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★ L’Anarchisme israélien (interview) Être jeune, homo et radical sur la Terre Promise

posté le 22/07/18 par Aaron Lakoff Mots-clés  réflexion / analyse  genre / sexualité 

Aaron Lakoff[1] est membre de l’International Solidarity Movement et journaliste pour la radio CKUT de Montréal. Il voyage actuellement et travaille dans toute la Palestine. Pour voir ces précédents témoignages et ses photos : http://aaron.resist.ca

Yossi est un jeune résidant de Jérusalem et un membre du Mouvement International de Solidarité (ISM).Il fait partie de nombreux mouvements sociaux en Israel et en Palestine, y compris celui des Anarchistes Contre le Mur et de Black Laundry, un groupe gay radical. Yossi travaille actuellement à l’Alternative Information Center (Centre Alternatif de l’Information - AIC).Il nous parle de l’Anarchisme en Israel, de ses liens avec la lutte palestinienne, et de la culture anarchiste radicale et de la culture gay.

Aaron : Pouvez-vous me parler du mouvement Anarchiste en Israel ?

- 


Yossi
 : Bien, l’anarchisme en Israel, ou on peut dire en Palestine, n’a jamais été un grand mouvement ou un mouvement populaire. C’est parce que le Sionisme était un mouvement nationaliste, et la plupart des réfugiés qui sont venus ici croyaient dans le Nationalisme et dans le Sionisme, et ils ont soutenu l’idée d’un Etat Juif. Et ils ont choisi de venir ici et pas dans un autre endroit. Ils ont choisi de venir en Palestine et d’y établir l’Etat Juif. Donc, l’Anarchisme leur était très étrange - il ne faisait pas partie de leur ordre du jour. Bien qu’il y ait eu beaucoup de socialistes qui soient venus ici, ils étaient en même temps socialistes et nationalistes . Ils n’essayaient pas de surmonter les visions nationalistes du Socialisme. Donc pour des raisons historiques, l’Anarchisme était insignifiant ici.

Dans la culture palestinienne ou arabe, l’anarchisme n’est pas non plus bien connu. Ce n’est pas un courant de pensée populaire. Il n’y a aucun philosophe anarchiste dans la culture arabe.

Aussi, pour ces raisons, nous n’avons pas de contexte historique depuis le 19ème siècle, ou même depuis le milieu du 20ème siècle. Les premiers anarchistes qui sont venus ici en Israel sont repartis vers l’Europe quand ils ont compris qu’Israel n’était pas le bon endroit pour eux.

Certains anarchistes sont nés dans des familles sionistes et ont choisi l’anarchisme comme idéologie, mais encore une fois, c’étaient de tous petits groupes.

Dans les années 60, il y en a eu un peu plus en raison du mouvement étudiant en Europe, et les gens ont été influencés par toutes les révolutions à l’extérieur de la Palestine et d’Israel. Seulement à la fin des années 60 et au début des années 70, on a pu voir de plus en plus de groupes anarchistes, mais la plupart du temps ils venaient des mêmes milieux.

Dans les années 80, le mouvement s’est développé en raison du mouvement punk. Les fans de Punk sont entrés dans le mouvement anarchiste. Le mouvement pour les droits des animaux était vraiment important ici et il l’est toujours et au début, c’était très anarchiste. Tout ceci s’est produit dans les années 80-90. On a commencé à avoir de plus en plus de livres et de brochures sur l’Anarchisme dans les années 90.

A la fin des années 90, beaucoup de gens sont devenus anarchistes en raison de la vague anti-globalisation qui balayait le monde, et c’est aussi venu jusqu’en Israel. Jusqu’au début de l’Intifada, il y avait beaucoup de groupes qui étaient anarchistes, affiliés anarchistes, ou non-hiérarchiques.

Aaron : Pour revenir à 1948, vous avez mentionné que des Anarchistes êtes venus en Israel et avaient trouvé que ce n’était pas un endroit pour eux. Mais si nous regardons à l’époque d’Emma Goldman, juste avant 1948, il y avait de grands mouvements Anarchistes Juifs en Europe et aux Etats-Unis.N’est-il pas étonnant qu’aucun d’eux ait réussi à pénétrer en Israel ?

