Ces derniers temps, on entend partout qu’il est désormais obligatoire de donner son code pin en garde-à-vue. Démontage de cette rumeur que les flics ne se privent pas d’alimenter. Par le Groupe légal Paris.
Si les groupes de soutien juridique conseillent depuis longtemps de ne surtout pas se balader en manif ou en action avec son précieux mouchard dans la poche, force est de constater que c’est rarement le cas et qu’une fois entre les mains des bleus, le téléphone est vite pris d’assaut pour essayer de nous incriminer.
Depuis quelques mois, lors d’une garde à vue les flics ont pris l’habitude de nous réclamer notre code d’accès de téléphone en affirmant "c’est obligatoire", "c’est interdit de refuser", "c’est la nouvelle loi"…
Disons d’emblée que c’est de l’esbroufe totale. Pas plus qu’avant, ce refus ne peut à lui seul vous être reproché. Au sens de la loi, cela ne constitue pas un délit en tant que tel.
Mais ça mérite de s’y pencher en profondeur.
Déjà, la réponse immédiate, plus que jamais nécessaire en pareil cas, coule de source : "j’utilise mon droit à garder le silence".
C’est un droit. Obliger quelqu’un à parler va à l’encontre du principe de ne pas "s’auto-incriminer". Et le contenu d’un téléphone pouvant incriminer d’autres personnes, garder le silence s’impose d’autant plus.
La nouveauté, c’est désormais que les flics mettent la même pression sur les interpellé-e-s que pour la prise d’empreintes digitales et la photo du visage ("signalétique") ainsi que pour la prise de salive pour piquer l’ADN ("prélèvement biologique"). À cette différence que les refus de procéder à ces deux injonctions sont bien des délits prévus par le Code Pénal.
Encore une fois, ce n’est pas le cas du refus de fournir son code PIN en garde à vue !
Même chose, au passage, pour le déverrouillage tactile par "glissement" sur un smartphone : les flics vous mettront la même pression (d’où le réflexe à avoir absolument de l’éteindre aussitôt dès l’interpellation).
Les flics, une "autorité judiciaire ?"
Si les flics se la pètent avec cette « obligation » inventée, c’est grâce à une décision du Conseil Constitutionnel du 30 mars 2018. Il s’agissait d’une QPC : en jargon juridique c’est une procédure qui permet à n’importe quel justiciable (avec un bon avocat !), de contester devant le Conseil Constitutionnel la conformité d’un article de loi avec la constitution. En l’occurrence, le point de droit contesté était l’article 434-15-2 du code pénal :
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 270 000 € d’amende le fait, pour quiconque ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, de refuser de remettre ladite convention aux autorités judiciaires ou de la mettre en œuvre, sur les réquisitions de ces autorités [...]. « Si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention aurait permis d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit ou d’en limiter les effets, la peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et à 450 000 € d’amende. »
Le principal argument saute aux yeux. Il est question de l’obligation de remettre la "convention de chiffrement […] aux autorités judiciaires". Or, un flic, même "officier de police judiciaire" (OPJ), n’est pas une "autorité judiciaire".
L’affaire jugée en l’espèce a été déferrée au parquet, c’est à dire qu’elle a suivi son cours lors d’une instruction judiciaire. Passons sur le fait qu’un procureur, qui est toujours nommé par le pouvoir politique dans notre charmant pays, n’est pas considéré comme une "autorité judiciaire" à part entière.
Seule une affaire qui a été traitée par un juge d’instruction pourrait s’en prévaloir.
En garde à vue, en tous cas, on en est très loin !
Le Conseil Constitutionnel l’a bien rappelé dans sa décision (point 7) : l’article attaqué est proportionné uniquement si ce "moyen de cryptologie est susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit et uniquement si la demande émane d’une autorité judiciaire"…
Certes, on serait alors en faute si l’on refuse de filer son code au procureur ou à un juge d’instruction. Or, l’instruction judiciaire doit avoir été menée pour que d’éventuelles preuves potentiellement stockées sur le téléphone soient jugées nécessaires.
Conclusion : devant les flics, pas question de craquer. Même si ce refus nous vaudra sans doute, comme quand on refuse les empreintes et l’ADN, des traitements de faveur de la part des flics dont ils ont le secret. Attendons-nous aussi à ce que les procureurs les couvrent, comme récemment à Nancy, en renvoyant des camarades pour « refus de donner le code de son téléphone portable » (dépêche AFP / Le Figaro, 6/05/2018).
