Journaliste et historien, auteur de nombreux ouvrages consacrés au Proche-Orient, Dominique Vidal s’élève, contre les accusations d’antisémitisme qui frappent tous les critiques d’Israël dans un nouveau livre : "Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron
Si l’on en croit Emmanuel Macron, Manuel Valls ou encore Anne Hidalgo, toute critique d’Israël relèverait de l’antisémitisme. Cela ne masque-t-il pas un autre discours ?
Dominique Vidal : Sans ignorer Manuel Valls et Anne Hidalgo, qui font du zèle, ce qui me paraît le plus grave, c’est l’initiative prise le 16 juillet 2017 par le président de la République. Non content d’inviter – pour la première fois – le Premier ministre israélien, incarnation de l’ultranationalisme, à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv et de lui donner du « cher Bibi », il a repris à son compte – pour la première fois aussi – l’amalgame de la propagande israélienne entre antisionisme et antisémitisme. C’est une faute politique, car on ne saurait transformer une opinion en délit. Les sionistes prétendent interdire l’antisionisme. Les communistes exigent-ils l’interdiction de l’anticommunisme, les gaullistes celle de l’antigaullisme ou les ultralibéraux celle de l’altermondialisme ?
Cette faute politique se double d’une erreur historique. Jusqu’en 1939, l’écrasante majorité des Juifs rejetait le projet sioniste. Et si, ensuite, le génocide nazi a poussé nombreux d’entre eux vers la Palestine, la majorité ne vit toujours pas en Israël. La majorité des Juifs du monde est-elle antisémite ?
Cette manœuvre est couse de fil blanc : il s’agit pour Benyamin Netanyahou de faire taire les critiques de sa politique. De fait, il n’a jamais été aussi isolé dans l’opinion mondiale.
Les États-Unis viennent de reconnaître Jérusalem « capitale d’Israël ». Est-ce un tournant dans la politique états-unienne ? Quelles peuvent en être les conséquences ?
Dominique Vidal : Non seulement cette décision viole les résolutions de l’ONU, mais elle tourne le dos aux positions affichées, de longue date, par leur diplomatie : contre la colonisation, pour deux États ayant chacun leur capitale à Jérusalem. Ce parjure sème le doute sur la parole des États-Unis et les disqualifie comme médiateurs.
Malgré l’isolement de Trump à l’ONU, cette provocation risque d’avoir de graves conséquences. Car elle encourage la radicalisation de la droite et de l’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv qui, tout en accélérant la colonisation, veulent désormais annexer le reste de la Palestine. La Knesset a adopté une loi en ce sens le 6 février dernier. Une autre permettra l’annexion des cinq blocs de colonies situés à l’est de Jérusalem, « bétonnant » l’hégémonie juive dans la ville et interdisant la naissance d’une capitale palestinienne. Sans parler de la nouvelle loi « verrouillant » Jérusalem. Même le Likoud, jusqu’ici plus prudent, exige l’annexion de la Cisjordanie.
Au-delà, le président américain pourrait porter un coup mortel à la solution des deux États, au profit d’un seul État où les Palestiniens n’auraient aucun droit – un apartheid à l’israélienne...
La politique française au Proche-Orient a-t-elle changé depuis l’accession à la présidence d’Emmanuel Macron ?
Dominique Vidal : Franchement, la politique proche-orientale du président de la République donne le tournis. Officiellement, il se prononce pour la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël avec Jérusalem-Est pour capitale. Mais il refuse de reconnaître cet État pourtant entré à l’ONU et à la Cour pénale internationale. En revanche, il semble être intervenu, fin 2017, en faveur de la libération de Salah Hamouri – il était temps !
Mais il n’y a pas que la situation en Palestine. La France d’Emmanuel Macron est absente du conflit syrien comme du chaos libyen. Elle se pose en libératrice du Premier ministre libanais, mais se tait devant les crimes perpétrés par l’Arabie saoudite et ses alliés au Yémen… À quand une grande initiative pour faire baisser la tension entre Ryad et Téhéran et empêcher qu’elle ne débouche sur une guerre régionale ?
Revenons sur la campagne menée par Boycott-Désinvestissement-sanction (BDS).
Dominique Vidal : Sous la pression d’Israël et de ses inconditionnels français, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient mis le doigt dans l’engrenage de la criminalisation. Mais sur des milliers d’action, seules quelques-unes avaient été jugées.
Car ce n’est pas si simple. Il n’existe pas de loi réprimant le boycott. Et le jugement de la Cour de cassation de 2015 pourrait être « retoqué » par la Cour européenne des droits de l’Homme. Federico Mogherini, la ministre européenne des Affaires étrangères, a précisé : « L’Union européenne se positionne fermement pour la protection de la liberté d’expression et de la liberté d’association, en cohérence avec sa Charte des droits fondamentaux, qui est applicable au territoire des États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS. »
C’est une question de liberté, mais aussi d’efficacité dans la solidarité. Car il y a le boycott militant, mais aussi institutionnel : quand le Fonds de pension pour l’avenir de Norvège, la Danske Bank, la société de sécurité G4S ou encore Veolia et Orange se retirent des Territoires occupés, voire d’Israël, on comprend l’inquiétude des dirigeants israéliens. En qualifiant BDS de « menace stratégique majeure », Netanyahou nous montre le chemin. La meilleure réponse à la radicalisation de Tel-Aviv et de Washington, c’est BDS !