Yossi : Ok, le mouvement Anarchiste détestait le mouvement Sioniste. Il n’y avait pas que des Anarchistes - il y avait aussi des Communistes. Beaucoup de communistes sont venus ici et ont découvert que tous ces slogans socialistes étaient réellement socialistes seulement pour les Juifs. Il y avait tellement de campagnes racistes. L’une d’elles était Hebrew Labour (Travaillistes Hébreu) : "To make capitalist Jews take all the Jewish labour" (Ndt : Pour faire des Capitalistes, Juifs prenez tout le travail Juif) et c’était la plus grande campagne du mouvement sioniste en Palestine.

Les gens sont venus ici et ont constaté que leurs visions communistes n’avaient rien à voir avec la politique raciste qu’il y avait ici. Beaucoup d’entre eux sont partis et sont allés dans des endroits comme l’Espagne, mais bon nombre d’entre eux n’ont eu pas d’autre choix que de rester ici en raison d’Hitler et parce qu’ils ne pourraient pas aller aux Etats-Unis.

Il y a eu quelques anarchistes qui sont venus ici en tant que réfugiés, mais ils ne voulaient pas venir ici. On peut le voir tout au long de l’histoire anarchiste qui est tout à fait juive. Ils étaient très, très anti-Sionistes – ils critiquaient toujours le mouvement sioniste, en disant qu’il ne répondait pas aux problèmes des Juifs.
Aaron : Vous avez mentionné différents sujets dans lesquels les Anarchistes en Israel ont été impliqués au cours des décennies, et puis vous avez mentionné l’Intifada. Alors récemment, il s’est créé les Anarchistes Contre le Mur. Pouvez-vous me parler un peu de ce groupe et ce que vous faites ?

Yossi : Quand l’Intifada est apparu, il y a eu deux processus qui se sont déroulé en même temps. La Gauche traditionnelle, que nous appelons en Israel la Gauche Sioniste, est devenue de plus en plus à Droite. Ils ont commencé à montrer de nouveau leur véritable visage raciste. En même temps, la Gauche radicale est devenue de plus en plus radicalisée. On peut dire que la Gauche traditionnelle et la Gauche radicale se sont polarisées. Ce processus a entraîné plus d’actions de la part de la Gauche radicale.

Pendant l’ère Oslo, la Gauche radicale était devenue beaucoup plus silencieuse. Aujourd’hui, depuis le début du second Intifada, il y a une manifestation presque tous les jours. Beaucoup de nouveaux mouvements se sont créés et travaillent vraiment dur contre la situation.

Toute cette énergie, et des gens qui vont voir ce qui se passe dans les Territoires Occupés, ont rendu davantage de gens hostiles à l’Etat. Les gens pouvaient voir que l’Etat était l’ennemi quand l’Etat vous tire dessus. Il cesse d’être théorique, et cela devient bien plus vivant de voir le véritable visage de l’Etat.

Quand la construction du Mur de l’Apartheid a commencé en 2002 et 2003, beaucoup de gens – très jeunes, des punks, des gays, des lesbiennes, et des transexuels de Tél-Aviv - sont venus dans un village en Palestine. C’était un village très conservateur, mais ils ont été invités par le village à venir et à construire une tente de la Paix contre le mur. C’était à Mas’ha. Cela a duré 5 mois, et les Israéliens et les Internationaux ont réalisé ce qui se passait avec la barrière, ce que c’était, où elle allait être construite, etc...

Tout au long de ces 5 mois, une chose nouvelle est arrivée à la Gauche radicale. C’était la première fois que nous rencontrions quotidiennement des Palestiniens et que nous vivions avec eux. C’était aussi une chose nouvelle pour les Palestiniens. C’était vraiment un endroit de dialogue.

De cela est ressorti un lien très étroit entre les Anarchistes Juifs et les Palestiniens. Naturellement les Anarchistes étaient toujours contre l’occupation et l’oppression de l’Etat Sioniste, mais je crois que ce camp a introduit ces questions dans nos vies quotidiennes. Je pense que c’était les premiers pas des Anarchistes Contre le Mur. Lors des derniers jours du camp, nous avons commencé à faire des actions.