Sournoiseries juridiques
Le Conseil Constitutionnel a donc confirmé la légalité de cet article au regard du droit d’une personne de se taire pour ne pas s’auto-accuser. En bref, pour les juges du Conseil Constitutionnel, cette obligation est "proportionnée" au but recherché. Mais en aucun cas il n’a été débattu, dans la décision rendue, du refus de coopérer, dès la garde à vue, en donnant la clé de son téléphone.
Accéder à l’intégralité des données contenues sur un appareil où sont stockées de multiples traces personnelles et de correspondances privées, sans distinctions, ne relève pas du même degré d’intrusion que des documents précis dont une instruction a pu s’assurer qu’ils étaient cruciaux à la manifestation de la vérité. Où est donc la "proportionnalité" ? Cette irruption énorme dans l’intimité d’une personne, et de ses proches, n’a pas été du tout discutée par le Conseil Constit.
L’extrait le plus important de la décision est celui-ci (point 8) :
"Les dispositions critiquées (...) n’ont pas pour objet d’obtenir des aveux de sa part et n’emportent ni reconnaissance ni présomption de culpabilité mais permettent seulement le déchiffrement des données cryptées. En outre, l’enquête ou l’instruction doivent avoir permis d’identifier l’existence des données traitées par le moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit. Enfin, ces données, déjà fixées sur un support, existent indépendamment de la volonté de la personne suspectée."
La dernière phrase est sournoise : puisque ces données sont "déjà fixées sur le support indépendamment de la volonté de la personne", il n’y a pas lieu de considérer que ce serait pousser l’individu à parler… Circulez, rien à voir… Exactement comme on peut prélever par "surprise" l’ADN d’une personne dès la garde à vue : c’est malheureusement complètement légal (article 706-54 du code pénal). Il est ainsi permis de recueillir, auprès d’un simple suspect placé en GAV, "du matériel génétique qui se serait naturellement détaché du corps de l’intéressé". Méfiance, donc. Gare aux tasses à café ou aux couverts en plastique qui nous sont offerts généreusement par les flics dans les comicos…
Il faut souligner enfin que l’interprétation orientée qui a été faite de cette décision du Conseil Constitutionnel revient, on s’y attendait un peu, à la presse. En premier lieu, Le Monde, dans un papier du 16 avril signé Jean-Baptiste Jacquin [3], dont le titre à lui seul est orienté : « En garde à vue, le droit au silence s’arrête au code de son téléphone ». En charge des sujets "Justice et libertés publiques", ce correspondant a sans doute été "alerté", comme il est dit couramment, par une source "bien informée" qui avait intérêt à lui suggérer de monter cette affaire en épingle. Et de suggérer dans la tête des gardé.e.s à vue que, désormais, il faut coopérer sans sourciller en filant son code PIN.
L’affaire de cette QPC – une personne accusée de trafic de stups – prend son origine dans le refus de l’interpellé de donner son code PIN alors qu’il était placé en garde à vue (cf le commentaire [PDF] du Conseil Constitutionnel diffusé avec la décision). D’où l’interprétation orientée qui s’est en suivie, et la réaction en chaîne traditionnelle qui a enflammé le reste des journaleux (une dizaine de dépêches et d’articles, du Figaro au Parisien, en passant par France info, Huffingtonpost, etc., qui ont repris la fable sans se poser plus de questions). Une seule exception : le site d’infos Numerama, qui a démenti cette unanimité dans un papier très documenté paru le 18 avril.
En garde-à-vue il n’y a aucune obligation légale de donner son code pin, mais la rumeur donne du poids aux pressions des flics. Ne leur donnez pas et diffusez le message !
Groupe légal Paris
—
Rappel de la ligne (ouverte par intermittence) : 07.53.13.43.05
Hors urgence, écrire à stoprepression(AT)riseup.net
Conseils et stratégies : brochure « Sortez couvert-e-s »
Pour alimenter la caisse collective : tinyurl.com/stoprep2
P.-S.
Rappel important : l’article du Code Pénal incriminé a été introduit en 2001 dans la loi Sécurité Quotidienne que le gouvernement PS a fait adopter en urgence après les attentats du 11 septembre (loi adoptée le 15 novembre 2001). Décliner dans le droit commun des mesures d’exception justifiées par la prétendue menace terroriste, voilà le projet politique mis en œuvre aujourd’hui. Autant ne pas y participer dès une simple comparution en garde à vue !
https://paris-luttes.info/code-pin-en-garde-a-vue-decryptage-10696