que « ni Dieu ni maître ». Après tout, cela fait plus d’un siècle qu’elle vient gratter leurs certitudes, s’y opposer, et qu’elle affirme haut et fort que l’on peut se passer de partis, d’État, de religions et autres autorités étouffantes. L’on peut même s’étonner qu’il ne soit pas davantage perçu comme fondamentalement bienveillant, notre cher slogan, de façon immédiate, spontanée.