Nous avons effectué des actions directes contre le mur dans d’autres villages. Nous avons essayé d’arrêter la construction du mur à Mas’ha et le camp a été détruit par l’armée. Ils nous ont ordonnés ne jamais revenir là-bas. C’était le début d’un groupe d’actions directes qui était organisé anarchiquement, sans hiérarchie, et directement démocratique. Nous avons commencé à faire de plus en plus d’actions dans les villages partout en Palestine et tout le long du tracé du mur.

Puis, il y a eu une nouvelle action à Mas’ha quand l’un des Anarchistes Contre le Mur a été reçu des balles dans les jambes.Il était sérieusement blessé et il a failli mourir lors de son transport à l’hôpital. C’était fin décembre 2003. Avant ce jour-là, le groupe changeait toujours de nom.

Lors d’une action, nous étions les "Juifs contre les Ghettos", un autre jour, c’était : "le Goupe de Mas’ha", nous n’étions pas attachés à un nom.

Mais ce jour-là, nous utilisions le nom des "Anarchistes contre les Barrières".

Nous avons eu beaucoup de médias ce jour-là, bien plus que nous n’en avions eu auparavant. Les médias étaient vraiment intéressés par nous. Les gens ont commencé réellement à se demander ce qu’était l’Anarchisme. Ce n’était pas très connu en Israel - les gens connaissaient le mot, mais ils ne savaient pas ce qu’il signifiait.

Après cette action, nous sommes devenus beaucoup plus actifs dans le combat contre le mur ou contre l’occupation parce que beaucoup de villages palestiniens commençaient à savoir qu’il y avait un groupe israélien qui venait et faisait des choses en Palestine.

Les Palestiniens ont commencé à se rebeller contre le mur alors qu’il venait de plus en plus près de leurs maisons, et il y avait beaucoup de villages, en particulier Budrus - un des symboles de l’opposition non-violente au Mur – où nous sommes allés pendant près d’un an pour arrêter autant que possible la construction.

Nous sommes réellement allés à Budrus presque chaque semaine pendant longtemps. Chaque jour, on se faisait tirer dessus. Parfois, des gens étaient tués.

A ce jour, il y a 6 ou 7 Palestiniens qui ont été tués par l’armée israélienne dans des manifestations non-violentes contre la barrière. Ces Palestiniens ont été tués dans les manifestations à chaque fois que les Israéliens n’étaient pas là, parce que l’armée n’aime pas utiliser des balles réelles quand il y a des Israéliens dans le secteur. Aussi nous agissions un peu comme des boucliers humains. Ce n’est pas la raison pour laquelle nous étions là, mais le fait que nous y soyons rendait l’armée un peu moins violente. L’armée pense que notre sang est meilleur.

Aaron : Quand un Palestinien est abattu dans une manifestation non-violente, il tombe sous le radar des médias. La chose intéressante était que quand l’anarchiste israélien a été touché à Mas’ha, cela a attiré les médias israéliens et internationaux parce que c’était un Israélien qui avait tiré sur un Israélien. Comment cette action ce jour-là a changé ce que vous faisiez en tant qu’Anarchistes et comment le reste d’Israel vous a vu ?

Yossi : Tout d’abord, nous avions toujours pensé : "Nous sommes Juifs. L’armée ne peut pas nous tirer dessus. Cela n’arrivera pas". C’est pour ça qu’il y a eu tant de publicité dans les médias - l’armée ne pouvait tout simplement pas tirer sur des Juifs. Les colons font toujours des choses bien pires que nous . Ils agissent très violemment envers les soldats, mais personne n’a jamais rêver de leur tirer dessus. C’est ce jour-là où j’ai réellement compris que l’Etat était mon ennemi. L’armée est mon ennemi. Je n’ai rien à voir avec l’armée. Je me suis déjà fait tirer dessus avec des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène, mais c’était la première fois que je voyais quelqu’un se faire tirer dessus avec des balles réelles. Beaucoup d’entre nous se sont rendus compte que cette armée et cet état n’étaient pas les nôtres.

Le public israélien et les médias israéliens nous ont réellement soutenus chaleureusement pendant les deux premiers jours. Un Juif s’était fait tirer dessus, ce n’était pas gentil. Les gens pensaient que puisque nous avions détruit la barrière, nous devrions être punis pour cela, mais pas en nous tirant dessus.

