Les adeptes des réseaux sociaux n’ont pu passer à côté. Ce sont des petites vidéos qui font le buzz avec une apparence très progressiste, féministe, pro-LGBT, et soutien de mouvements sociaux et écolos.
Sur la page Facebook d’AJ+, on peut lire : « média inclusif qui s’adresse aux générations connectées et ouvertes sur le monde. Éveillé.e.s. Impliqué.e.s. Créatif.ve.s ». Écriture inclusive en prime.
Or AJ+ est en fait une émanation d’Al Jazeera, la chaîne de télévision financée par le Qatar.
Lancée en décembre 2017 en France, à destination des 18-35 ans, elle est de plus en plus suivie sur les réseaux sociaux, même si elle n’a pas encore le succès de sa grande soeur AJ+ en anglais, qui a déjà 11 millions de fans sur Facebook.
La directrice générale du groupe AJ+, Dima Khatib, revendique pour AJ+ « le plus fort taux d’interaction de tout le marché français », c’est-à-dire que ses vidéos sont les plus partagées, commentées, likées. Le maître mot, c’est que tout vient de l’audience.
Y compris la décision de répondre ou non aux questions de Charlie : la directrice a lancé un sondage auprès de ses followers pour leur demander s’il fallait ou non nous répondre...
Que peut-on voir sur AJ+ ?
La chaîne drague souvent la gauche communautariste.
On trouve une vidéo sur « l’appropriation culturelle », ce concept qui dénonce le fait que des Blancs puissent porter des tresses ou des dreadlocks, censées être le propre de personnes noires.
Quand ils parlent de féminisme, c’est pour fustiger le féminisme universaliste, qu’ils qualifient de « féminisme blanc » et « raciste ». Avec force interviews de signataires des Indigènes de la République, comme la féministe Christine Delphy.
« Je suis fière de casser le système Nord-Sud, qui fait que c’est seulement Londres, Paris, Washington qui ont le monopole de l’information, assure Dima Khatib. On vous offre un autre modèle, notre vision du monde est non impérialiste, non colonialiste. »
Le Qatar a trouvé là un outil de soft power très efficace.
Pour Damien Saverot, doctorant à l’École normale supérieure, « AJ+ surfe sur les questions habituelles de la gauche française. Si la ligne éditoriale était proche des valeurs prônées au Qatar, ça ne marcherait pas du tout, c’est la clé du soft power. Leur stratégie est de souligner tout ce qui ne va pas dans les sociétés libérales et démocratiques ».
Ainsi, on peut voir sur AJ+ des vidéos dénonçant les discriminations à l’encontre des LGBT. On en oublierait presque qu’au Qatar l’homosexualité est punie de prison et de coups de fouet. Un paradoxe ?
La directrice d’AJ+ s’offusque : « Je devrais être applaudie pour parler des LGBT sur AJ+. Des collègues m’ont reproché de le faire, ils m’ont dit : "Tu as bousillé l’image d’Al Jazeera." » Sauf que ce type de vidéo ne se trouve pas dans toutes les chaînes du groupe.
« Les questions LGBT intéressent-elles mon audience arabe ? » s’interroge benoîtement Dima Khatib... En effet. Sur Al Jazeera en arabe, un éditorialiste a qualifié l’homosexualité de « signe de la décadence occidentale » à la suite de la tuerie d’Orlando, aux États-Unis. Il est vrai que là, le but n’est pas de séduire la gauche...
Publi-reportage
Jusqu’ici, la webtélé d’Al Jazeera, AJ+ (lire p. 4), avait soigneusement évité d’évoquer directement le Qatar. Jusqu’à une vidéo publiée il y a deux semaines sur la condition des ouvriers qui construisent les stades pour la prochaine Coupe du monde.
Une « ?enquête ? » qui s’avère être un beau modèle de propagande.
Après un début qui semble impartial, la deuxième partie devient une ode aux rares mesures mises en place pour les travailleurs, et se termine sur une improbable scène ou des ouvriers dansent au bord de l’eau... Rien évidemment sur le dernier rapport d’Amnesty, qui souligne que plusieurs ouvriers n’ont pas été payés depuis plusieurs mois, ni sur le nombre de morts sur les chantiers.