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Appel au soutien international à la révolte populaire en Iran

posté le 18/01/18 Mots-clés  luttes sociales 

Pendant plusieurs jours, des manifestations contre la structure politique et économique du gouvernement iranien ont eu lieu dans plus de 90 villes iraniennes. Cela en dépit du fait que tout le pays est sous l’emprise d’un État militarisé et que toute démonstration politique dans la rue coûte très cher puisqu’elle sera réprimée par des coups de bâton, de couteau, des fusillades, jusqu’à l’assassinat pur et simple. Selon les statistiques, les Iraniens sont devenus 15% plus pauvres au cours de la dernière décennie. La néolibéralisation de l’économie iranienne avait commencé pendant le gouvernement d’après-guerre (Iran/Irak) de Hachemi Rafsandjani. Cependant, le gouvernement actuel du « modéré » Rohani) a accéléré le processus de telle manière qu’il est devenu presque impossible pour la plus grande partie du milieu populaire de gagner sa vie.

Ce soulèvement est inattendu et incompréhensible pour tous ceux qui ont négligé les protestations des syndicats d’ouvriers, d’enseignants et d’étudiants de ces dernières années. Ce qui inspire socialement ce mouvement, c’est clairement la mobilisation de travailleurs dont les salaires ne sont pas payés et dont le niveau de vie n’en finit plus de baisser. Cette négligence tient aussi à l’invisibilisation de ces mobilisations qui se tiennent en amont de cette révolte et auxquelles participent des syndicalistes (terme qui n’a pas d’équivalent en persan car les syndicats ne sont pas autorisés concrètement et leurs militants sont emprisonnés), des professeurs et des travailleurs du secteur des transports. Les mobilisations ont aussi concerné la question des retraites et le problème des sociétés financières de crédits lesquelles ont quitté le pays avec les sous en poche après avoir blanchi l’argent. Depuis plus d’un an, les habitants des petites villes se manifestent devant mairies et banques, mais restent toujours invisibles. Selon les chiffres officiels, au cours des 6 derniers mois, il y eut plus de 900 rassemblements de travailleurs dans 50 villes différentes. Mais ces manifestations qui ont été dispersées sont restées ignorées par les médias.

  • De plus, lors du récent tremblement de terre (novembre 2017 à Kermanshah), la population a clairement vu l’inefficacité du régime dans la résolution de la crise. Le manque d’attention de l’État aux besoins des personnes touchées par le séisme a provoqué l’indignation de la population. Et en dépit d’une solidarité populaire remarquable envers les victimes de cette catastrophe, la colère a continué de nourrir les récentes émeutes.
  • Ces manifestations expriment une colère et un désespoir généralisé qui est le contre coup de l’espoir suscité par les accords nucléaires. En effet, il était prévisible que ces accords ne profiteraient qu’aux privilégiés et aux nouvelles classes dirigeantes. Après l’élection de Rohani en 2013, les classes supérieures de la population se sont visiblement alliées avec l’État. On assiste à une répartition idéologique et objective des soutiens de l’État. On constate que le mouvement actuel n’est pas issu des rivalités internes au Régime ou à la scène politique officielle. L’insurrection en est clairement distincte, et c’est pourquoi elle est restée ignorée jusque-là. Alors que les réformistes restent attachés à ces pouvoirs étatiques, ils stigmatisent la révolte actuelle comme un mouvement ambigu, sans racine, permettant tous les scénarios complotistes possibles. Ils l’appellent avec mépris : « mouvement des médiocres », ce qui montre encore une fois leur haine envers les classes populaires. Il y a, d’un côté, les conservateurs qui préfèrent accentuer les raisons économiques du mouvement afin d’accuser le président, et de l’autre, les réformistes et les membre du gouvernement qui le décrivent comme un événement politique manipulé par les puissances étrangères. Les positions politiques étrangères, telles que le soutien de Trump à ce soulèvement, ont encore renforcé cette illusion complotiste. Mais pour les manifestants, il est clair que cette insurrection n’a rien à voir avec les (les) intérêts étrangers.

Jusqu’à présent, à l’image de 2009, le conflit principal a été réduit à une sorte d’antagonisme entre le guide suprême, en tant que leader du camp conservateur, et le président, comme le représentant du réformisme gouvernemental. Aujourd’hui, la source du mouvement n’est pas dans cet antagonisme, mais bien dans une contradiction économique et politique entre la population d’un côté et le système en général de l’autre. La révolte actuelle a pour origine des revendications sociales conduisant à des protestations envers le système (religieux et étatique), ce qui est très différent, encore une fois, du mouvement de 2009. On s’aperçoit que la poursuite de ces revendications par des moyens réformistes ou légaux n’a pas satisfait la plupart des iraniens. Le souhait d’un renversement du régime est donc de plus en plus partagé.

La nouvelle génération en Iran appelle, pour des motifs de classe, politiques et laïques, à la transformation des conditions générales d’existence. Contrairement à 2009, il n’y a aucun slogan d’ordre religieux (comme “Allah Akbar”), tandis que des slogans tels que « Pain, travail, liberté » et « à bas le dictateur » sont plus souvent clamés dans les manifestations. Nous voyons objectivement que ce mouvement profondément populaire est socialement, politiquement, et donc géographiquement, décentralisé et libéré des différentes fractions du pouvoir installé. Par leur composition de classe, leurs revenus et leurs actions, les personnes qui sont descendues dans la rue alimentent une révolte des classes inférieures des classes opprimées.