Comme il y avait de plus en plus de manifestations, de plus en plus de gens se faisaient tirer dessus, et même des Israéliens étaient blessés, ce qui a généré de plus en plus d’attention sur nous dans les médias.

Mais les médias ont commencé à nous traiter comme des voyous. Ils nous ont accusé d’agir de façon irresponsable et de nous associer avec des terroristes.

En fait, au cours de l’an dernier, on a pu voir bien plus de répression contre la Gauche israélienne.

Tali Fahima est un exemple. Elle n’a jamais été dans le mouvement Anarchiste, mais elle est en prison maintenant pour avoir fait des choses que pour lesquelles chacun d’entre nous pourrait aussi être arrêté : être en contact avec un terroriste, violer une zone militaire fermée, etc...

La répression contre nous devient plus sévère. L’état nous traîne devant les tribunaux, bien qu’ils perdent. Ils n’ont même pas encore gagné un cas, mais il est très important pour l’Etat de nous traîner devant les tribunaux et prenne notre énergie et notre argent.

Aaron : Il y a beaucoup de groupes en Israel qui travaillent dans le mouvement de la Paix pour mettre un terme l’occupation ; Gush Shalom, Ta Ayush, et La Paix Maintenant sont juste quelques uns. Comment les anarchistes diffèrent-ils de ces groupes dans leurs actions ?

Yossi : Tout d’abord, il y a beaucoup de groupes dans le mouvement de la Paix qui sont très proches de nous. Black Laundry, par exemple, est un groupe gay contre l’Occupation qui travaille beaucoup avec les Anarchistes Contre le Mur et vice versa. Ta Ayush est très actif et nous travaillons avec eux. Nous ne sommes pas organisés de la même manière, nous ne travaillons pas avec les mêmes méthodes, mais nous travaillons ensemble.

En termes d’idéologie, nous n’avons pas une liste de nos demandes. Naturellement, la plupart d’entre nous voudrait une ’solution de Pas d’Etat’. Nous sommes contre tout type de séparation, et nous sommes Contre le Mur peu importe où il va être construit.

Nous sommes aussi contre l’Autorité Palestinienne. Nous voyons l’Autorité Palestinienne comme un autre outil de l’oppression. Nous travaillons avec eux certaines fois, mais nous ne soutenons pas l’Autorité Palestinienne comme le fait Gush Shalom .

Nous ne sommes pas d’accord avec eux sur de nombreux points. Nous agissons différemment de la plupart des groupes vis à vis de la police. Nous n’informons jamais la police d’une action.

Mais au bout du compte, nous nous soutenons et nous travaillons ensemble. Il y a des disputes, mais nous maintenons un dialogue. Il y a une coalition contre la barrière de la part de nombreux groupes parmi la Gauche radicale, et il n’y a pas de gros problèmes à ce sujet. S’il y a des problèmes cruciaux, toutes ces discussions sans fin sur l’anarcho-communisme ou l’anarcho-syndicalisme deviennent insignifiantes. Ça va tout à fait bien en Israel, et la Gauche radicale agit ensemble à tout moment.

Aaron : Avez-vous des critiques sur la façon dont les autres groupes de la Gauche israélienne opèrent ?

Yossi : Naturellement ! Et ils ont beaucoup de critiques à notre égard. Ils pourraient dire que les Anarchistes courent toujours d’un village à un autre, que nous ne sommes pas organisés, que nous faisons beaucoup de choses imprudentes.

Nous avons les mêmes critiques sur les autres groupes : ils ne peuvent pas faire du tout des choses spontanées, ils ont des règles strictes. Mais cela n’a rien à voir avec le fait que nous travaillons toujours ensemble.

Aaron : Vous avez mentionné que l’Anarchisme n’est pas une tradition dans la culture palestinienne. Comment sentez-vous que l’Anarchisme ait un lien avec la lutte palestinienne ?


Yossi :
Naturellement, nous sommes toujours dans des manifestations avec le Hamas, le Jihad islamique, des Nationalistes, des racistes, et nous combattons à leurs côtés avec les mêmes objectifs. Mais il y a toujours un problème : Comment concilions-nous l’Anarchisme, le droit des animaux, le droit des femmes, et le droit des gays tout en travaillant avec des gens qui sont contre ?

