AUTONOMIE OUVRIÈRE ET SYNDICAT
Extrait de : Qu’est-ce que l’Autonomie Ouvrière ? (1985)
Le syndicat, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est plus l’organisation des travailleurs en lutte contre l’exploitation. Dans le monde contemporain, il est devenu la grande institution de l’encadrement des travailleurs dans la dynamique du capitalisme.
Il s’agit d’une fonction structurelle qui ne peut être confondue avec le fait que certaines directions syndicales soient plus ou moins combatives, ou plus ou moins “pelegasées”.(1)
Quand le capitalisme est entré dans sa phase monopoliste, la planification de l’économie est devenue une exigence pratique.
Les capitalistes ont créé leurs organes de planification, des aspects de la production et de la circulation des marchandises. Vint ensuite la nécessité de planifier la répartition de la main-d’œuvre, et son niveau de salaire. Ces organismes sont les syndicats d’aujourd’hui.
Le syndicat est souvent compris comme l’organisation des travailleurs pour la défense de leurs salaires. Alors que les classes capitalistes cherchent à augmenter le taux d’exploitation des travailleurs, les syndicats cherchent souvent à le réduire avec des augmentations de salaire.
Lorsque cela se produit nous pouvons dire qu’en terme de plus-value absolue (augmentation des heures de travail, réduction des salaires) le syndicat est en train de défendre les travailleurs.
Mais en termes de plus-value relative (modernisation des machines, augmentation de l’intensité du travail), les syndicats finissent toujours par céder aux intérêts du capital.
Si la reproduction du capital est basée sur l’augmentation permanente de la productivité, sur le passage constant de la plus-value absolue vers la plus-value relative, nous savons que les objectifs des syndicats coïncident avec ceux du capitalisme.
La célèbre Négociation Collective du travail * est l’un des aspects les plus importants de l’intégration du syndicat dans le capitalisme. Ce que ces contrats ont de neuf ce n’est pas à proprement parlé les éventuelles augmentations de salaires, mais le fait que ces hausses se produisent à la même époque de l’année et constituent un compromis du syndicat pour ne pas lutter pendant une période de temps donné.
En ce sens, la négociation collective du travail est un élément de la planification de la force de travail, qui sert peu la lutte du prolétariat contre l’exploitation.
Dans le capitalisme qui se développe sous l’influence nord-américaine les syndicats font totalement partie de la lutte du secteur II de la production (biens de consommation) contre le secteur I (matières premières, moyens de production et les biens d’équipement).
Les capitalistes du secteur de la consommation ont tout intérêt à l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs, car ils ont besoin de l’expansion permanente du marché de la consommation privée.
Ce sont les capitalistes liés au secteur I qui souhaitent absolument baisser les salaires. Il est logique, de manière générale, que tous les capitalistes sans exception aient comme objectif la diminution de la valeur de la force de travail.
Cependant, nous pouvons dire qu’il y a une divergence d’intérêts entre les capitalistes qui appartiennent aux deux secteurs. Ces divergences ont tendance à s’accentuer en temps de crise économique et les syndicats se trouvent toujours du coté des entreprises du secteur II.
Nous pouvons trouver un exemple de cela en Allemagne en 1933 lorsque les entreprises du secteur I et la technocratie qui lui était lié (National-socialiste) prennent le pouvoir absolu contre les entreprises produisant des biens de consommation et contre les syndicats contrôlés par les sociaux-démocrates.
Cette divergence entre les secteurs de la classe dominante doit être vue de manière dynamique car, à partir d’un certain niveau, le secteur I a des intérêts identiques à celui du secteur II, une fois que celui-ci constitue un marché de ses produits.
Le point important dans cette séparation, simplifiée, c’est de nous permettre de comprendre de quelle manière le syndicat réalise les intérêts du capitalisme.
Dans les pays capitalistes d’État tels que la Chine, l’Union soviétique, la Pologne, les syndicats sont totalement différents. Intégrés à l’appareil d’État, leurs fonctions sont simplement répressives.
Dans les pays développés qui composent le dénommé monde occidental, l’importance de l’industrie orientée vers la consommation privée (nourriture, vêtements, appareils électroménagers, etc.) détermine la nécessité d’une réévaluation constante des salaires et il est nécessaire que les désaccords et les mouvements des travailleurs ne dépassent pas les limites consenties par les capitalistes.
Ce sont les syndicats qui cherchent à contrôler les travailleurs, en canalisant leurs luttes pour qu’elles ne soient rien de plus que la périodique expansion du marché de la consommation privée.
Au Brésil, où l’hétérogénéité de la main d’œuvre est très forte, le faible niveau de syndicalisation et l’économie ne sont pas axés sur le développement d’un important marché de consommation privé. Le syndicat a plus fonctionné comme un organisme de rétention des luttes et éventuellement d’assistance.