Les femmes, qui avaient activement participé aux précédentes mobilisations, jouent également un rôle important dans les révoltes en cours. Cette présence est pourtant restée invisible. Il convient donc de préciser que, ces dernières années, la question du hijab obligatoire et l’arrestation des femmes dans les rues en raison de leur manière de s’habiller ont donné lieu à de nombreuses protestations. Une vidéo diffusée, la veille du soulèvement, sur les réseaux sociaux, montre une jeune femme téhéranaise enlevant son foulard toute seul sur la place Enqelab (Révolution) afin de contester le voile obligatoire. Cette image a bouleversé les médias et les observateurs iraniens, ce qui a amené plusieurs commentateurs à l’appeler « Statue de la liberté en Iran ».

Non seulement les femmes mais aussi les minorités ont été la cible d’une oppression reconnue depuis la révolution de 1979. Dans la propagande et dans la pratique, le régime iranien privilégie la triple identité « homme/chiite/perse” et les autres n’ont pas les mêmes facilités d’accès aux institutions. Par la réintroduction du clivage sunnite-arabe/chiite-perse, le régime a instauré un certain nationalisme religieux avec lequel il justifie ses interventions militaires dans la région. Ces interventions sont de plus en plus critiquées par la population iranienne. En même temps, ce discours d’État crée un sentiment d’injustice qui renvoie les gens à un passé perdu ; une nostalgie pour l’époque du Shah, perçu comme moins corrompu, mais qui en réalité représente un autre nationalisme. Nous observons également ces tendances pourtant minoritaires à travers quelques slogans.

Les étudiant-e-s de gauche, et en particulier les membres des conseils étudiants qui avaient été très actifs l’année dernière paient un prix trop élevé en ce moment. Jusqu’à présent, au moins 102 étudiants ont été arrêtés et, comme d’habitude, l’État essaiera de les forcer à s’accuser devant les caméras de télévision, ce qui permettra ensuite de leur imposer des peines lourdes. Selon les seuls rapports officiels du gouvernement, plus de 20 personnes ont été tuées, des milliers ont été blessées et plus de 3000 étudiants, travailleurs, femmes et jeunes contestataires ont été arrêtés. Ces prisonnièr.es font face à des tortures brutales qui sont monnaie courante dans les prisons de la République islamique. Ils ont besoin d’un soutien international. Leur libération immédiate et inconditionnelle doit être réclamée par toutes celles et ceux qui luttent partout dans le monde contre toutes sortes d’oppressions et d’injustices. Ainsi, nous appelons à la solidarité internationale avec cette juste révolte de la population iranienne qui peut inspirer toutes les luttes populaires dans la région.

Voici quelques slogans qui ont été scandés pendant les manifestations :

  • Étudiants, travailleurs, enseignants, unité, unité !
  • Pain, travail, liberté
  • Les étudiants préfèrent mourir plutôt que d’accepter l’humiliation
  • Nous sommes les enfants de la guerre, nous sommes prêts pour la bataille
  • Nous luttons, Nous mourrons mais nous récupérerons l’Iran
  • Vous avez utilisé l’Islam pour opprimer les gens
  • Les gens mendient pendant que le chef suprême vit et agit comme un dieu
  • Mollah capitaliste, rends-nous notre argent
  • Réformistes, fondamentalistes, votre histoire se termine ici
  • A bas la République islamique
  • A bas ce gouvernement trompeur (Rohani)
  • A bas le dictateur (Kamene’i)
  • Indépendance, liberté, République iranienne [le slogan traditionnel du régime est “Indépendance, liberté, République islamique”]
  • Référendum, Référendum
  • Laissez la Syrie tranquille, occupez-vous de l’Iran
  • Libérez les prisonniers politiques

Contact : solidarite28decembre@riseup.net
07/01/2018

Signataires :

Etudiant.es militant.es iranien.nes de gauche en France,Département de Philosophie de l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, LLCP (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Catherine Malabou (CRMEP, Kingston University) |Avital Ronnell (New York University) | Geoffrey Bennington (CIPH, Emery University, Georgia) | Safaa Fathy (Poète, Cinéaste, CIPH) | Simon Critchley (New School for Social Research, New York) | Martine McQuillan (Editor at Research Professional) | Simon Morgan Wortham (Kingston University) | Claire Colebrook (Pennsylvania State University) | Benjamin Noys (University of Chichester) | Luca Paltrinieri (l’Université de Rennes 1) | Marie Cuillerai (l’Université Paris-Diderot, Paris 7) | Saverio Ansaldi (l’Université de Reims) | Laura Llevadot (l’Université de Barcelone) | Sandro Chignola, (l’Université de Padova, Italie) | Plinio Prado (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Jacques Poulain (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Antonia Soulez (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Eric Alliez (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Matthieu Renault (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Nadia Yala Kisukidi (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Patrick Vauday (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Stéphane Douialler (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis)n | Bertrand Ogilvie (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Antonia Birnbaum (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Diogo Sardinha (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Orazio Irrera (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Eric Lecerf (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Guillaume Sibertin-Blanc (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Patrice Vermeren (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Muhammedin Kullashi (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Frédéric Rambeau (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Vittorio Morfino (l’université de Milan Bicocca) | Georges Navet (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Pierre Cassou-Nouges (l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis) | Jacob Rogozinski (l’Université de Strasbourg) | Patrice Canivez (l’Université de Lille) | Benjamin Joinau (EHESS, Paris) | Sophie WAHNICH (CNRS, Paris) | Cristina Del Biaggio (l’Université de Grenoble Alpes) | Sarah Mekdjian (l’Université Grenoble Alpes)


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