Bannir des mots ampute la pensée.

Interdire aux agences officielles travaillant sur la santé d’employer certains termes, c’est travestir le réel que ces agences ont pour mission d’analyser afin de pouvoir y réagir. C’est la décision que le gouvernement des puissants États-Unis d’Amérique a pris pour le CDC (le très important centre de contrôle des maladies). Comment ne pas penser à 1984 et à sa novlangue ?
Transgender (transgenre) est désormais un mot interdit. « vulnérable », « fœtus » et « diversité » doivent disparaître, ainsi que « entitlement » (c’est-à-dire « droit »). Cette décision politique surréaliste aura pour conséquence l’invisibilisation de nombreuses problématiques liées à la santé publique, et évidemment les problèmes que rencontrent les plus… vulnérables.
Non seulement un problème n’est pas réglé simplement parce qu’il est invisible, mais il peut gravement empirer s’il n’y a plus de moyen de simplement « décrire » ce que vivent les gens concernés.

« Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. » (Ludwig Wittgenstein)

On se souvient que le même gouvernement a récemment effacé le « changement climatique » de la réalité à laquelle il entend réagir dans sa politique.
L’agenda politique derrière de telles mesures est transparent ; l’interdiction du mot « fœtus » obligera probablement à parler « d’enfant » en parfaite adéquation avec le vocabulaire des opposants au droit à l’avortement.

Pire encore, peut-être, le travail de ces agences risque de devenir impossible, voire contre-productif et donc dangereux pour la société puisque cette administration a décidé d’éliminer les termes « evidence based » (fondé sur les preuves) et « science based » (fondé sur la science) qui sont les marqueurs d’un travail répondant aux exigences de la méthode la plus rigoureuse à notre disposition.
L’obscurantisme abuse du pouvoir chaque fois qu’il en a l’occasion, c’est même l’un des principes de l’obscurantisme. Or, l’obscurantisme ne meurt jamais. Nous aurions tort de nous croire à l’abri.

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Addendum

La direction du CDC veut tempérer l’affaire et précise que les mots “bannis” seraient en fait seulement déconseillés dans les dossiers visant à obtenir des subventions de la part des pouvoirs publiques. Cela n’est pas de nature à changer la lecture des faits, puisqu’il est bien entendu que c’est par ce type de pression, et seulement par ce type de pression que le pouvoir politique d’une république peut in fine éliminer un vocabulaire qui dérange sa ligne politique. Cette communication de crise face au tollé provoqué par l’information peut être jugée rassurante, mais on constatera que le fond de l’affaire n’est pas nié, à savoir : la disparition de certains mots comme pré-requis au financement des actions de la principale agence de santé des USA.