Ce n’est que lorsque la classe ouvrière lutte directement ou hors du syndicat qu’elle crée de nouvelles organisations comme une caisse de grève, une commission d’usine, des comités de grève, ou ce type de structures que de nombreux dirigeants syndicaux les qualifient démagogiquement de parallèles.
Cependant, il ne peut y avoir aucun parallélisme entre des organisations qui s’opposent.
Syndicat vertical, bureaucratisé, organisé par catégorie professionnelle, liée à l’État, "authentique" ou pas (les adjectifs en soi ne définissent rien), et les commissions d’usine fondées sur l’action directe, ne suivent pas des chemins parallèles. Il ne suivent pas non plus les mêmes objectifs.
Il ne peut y avoir parallélisme qu’entre des structures similaires. Dans le cas contraire, ce qui existe c’est de l’antagonisme, le développement de l’une implique l’assimilation /destruction de l’autre.
Nombreux sont ceux qui défendent la subordination des commissions d’usine au syndicat. Mais au Brésil cela signifie les subordonner directement à l’État, puisque le syndicat lui est lié.
D’autre part, il est utopique de croire que les lois et décrets peuvent assurer la survie des commissions d’usine combatives. Une commission doit avoir la reconnaissance des travailleurs qui l’ont élu. C’est de là que vient sa légitimité et sa force.
Une commission qui demande la reconnaissance de l’État ne peut être que privée de base ouvrière. On ne demande pas de légitimité à l’ennemi.
L’ennemi se combat. D’autre part, il ne sert à rien de lutter pour un syndicat dégagé de L’État si sa forme d’organisation reste hiérarchique et bureaucratique. Si tous les travailleurs restent coupés des processus de prise de décision. S’il n’y a pas de mécanismes de contrôle direct des travailleurs sur l’action de ses représentants élus.
Dans les pays développés les syndicats sont libres dans le sens où ils ne sont pas liés juridiquement à l’État. Mais ce n’est pas pour autant que ces syndicats défendent les intérêts réels des travailleurs.
Le rôle intégrateur des syndicats, que je viens de souligner, se reflète dans leur structuration interne. Avec leurs présidents, directeurs, secrétaires, trésoriers, ils reproduisent la même forme d’organisation existante dans toute entreprise capitaliste.
Bien que les dirigeants syndicaux soient des ouvriers à l’origine, ils finissent par défendre les intérêts de l’organisation au détriment des intérêts de la classe ouvrière, parce qu’ils se trouvent éloignés de la vie quotidienne de l’usine.
Les fonctionnaires syndicaux ne sont plus exploités par les capitalistes. Ils ne sont plus menacés par le chômage. Ils s’asseyent dans leurs bureaux à des postes relativement stables. Ils sont préoccupés par bonne marche de l’organisation qu’ils dirigent et contrôlent.
Dans les pays industrialisés, le syndicat s’est transformé en patron. En République Fédérale Allemande, c’était pratiquement la totalité de l’appareil syndical. En 1974, la fédération syndicale a créé une société Holding pour contrôler la plupart des sociétés qu’elle possède.
Les actionnaires des entreprises sont les syndicats eux-mêmes et ils contrôlent également les coopératives de consommation. Ses administrateurs sont nommés directement par les dirigeants syndicaux et ne sont pas des ouvriers. Au contraire, ce sont des technocrates.
Comme groupe économique, ces entreprises employaient en 1982, 40.000 salariés. Les dividendes et intérêts perçus en 1977 ont dépassé les 5,4 milliards de marks (équivalant à l’époque à 2,2 milliards $), et ses actifs étaient de 25 milliards de dollars.
En Israël, la confédération syndicale est le deuxième plus grand employeur du pays, L’État étant le premier. En 1977, les exportations des entreprises qui étaient la propriété des syndicats représentaient environ 50% des exportations totales d’Israël.
Aux États-Unis, en 1979, les syndicats détenaient 13,7% de des Holliday Inn ; 13,6% de K Mart ; 12,6% de Delta Air Lines ; 11,4% de J. C. Penney. Cela a été possible grâce à l’utilisation des fonds de pension de retraite des salariés.
Le syndicat minier United Mine Workers of America détient la National Bank of Washington. En outre, il existe de nombreux cas où le syndicat impose des sacrifices salariaux aux travailleurs de l’industrie avec des problèmes financiers sous la menace de fermeture et de licenciements collectifs.
Il y eu un cas curieux avec le syndicat de la métallurgie Independent Steelworkers Union, qui souhaitait acheter une des installations sidérurgiques de l’entreprise National Steel Corp. Ses 9000 employés se sont engagés en Mars 1983 à accepter une réduction de 32% des coûts salariaux. Cela aurait signifié une économie de 120 millions de dollars par année si la transaction était faite.