C’est dur. Nous travaillons avec des Palestiniens tout le temps et nous disons toujours que nous ne voulons pas d’Etat palestinien. Je ne combats pas pour un Etat palestinien, je combats pour la fin de l’occupation et c’est le principal objectif. Et nous ne sommes pas seuls dans ce combat.

Il y a beaucoup de Palestiniens qui ne sont pas Anarchistes, mais qui sont à Gauche : des Communistes, des Socialistes. Il y a tellement de gens qui se battent pour le même objectif ; une solution d’un seul Etat est très proche de notre objectif.

Je pense toujours que la chose principale est de se libérer de l’oppression de l’autre. Avant que vous vous libériez de l’oppression de votre propre société, vous devez vous libérer de l’oppression de l’autre société, qui est habituellement beaucoup plus cruelle. C’est évident en Palestine.

D’abord, nous devons mettre un terme à l’occupation et rendre leurs droits aux Palestiniens. Après ça, nous pourrons parler de la façon dont nous voulons vivre ici. Si les Palestiniens choisissaient d’avoir une solution d’un seul Etat, nous serons avec eux. S’ils choisissaient d’avoir leur propre état, nous serons avec eux. Nous n’avons rien à dire à ce sujet. Il y a des Palestiniens qui travaillent avec nous pour le même type de solution.

Aaron : Ici, vous avez des Anarchistes qui protestent avec le Hamas, le Fatah, et de nombreuses factions de la lutte palestinienne. Essentiellement, ils combattent toujours pour le même objectif. Comment voyez-vous le rôle des Anarchistes ? Pour influencer les Palestiniens pour qu’ils adoptent une société d’Anarchistes ?


Yossi :
Il est important de voir que nous ne travaillons pas en Palestine pour éduquer. Après tout, nous sommes les occupants. Nous ne sommes pas là pour leur dire quoi faire, mais nous sommes là pour les aider à se libérer de l’oppression de notre état. C’est notre but principal.

Nous ne sommes pas là pour les éduquer sur le droit des animaux ou sur les autres choses pour lesquelles nous combattons.

Nous avons des conversations avec eux ou nous les influençons à un niveau personnel, mais nous ne sommes pas là en tant que groupe pour les faire changer d’avis.

Nous ne distribuerons jamais de tracts en Arabe pour expliquer ce qu’est l’Anarchisme et pourquoi ils devraient nous rejoindre, parce que ce n’est pas notre façon de faire.

Cependant, nous essayons d’influencer quand il s’agit du droit des femmes. Quand nous parlons avec les villages, nous disons que nous voulons voir les femmes dans les manifestations.

Les femmes de notre groupe essayent de mettre en place des actions de femmes avec des Palestiniennes pour impliquer des femmes dans la lutte contre l’occupation. Je pense que la principale chose dont nous devons nous souvenir est que nous ne sommes pas là pour éduquer, parce que tout pendant qu’ils seront occupés par notre Etat, nous n’avons aucune raison de venir ici et de prêcher.

Aaron : A titre personnel, qu’est ce que cela signifie pour vous d’être un anarchiste, mais également d’être un Juif qui vit dans un Etat Juif ?

Yossi : Ouais, il y a quelque chose de drôle dans la question. Être Juif dans la Diaspora, d’après ce que j’ai compris, est bien différent. Vous ressentez votre identité juive. Mais vous ne ressentez pas cela en Israel. Vous ne vous inquiétez pas du Judaisme en Israel. Nous disons : « Fuck it ».

C’est comme le Christianisme aux Etats-Unis. Demandez-vous à des Chrétiens Anarchistes aux Etats-Unis comment ils ressentent le Christianisme dans leurs vies quotidiennes ? Non. Ils sont athées, ils sont anti-Chrétiens, et ils sont contre le Christ la plupart du temps. Mon sentiment ici est que j’ai un certain rapport avec le Judaisme. Je suis un athée naturellement, mais le Judaisme et l’Hébreu font partie de ma culture. Ainsi j’ai quelque chose de Juif en moi comme un Canadien a quelque chose de Canadien en lui. Mais encore, je ne me sens pas Juif dans sa signification religieuse.

Je ne m’inquiète pas si j’épouserai une juive ou une non-juive, ou sur "la conservation du Peuple Juif’. Je n’ai aucun problème avec l’assimilation. Ma culture est une culture hébreu, une culture israélienne. Ceci n’a rien à voir du tout avec la religion.
Aaron : Pouvez-vous expliquer ce qu’est le groupe Black Laundry et son lien avec la lutte palestinienne et le mouvement Anarchiste ?

Yossi : Black Laundry est un groupe qui s’est créé au début du deuxième Intifada, comme beaucoup d’autres. Il a été formé à Tel Aviv, juste avant la pride parade. A la Pride Parade, il y a beaucoup de beaux garçons qui dansent nus sur des gros camions avec un bon nombre d’entreprises qui essayent de vous vendre quelque chose. C’est tout à fait répugnant la plupart du temps, très capitaliste.

C’était la première Pride Parade après le début de l’Intifada et nous y sommes venus avec le slogan : ’Aucune fierté dans l’Occupation !’. Nous essayions de dire qu’il n’y a aucune véritable libération sans la libération de nos voisins. Nous, en tant que communauté gay, nous avons un intérêt dans l’arrêt de l’oppression des autres groupes, et d’autres groupes ont des intérêts dans l’arrêt de l’oppression contre nous.

Nous essayons toujours de lier les luttes : Libération des Palestiniens, droits des Gays, liberté sexuelle, oppression du corps, oppression capitaliste, droits des animaux... Nous essayons de connecter tout cela, habituellement en travaillant d’une façon artistique. Nous essayons de faire une exposition en dehors de notre travail. Nous travaillons beaucoup à l’intérieur de la communauté gay au sujet des Palestiniens en leur enseignant que leur combat fait partie d’un plus grand combat contre l’oppression. Etre Gays et riches dans le centre de Tel Aviv ne vous libèrent pas parce que cela ne libère pas votre communauté. Pour la lutte palestinienne, Black Laundry n’a jamais fait d’actions à l’intérieur de la Palestine. Les membres de notre groupe vont toujours aux manifestations palestiniennes, mais nous n’avons jamais organisé nos propres actions là-bas.

A Mas’ha seulement, il y avait une bonne connection entre nous et beaucoup de femmes du village, et il y avait les réunions de quelques femmes avec Black Laundry. C’est toujours très dur. On ne vous permet pas d’être Gay dans la culture palestinienne. Je travaille énormément en Palestine occupée mais ce n’est pas quelque chose que je mentionnerais dans une manifestation. Mais encore, je ne suis pas là pour éduquer les Palestiniens ou pour leur dire comment agir. Et ce n’est pas qu’Israel soit la société la plus libérée.

La principale population Gay en Israel qui soit opprimée, ce sont les Palestino-Israéliens. Si le Shin Bet (service secret israélien) attrape deux Palestiniens qui font l’amour dans un parc israélien, ils les forcent souvent à devenir des collaborateurs en disant que s’ils ne coopèrent pas, ils le diront à leurs familles. Parfois, c’est une menace de mort. C’est fréquent que des Palestiniens Gays soient forcés de devenir des collaborateurs. Beaucoup d’eux ont fui en Israel, et ils sont ici illégalement, mais personne ne leur donne des droits de réfugiés. Quand ils sont pris, ils sont habituellement renvoyés dans leurs villages. On ne permet même pas à des couples Gays Palestino-Israéliens de rester ensemble. Encore une fois, c’est Israel qui n’est pas bien pour les homos. Beaucoup de juifs homos sont opprimés ici à Jérusalem, ainsi ce n’est pas comme si la société palestinienne était sombre et cruelle et que la société israélienne était ouverte et libre.
Aaron : On entend souvent qu’Israel est remarquablement ouvert à la culture Gay....

Yossi : Non, c’est le centre de Tel Aviv qui est ouvert aux homos qui ont de l’argent et qui sont des consommateurs ou font partie du système. Israel n’est pas ouvert aux homos pauvres qui viennent des familles Juives-orientales, il n’est pas ouvert aux Palestiniens, et il n’est pas ouvert aux homos religieux. Israel peut déclarer une chose, mais habituellement il agit différemment.

La situation ici ressemble beaucoup à celle des Etats-Unis, et vous ne diriez pas que les Etats-Unis aiment bien les Gays. Peut-être San-Francisco, mais pas en général.

[1] Aaron Lakoff est sympathisant du courant anarchiste avec un petit "a".


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