Il existe des exemples similaires dans de nombreux pays européens, mais je pense que ceux qui sont mentionnés sont suffisants pour montrer le mécanisme par lequel le syndicat se transforme en patron.
En réalité, l’absence de grèves et de combats importants dans les pays développés au cours des dernières années a permis aux syndicats d’utiliser l’argent perçu pour renforcer leur rôle économique dans le capitalisme.
Le capitalisme des syndicats résulte de l’utilisation par les dirigeants syndicaux de sommes extorquées aux travailleurs pour développer la propriété des syndicats.
Dans aucun de ces cas il n’est question de processus autogestionnaire ou même de participation à la gestion de ces entreprises. Il ne s’agit que d’appropriation du capital par la bureaucratie syndicale, où le prolétariat n’a aucune participation.
Dans les pays moins industrialisés, où le marché du travail est plus hétérogène, le syndicat n’a pas de pouvoir au niveau national.
Cependant, dans les secteurs industriels où la force de travail est plus homogène et le marché du travail réglementé, il se développe un processus identique à celui des pays développés.
Le cas du Venezuela, pays exportateur de pétrole, en est une bonne illustration. La plus grande banque privée - la Banco de los Trabajadores - est principalement contrôlée par la fédération syndicale CTV. Le gouvernement ne possède que 30% de cette banque. (1)
Là où se développe le capitalisme des syndicats se développe de nouvelles formes de relation entre le syndicat et la classe ouvrière.
Comme nous l’avons déjà vu, les syndicats cherchent traditionnellement à encadrer les mouvements et à les orienter avec comme l’objectif de leur enlever tout aspect révolutionnaire. D’autre part, ils utilisent les travailleurs comme moyen de pression auprès du patronat, en ayant en vue de renforcer le poids et l’influence des syndicats.
Mais dans la mesure ou ils se transforment en propriétaires, d’importantes modifications se produisent :
1) Les syndicats eux-mêmes deviennent des patrons d’une main-d’œuvre importante. En temps de crise, le syndicat -patron, comme tout autre patron capitaliste, tend à réduire les salaires et à licencier les travailleurs.
2) En se transformant en propriétaires, les syndicats obtiennent des éléments de pression auprès des autres capitalistes, leur permettant la dé-mobilisation des travailleurs.
Mais le syndicat ce n’est pas seulement le sommet de la direction mais aussi sa base. Le problème des dirigeants c’est que bien souvent ils sont incapables de contrôler “les excès” de la base. De plus, de manière générale le mouvement ouvrier est toujours une menace pour les bureaucraties syndicales, parce que rien ne garantit que son encadrement puisse être un frein véritable à l’expansion révolutionnaire d’un mouvement.
En ce sens, ils cherchent à utiliser d’autres moyens de pression sur le patronat. La force économique que contrôle les syndicats leur permet cela.
Dans les confrontations avec les capitalistes privés, ce n’est plus la grève qui est utilisée comme arme, mais la manœuvre financière et le boycott économique permis par le montant du capital investi dont ils disposent.
Ces syndicats affrontent maintenant le patronat non sur le terrain des exploités mais à l’intérieur du processus de la relation inter-capitaliste.
En résumé, les syndicats aujourd’hui sont des organes de gestion capitaliste qui organisent et planifient la force de travail. Plus haut est le degré d’homogénéité atteint par la classe ouvrière, plus est efficace cette activité.
Le syndicat exprime et reproduit l’aspect de la pratique ouvrière intégrée dans le capitalisme, organisé par lui. Les organisations qui découlent de luttes autonomes expriment leur pratique anti-capitaliste, et son auto-organisation.
L’unité du prolétariat ne résulte pas de la discipline d’usine, de l’organisation de la classe ouvrière par le mécanisme de la production capitaliste. Cela ne peut qu’encourager la soumission et la division de la classe, parce qu’elle l’organise comme une extension de la machine, instrument vivant de la technologie qui la domine.
L’unité révolutionnaire du prolétariat résulte de la lutte collective contre cette réalité.
NOTES
* Contratação Coletiva do Trabalho (CTT)
(1) Nous traduisons littéralement d’après et créons : Vient de “Pelego” : Le terme a été popularisé dans les années 1930 au Brésil . Dirigeant syndical - corporatiste proche du gouvernement Getúlio Vargas - est passé dans le langage courant comme traître et allié du gouvernement et des patrons .
(2) (Les données relatives au capitalisme des syndicats ont été prises à partir d’un texte photocopié par un auteur portugais João Bernardo. Vous pouvez le trouver à la ( biblioteca de Pós-Graduação da PUC/SP e na biblioteca da Fundação Getúlio Vargas.)
SOURCE
http://vosstanie.blogspot.com/2016/03/autonomie-ouvriere-et-syndicat-10.html